Un Livre Que J'ai Lu (179) : Textes Choisis (Thomas d'Aquin)
Tout obéit à l'argent, nous dit Thomas d'Aquin en faisant référence aux saintes Ecritures. L'argent, selon la très grande majorité des hommes, est maîtresse de la valeur et pour les plus inconséquents d'entre eux, elle attribu une valeur qui rend la marchandise digne d'être acheté. En ce sens, ces valeurs intermédiaires que l'argent procure sont insuffisantes parce que leurs imperfections n'apaisent pas la convoitise, elles suscitent des désirs toujours nouveaux. Seul le Souverain Bien, nous dit Thomas d'Aquin, qui est le Christ, est en mesure de désaltérer. Beaucoup également, trouve la béatitude dans les honneurs, ce sont des ambitieux car ils voient dans les honneurs des vertus. En réalité ces vertus sont attribuées par des hommes qui ne sont pas forcément qualifiés pour juger de ce qui est bien. Ces hommes qui ambitionnent les honneurs par dessus tout, jugent que les honneurs sont le fruit d'un jugement éclairé. Seule la source du bien véritable est en mesure d'offrir un jugement conforme à la vérité, en ce sens il n'est d'honneur véritable que celui offert par le Souverain Bien. Mais le monde, avec ses désirs déréglés, attribue bien trop souvent des mérites à des hommes qui volent leur réputation en trompant l'opinion. Nous sommes bien loin de produire un jugement sain, c'est pourquoi, le plus souvent, nous délaissons le Souverain Bien que nous estimons inateignable pour nous satisfaire d'un bien intermédiaire, d'un bien à vue d'homme parce que ce bien est immédiat. Cela nous satisfait tant que la maladie et la mort n'entrent pas en jeu, car la maladie et la mort dévitalisent les biens intermédiaires. Si donc le Souverain Bien est Dieu en Jésus Christ, il est cette gloire que les hommes doivent rechercher, c'est à dire qu'ils ont dans le Christ un modèle parfait à imiter. Car le Christ est un mouvement autonome centrifuge poussé qui produit une conscience du vécu réel qui dépossède fondamentalement l'existence de cette fausse conscience d'être au monde. Le Christ annihile le moi-monde.
En dehors du Souverain Bien, l'homme demeure donc en bordure de la vérité parce que le bien qu'il cherche n'atteint pas la cause première de tout, et en refusant d'admettre que cette cause première de tout soit Dieu, il prive sa raison de la compréhension du processus global de mise en mouvement des lois naturelles. Son esprit est donc coincé dans les limites de la matière puisque de vie spirituelle, il n'y en a pas. Sa compréhension n'est plus que vanité narcissique qui s'auto-alimente d'a priori philosophiques qui projettent de surpasser le mouvement réel du Souverain Bien. Son seul horizon n'est autre qu'un composé de matière. Et cette matière, nous dit Thomas d'Aquin, est centré sur elle même, c'est à dire qu'elle est sa propre fin. Sans le Souverain Bien, l'homme demeure dans les ténèbres de son propre raisonnement obscurcit par ses propres appétits inférieurs. Ainsi, dans toutes les sphères de représentativités sociales, comme le pouvoir, la justice, le droit et l'économie, l'homme, sans le Souverain Bien, ne pense pas au bien d'autrui. En effet, nous dit Thomas d'Aquin, nous prenons plus soin de ce qui nous est personnel que de ce qui appartient à tous.
Pour aider la conscience à imaginer un monde sans le Souverain Bien incarné par le Christ, la culture populaire du moment, très détachée du christianisme, offre un bon nombre de créations artistiques qui témoignent de cet état des choses. Prenez, par exemple, la célèbre série Trone de Fer imaginée par l'écrivain George R. R. Martin (ici). Voyez tout ce petit monde qui festoie et qui guerroie comme nos ancêtres. Voyez leur manière d'être qui est celle dictée par les lois naturelles. Rien de plus normal, sauf que tout ce petit monde est resté dans ses appétits inférieurs, figé dans une expérience d'être orgueilleuse où aucun Souverain Bien ne s'est révélé à lui. Le déroulé historique de ce petit monde n'est qu'une lente progression de la nature sensible et surtout irrascible de l'homme. Personne n'a conscience que la société dans laquelle il s'agite est toujours portée par des vivants qui ont des moeurs statiques définit par les contraintes immédiate des lois naturelles. Tout ce petit monde erre dans un cycle historique répétitif qui le fait retomber systématiquement dans l'animalité à forme humaine et condamné à vivre selon un cycle naturel orienté vers des oppositions internes et externes perpétuelles. Rien ne vient l'émanciper de ce tout organique primitif, tout juste des religions archaïques qui se développent autour d'elles-mêmes comme autant de pseudo-vérités et qui offrent le spectacle dégénéré de superstitions accumulées qui sous forme de fétiches et d'idoles promettent la vengeance à visage couvert. Tout ce monde féodal qui est féodal perpétuellement, exploite la puissance universelle du pouvoir avec une obscurité concentré sur un seul trône qui en réalité est le symbole de l'obssession de la mort. Toutes choses terrestre s'acheminent seulement vers cette corruption. C'est un mouvement historique figé dans l'état de domination absolu et qui demeure une préhistoire à visage féodal coincée dans une réalité sans transcendance aucune qui ressemble fortement à cette époque antédiluvienne.
