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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

21 Mar

Un Livre Que J'ai Lu (199) : Intelligence Et Intuition (Henri Bergson)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #HENRI BERGSON

 

 C'est avec l'intuition que Bergson entend forer la chair du réel. C'est la méthode qu'il préconise et cette méthode épouse le mouvement de la vie, c'est à dire qu'elle se colle à l'écoulement du temps, elle n'est pas statique à l'image des systèmes philosophiques qui habillent plus la réalité qu'ils ne la mettent à nue. La démarche bergsonienne est de faire de l'intuition l'instrument principal de la philosophie. Cette forme secondaire du savoir ajoute une dimension mystique à la pensée philosophique. L'intuition selon Bergson ne s'atteint et ne se mérite que par un long travail méditatif. Jean-Jacques Guinchard, dans sa préface, écrit que l'intuition révèle une dimension du réel qui nous échappe dans la vie quotidienne (p22). C'est un véhicule qui nous transporte à l'intérieur des choses pour coïncider avec ce qu'elles ont d'unique et par conséquent d'inexprimable. Quant à l'intelligence, nous dit Bergson, elle se solidifie à la surface des choses, c'est à dire qu'elle n'atteint pas la vitalité universelle de ces mêmes choses. On peut dire que l'intelligence voit de l'extérieur et l'intuition voit de l'intérieur. Dans "Introduction à la métaphysique" (ici), que nous avons déjà commenté, Bergson explique cette distinction. 

 

 L'intuition dont parle Bergson traverse l'écorce des choses. Elle s'engouffre dans le coeur des choses à l'insu même de ces choses. Elle ne se satisfait pas de la chose en tant que telle, de sa définition et de ses caractéristiques mais plutôt de ce qu'elle ne dit pas d'elle, de ce qu'elle cache en elle-même. L'intuition est une tête chercheuse qui fouine là où l'intelligence peine. Cette impulsion mentale est un tourbillon dépoussiérant les idées toutes faites, les sytèmes de pensée qui sclérose l'intelligence (p36). Bergson préconise de rentrer en soi, de se sonder et de sentir en nous les forces qui travaillent en toutes choses (p54). Il faut donc descendre au plus profond de nous-même pour impulser une poussée qui nous renverra à la surface. L'intuition philosophique est cette pousséeC'est une respiration mentale qui synchronise l'intelligence au mystère de la vie. Si on se creuse, si on fait l'effort de chercher en soi on est ensuite capable de chercher le soi de la chose extérieure.

 

 Cette poussée intérieure ramène à l'essence des choses, elle touche la notion réelle de l'objet. Bergson parle de saisissement plus que de perception. Autrement dit, c'est s'introduire de manière intuitive dans l'objet observé. Pour saisir la réalité, nous dit Bergson, il faut saisir l'absolu, il faut saisir la réalité dans la mobilité qui en est l'essence (p64). Faire un bond dans l'absolu c'est fuir les systèmes et les principes fermés qui travaillent non pas sur la durée même mais sur le fantôme de la durée. En effet, ces systèmes échappent aux ondulations du réel. Tout se divise, tout se fragmente, tout se désolidarise et tout tend à la pensée narcissique. L'intuition dont parle Bergson porte donc avant tout sur la durée intérieure, une durée qui pénètre la pensée pour lui inculquer la vie spirituelle. Elle fait saisir à l'esprit la participation des choses réelles à la spiritualité (p68). Penser intuitivement, dit Bergson, est penser en durée. 

