Ecrit Epistolaire (20): Exposition World Masterpiece Theater (Miyazaki et Takahata)
Pour ma part, je suis toujours saisi d'une grande joie quand je vois de tels événements se produire. Ce sont des nouvelles que je me refuse à ignorer, en effet, la plupart du temps, si l'on observe attentivement l'actualité artistique, les expositions d'animations se cantonnent totalement à la production de synthèse et on n'imagine pas comme, aujourd'hui, cette modernité rationne tout. Malgré ses airs aguichants, l'image numérique ne pousse plus que dans un sens, c'est toujours la même histoire et quelque soit le projet réalisé il ne fait jamais appel à la grande tradition littéraire. Les règles ont bien changé, et je ne sais plus que dire sur toute cette production légère et qui ma foi ne sait plus s'adresser qu'avec immaturité. La tragédie a été évacuée, quel drame, on n'est contraint de voir la vie que sous un angle hilarant aux accents folkloriques. D'ailleurs, je ne sais plus quoi dire, toutes ces histoires me semblent fanées et bien en deçà de ce qu'est l'existence et de ses merveilles. Si Walt Disney et Paul Grimault ont su, en leur temps, vigoureusement alimenter les jeunes esprits, aujourd'hui il n''y a plus guère qu'Hayao Miyazaki et son compère Isao Takahata ainsi que l'ensemble du studio Ghibli qui maintiennent encore cette solide évocation des hommes et de la nature. Ça bouillonne dans mon sang quand j'évoque ces quelques planches animées qui ont alimenté mon enfance et qui encore aujourd'hui me révèlent l'extraordinaire talent qu'il a fallu pour les rendre vivantes. Comme tout semblait vrai! N'avez-vous pas vu le mouvement des corps, ils sautent, ils courent, ils nagent et de je ne sais par quoi de génial, tout cela est uni à la gravité comme si la vie avait prit place d'elle-même. C'est extraordinaire, ce qualificatif est à la bonne place, aujourd'hui c'est l'outil informatique qui décide de tout, on aura beau dire, si vous le leur enleve ils seront incapables de manier leurs dix doigts à la manière des anciens. On a supprimé le rapport charnel du papier et du crayon, on ne sait plus quelle part de l'homme aujourd'hui est derrière toutes ces images, c'est naturellement numérique, plus de trace de carbone, d'eau, d'huile, d'encres et de pigments extraits de plantes, d'écorces et de roches, ni même de sueur laissée par la main sur la feuille. Il n'y a désormais plus de prise de risque, cette tension dans la main ou ces quelques tremblements à peine perceptibles qui réintroduisent cette part de nous branchée au cœur. Ça réajuste l'image et l'engage plus réellement comme ces substances hormonales qui nous agitent, l'adrénaline, la testostérone, l'octopamine, la sérotonine ou encore la dopamine. Tout ça nous bouge, c'est important, c'est cela qui nous caractérise vraiment. Ca peut-être irrégulier, désordonné, aléatoire, mais pour mieux imiter tout cela il faut sentir ce que l'on reproduit et faire revivre pareil à la forme qui se meut avec maladresse mais qui se déplie avec des forces qui nous échappent. Pour moi c'est comme cela, il n'y a pas d'autres manières d'exprimer le plus fidèlement l'homme et sa volonté de vivre. C'est pourtant limpide, voyez ces gouaches, ces aquarelles, ces dessins, qu'il s'agisse de montagnes, de forêts, de lacs, de chaumières, d'écoles et de petites filles, de garçons, de parents, d'oncles et de grands-pères et plus encore, tout ce spectacle est mû par l'âge mûr. De plus tout provient d'une riche littérature, qui, je dois le dire, parvient le mieux à décortiquer le monde. Heidi, Tom, Anne et les autres ont été crayonnés avec la conviction de retrouver cette part d'enfance véritablement naturelle. Cette jeunesse jusqu'au seuil de l'adolescence était plutôt destinée à devenir des hommes et des femmes accomplis où l'existence ne leur promettait pas de vivre comme des enfants gâtés.
Antoine Carlier Montanari (commentaire suite à l'article paru sur le site GHIBLI BUTA CONNECTION, le 03/07/2015 et intitulé "Exposition World Masterpiece Theater")