Ecrit Epistolaire (30) : Le Petit Chaperon Rouge
On peut, à l'aide d'un exemple, expliquer l'influence d'une histoire sur la psychologie d'un individu. Imaginons une mère, qui pour endormir son fils, lui narre presque tous les soirs l'histoire du petit chaperon rouge. Ce même fils, devenu adulte, développe une passion pour les Ferrari. Dans la mesure où le petit chaperon rouge agit en arrière-pensée, il traîne dans l’inconscient comme un archétype culturel et affectif. Bien entendu il n'est pas difficile de faire le lien entre le rouge symbolisé par la Ferrari et celui du petit chaperon. Ayant inconsciemment associé l'affection de sa mère à cette couleur, tout naturellement les formes séduisantes de la voiture lui rappelleront l'idéal féminin incarné par sa mère. De ceci, nous pouvons désormais comprendre que le fait de rentrer dans cette même voiture, symbolise le retour dans le ventre maternel, lieu éminemment précieux puisqu'il rappelle la vie, le confort, la sécurité et le bien-être. Cependant cette même voiture peut représenter le ventre du loup, effectivement ce dernier ayant dévoré la grand-mère, la voiture rouge est donc tout naturellement associée au sang et à la mort. Ce ventre est en quelque sorte une image mortuaire, une image du cercueil, tout comme la voiture accidentée dont la carrosserie froissée enferme le corps du conducteur ensanglanté. Nous pourrions longtemps disserter sur le sujet, il est cependant à noter que le loup à non pas mangé une jeune femme mais bel et bien une vieille femme en la personne de la grand-mère. On suppose ici que le choix d'une vieille femme symbolise la fin de l'existence, le fait que le loup veuille manger le petit chaperon rouge nous laisse à penser qu'à son tour, un jour ou l'autre, le petit chaperon rouge finira également dans un cercueil. La voiture symbolisant le lien entre le début de la vie, le ventre de la mère, et la fin de vie, le ventre du loup. De la même manière, la voiture lancée à vive allure sur l'autoroute, file aussi vite que la vie et sa trajectoire trace en quelque sorte la ligne du temps. Il est cependant difficile de déterminer avec exactitude les influences des mythes, des légendes et des contes sur les goûts, les envies ou les préférences d'un individu. On peut tout au plus déterminer les effets durables liés à la mémoire, c'est pourquoi, l'invocation du rouge dans le conte du petit chaperon n'est pas fortuite ou hasardeuse, cette couleur oriente inconsciemment la narration sur l'aspect sanguinaire de l'histoire. De même, la baleine blanche d'Herman Melville rappelle la blancheur de l'ivoire, de l'émail des dents et des os des squelettes. Melville nous ramène à la poussière, à la mort, à cette lumière blanche qui attire l'âme dès lors qu'elle quitte le corps.
De même les Simpson surent imposer durant près de trois décennies des couleurs vives et fluorescentes à des générations entières. Ces dernières furent donc prêtes, quand arrivèrent sur le marché, à porter des vêtements de couleurs fluorescentes. Si cette nouvelle tendance connaît désormais un vif succès auprès des jeunes comme des moins jeunes, ce phénomène inter générationnel démontre qu'il existe un rapport étroit entre la culture et la consommation. Si les Simpson ont renouvelé la palette graphique du dessin animé, les créateurs ont lié ces nouvelles couleurs au nucléaire. En effet, la centrale nucléaire de Springfield, trône comme une citadelle, toute la ville semble être sous son emprise, d'ailleurs, le personnage principal et le plus emblématique de la série, Homère Simpson, y a trouvé métier pour nourrir toute sa famille. Il semble donc que cette centrale exerce la même influence sur les habitants de Springfield que le soleil sur les planètes ou que l'atome sur les électrons. Indéniablement, les créateurs induisent ou même suggèrent que la couleur jaune vive des personnages, non naturelles pour des êtres humains, est le fruit d'une contamination ou même d'une irradiation. De la même manière, la jaunisse est le symptôme d'une maladie, qu'être pâle provient soit d'une grande peur ou soit d'une anémie et que rougir exprime la honte. Cette altération visuelle est donc bien l'expression d'une idiosyncrasie dont de dénominateur commun est la modernité exprimée par la centrale nucléaire, Marx parlerait d'aliénation.
Bien entendu, il ne peut pas être dit que tous les passionnés de Ferrari ou de voitures rouges ont développé cette même passion dans les mêmes circonstances que notre individu cité au tout début de ce texte. Il est possible que certains aient inconsciemment été inspirés par une toute autre histoire, celle du Père Noël. Autre exemple où le rouge joue un rôle essentiel. Avec son chariot, le Père Noël véhicule l’idée de vitesse et du bonheur matériel par la profusion de cadeaux contenu dans sa hotte. L’idée également de récompense puisque le cadeau offert par le Père Noël est conditionné au mérite. Avez-vous été sage durant l’année, as-tu bien travaillé à l’école ? La grosseur du cadeau est proportionnellement liée au mérite, de même, posséder une Ferrari témoigne d’une réussite professionnelle. Le Père Noël associe donc subtilement la vertu comportementale à l’avoir. C’est la naissance du Capital chez l’enfant, d’ailleurs renchérit par la fable de la petite souris dont la dent sous l’oreiller se change en argent.
Antoine Carlier Montanari