 

 L'intuition virevolte, épouse les mouvements du temps. Elle ne se stabilise pas sur les évènements, au contraire, elle suit la courbe temporelle de la vie de ces évènements. L'intuition se loge dans le mouvement des choses pour atteindre l'unité de la vie, c'est dire l'essence vitale ou l'énergie vital de la matière. C'est pourquoi, nous dit Bergson, l'idée issue de l'intuition est d'abord obscure. L'idée émerge progressivement et s'installe dans l'esprit en imprégnant un univers de sens. Quelque chose s'est allumé dans la conscience, une idée nouvelle vient éclairer l'esprit. C'est une clarté naissante qui fait entendre nouvellement les choses. Bergson parle d'idée radicalement neuve qui se déplace dans les divers départements de notre connaissance pour tenter d'accrocher un sens qui lui convient le mieux (p71). Elle a cette faculté de poser autrement les problèmes habituels. Elle illumine d'abord la conscience de sa clarté obscure, puis pénètre davantage dans les régions les plus basses pour y réveiller quelques pensées endormies. On peut alors parler de révélation intérieure ou d'illumination de la conscience. C'est comme une goutte de lumière qui tombe sur un ensemble de pensées mal éclairées. 

 

 C'est donc en dedans de soi que se produit l'alchimie révélatrice. L'intériorité c'est la vie de l'esprit, tandis que hors de soi, à l'extérieur, c'est la vie de la matière, c'est le règne de la matière. De ce côté-là l'effort pour apprendre est naturel (p84). La matière nous est familière et nous nous y sentons comme chez nous du fait que la matière répond à une nécessité de la vie. Le dehors de soi c'est la connaissance de la matière et le dedans de soi c'est la connaissance de l'esprit. De ce côté-là, du côté de l'intériorité de l'être, tout effort est pénible, difficultueux, c'est pourquoi bon nombre de personnes demeurent à l'extérieur d'eux-mêmes, c'est plus aisé et plus commode. Charles Baudelaire, dans son coeur mis à nu (ici), dit qu'il ne peut y avoir de progrès que dans l'individu et par l'individu lui-même. Sainte Thérèse d'Avila ne dit pas autre chose quand elle écrit (ici)

 

 Il ne me semble pourtant pas que cela prenne naissance dans le cœur, mais en un point encore plus intérieur, comme en quelque chose de très profond. Je pense que ce doit être le centre de l'âme, comme je l'ai compris depuis et le dirai pour finir, car vrai, je vois en nous des mystères qui m'émerveillent souvent.

 

 
Le château intérieur, quatrièmes Demeures, chapitre II,4-5 

 

 

 Ainsi, la nature, nous dit Bergson, détourne l'esprit de l'esprit pour le tourner vers la matière (p85). La science c'est le regard matériel de l'esprit et la métaphysique c'est le regard spirituel de l'esprit. Quand les deux se touchent, quand la matière rejoint l'esprit et quand la science parle à la métaphysique, il y a véritablement fécondation. La science a ses objets et ses méthodes et la métaphysique également. Quand l'expérience extérieure rejoint l'expérience intérieure il y a influence salutaire. Tout doit partir de l'intériorité de l'être. Si l'on part de l'extérieur, c'est à dire de la matière, alors on ne voit que l'agencement de la matière, c'est à dire ses caractéristiques physiques. L'esprit de la science voit sans voir, il voit avec le regard limité de la chair. L'esprit moderne, l'esprit de la science, c'est l'esprit du pur agir, de l'énergie et de la matière en action. L'esprit traditionnel, l'esprit spirituel, c'est l'esprit qui pense la spiritualité en tout. 

 

 L'expérience nous montre que l'objet fini, c'est à dire la matière transformée en vue d'une finalité spécifique, est le fait de l'intelligence. Celle-ci, via le corps, agit sur la matière en prenant en compte les lois qui la régisse. Chaque invention a son inventeur, chaque oeuvre d'art a son artiste. C'est dans l'intériorité de l'être, à savoir la conscience, que s'organise le mouvement de transformation de la matière. Tous les changements du monde, qu'ils soient politiques, économiques, industriels et culturels sont dus à la volonté de l'esprit, à savoir la conscience qui veut. Par conséquent, quand l'homme observe la nature et l'univers, il suppose tout naturellement que tout cet arrangement finement réglé est peut-être le fait d'une intelligence supérieure, d'une conscience supérieure. Si la conception de l'intelligence artificielle nécessite beaucoup d'intelligence, on peut déduire qu'il faut une intelligence remarquable pour concevoir l'intelligence qui a pensé et produit cette même intelligence artificielle. Nous sommes en quelque sorte l'intelligence artificielle d'une intelligence supérieure. 

 

 L'expérience nous montre que c'est à partir de matières premières comme les minéraux et le pétrole, que l'homme fabrique toutes sortes d'objets. Il y a des processus bien définits par l'intelligence pour transformer la matière première en matière complexe et aboutie. Il faut donc un effort considérable pour transformer la matière. Ce n'est pas spontanée, c'est déterminé, Bergson parle de puissance d'agir (p111) ou de relation psycho-physiologique, c'est à dire l'action réciproque du corps et de l'esprit l'un sur l'autre (p131). Le point de départ d'un objet, qui est visible et palpable, est l'esprit, qui est invisible et impalpable. Penser ainsi, penser logiquement, nous replace dans la direction du divin, nous dit Bergson (p114). Toute la réalité observable est ordonnée, on parle de réglage fin. Rien n'est désordonné, instable et incohérent. C'est pourquoi, nous dit Bergson, que la cause de cette organisation ne peut pas être une cause aléatoire. Comment expliquer l'ordre tandis que le désordre ne réclamerait pas d'explication ? Et pourtant l'esprit moderne s'en contente. Il ne mesure pas véritablement l'intelligence et l'effort qu'il faut à la conscience pour agir sur la matière en vue d'un bien final. Et selon l'expérience, l'aléatoire n'organise pas. 

 

 Dès lors, d'où provient l'origine de l'ordre et l'origine de l'être (p118) ? C'est à partir de la critique de la raison pure d'Emmanuel Kant (ici) que l'idée de l'incohérence pour origine de l'ordre a fusé dans l'esprit moderne. Ainsi, le néant et le désordre sont devenus des explications possibles ou tout du moins concevables pour expliquer l'univers. Mais cette approche intellectuelle est de la pure théorie, un mirage d'idées, nous dit Bergson. Et pourtant, ce présupposé kantien va devenir le socle de la nouvelle pensée rationnelle. L'apriori kantien qui évacue l'idée de Dieu, c'est à dire d'une intelligence supérieure, par pur choix idéologique, va ôter à la métaphysique toute vitalité. La science ne demeure plus que la seule connaissance sérieuse (p120). Il n'y aurait donc pas de connaissance en dehors de la science. L'esprit moderne affirme donc, sans rougir, que le désordre précède logiquement et chronologiquement l'ordre. Selon Bergson et bien d'autres penseurs comme Claude Tresmontant (ici), philosophe français du XXè siècle, ce présupposé kantien est une manigance pour échapper à l'idée de Dieu. C'est une illusion intellectuelle fabriquée de toute pièce. L'esprit scientifique a donc écarté l'intuition métaphysique. C'est un rationalisme sec qui préside exclusivement à la connaissance de la matière pour la matière (p143).

 

 Pour conclure, il faut insister sur le fait que l'intelligence moderne a évincé toute possibilité divine. L'ouvrage de René Guénon sur le monde moderne (ici), et que l'on a déjà commenté, complètera l'analyse. L'intuition qui nous mène à avoir la foi en Dieu ou dans un esprit supérieur, est une très vieille programmation naturelle, elle est inscrite en nous comme par exemple l'instinct de survie. Et cette intuition nous relie invisiblement et intimement à Dieu ou du moins à l'idée de Dieu. Le besoin de Dieu se fait donc sentir quand le monde extérieur nous montre la réalité de notre impuissance. Ce besoin instinctif très puissant révèle une faim de Dieu. L'Eucharistie chez les catholiques, c'est à dire le corps et le sang du Christ qui est Dieu, autrement dit la transsubstantiation, est la preuve que Dieu a comprit qu'il fallait nourrir les affamés. En effet, avoir faim de Dieu, c'est l'envie de manger Dieu, c'est une faim naturelle et surtout spirituelle. 

 

Antoine Carlier Montanari

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