Ainsi, ces peuples qui n'ont pas de Christ, ni de métaphore du Christ, sont donc condamnés à se comporter comme la nature le leur commande, ils se dirigent aveuglément vers des fins qui leur sont propres. Dans ce monde parallèle, l'auteur, George R. R. Martin a exclu le principe de salut universel qui doit affranchir l'humanité de ses vieilles programmations animales. C'est le spectacle du temps chosifié qui ancre le sort de cette humanité dans une immobilité historique qui affirme le monde comme étendue de la vérité. C'est le temps spectaculaire du mythe où l'homme se développe comme un complément consommable de l'histoire pratique et stérile. Ce qui a été représenté comme une vie réelle se révèle simplement comme le déploiement du vivant mort, c'est à dire comme le vécu dramatique sans principe téléologique. Les pseudo-événements relatés par l'auteur s'additionnent dans la fausse mémoire du spectaculaire pour développer une fausse conscience de l'histoire. La part irréductiblement biologique domine outrageusement pour proclammer la victoire du nihilisme historique. Cette rencontre de l'histoire sans âme avec l'histoire réelle certifie l'athéisme comme mutation obligée. Cette part falsifiée du monde dérobe au temps historique purement humain l'intemporalité divine qui a surgit matériellement il y a environ 2000 ans. George R. R. Martin en n'ayant pas offert à son humanité un principe absolument parfait, un principe d'Amour inconditionnel et sacré bâtit sur le modèle christique - la condamne à errer dans l'obscurité de son intelligence primitive. C'est le scénario d'une programmation nihiliste qui a condamné tout un petit monde à devenir le spectacle désenchanté de l'intérieur d'homo sapiens sapiens mal dégrossis et où les jeux de pouvoirs les plus savants sont aussi les plus abjectes.
Pour résumer, si notre monde n'avait pas connu le Christ, il serait à l'image de celui de George R. R. Martin. En effet, sans le Christ, notre monde serait plus identique à lui-même, où les forces techniques de l'économie capitalistes contiendraient le seul principe de réalisation individuel et collectif et où la force dépasserait partout le droit parce que l'instinct mauvais chez l'homme qui est plus puissant que le bon n'aurait pas été sanctionné par le jugement du Ciel. Le Christ est ce frein à la force brutale parce qu'il est l'expérience concrète de l'annihilation de la force par l'Amour. Il est l'accomplissement du Souverain Bien et le chef d'oeuvre de la toute puissance divine qui affirme l'amour comme principe téléologique, c'est à dire comme finalité objective et inconditionnelle. Le surgissement du Christ dans l'histoire de l'humanité a donc fait sortir l'homme de l'inertie de la mécanique des lois naturelles. Ce processus de conversion émancipe l'homme du champ de la vie pratique pour qu'il devienne cet homme nouveau qui ne vit plus simplement de la chair, mais de l'esprit. Dans cette réalité observable de l'histoire, cette puissance de réalisation a surgi en réinitialisant l'échelle du temps historique. Ce surgissement a isolé en arrière plan du point 0 historique, le vieille manière d'être animale de l'humanité pour constituer une nouvelle architecture anthropologique qui progressivement va éloigner cette même humanité de cet état d'animalité contrainte par la loi naturelle. Le Christ est cette puissance de conversion qui pousse l'humanité à aller graduellement de l'imparfait au parfait.
Mais le lecteur, pour réaliser pleinement l'ampleur de l'intervention du Christ dans l'histoire de l'humanité, devra lire Simone Weil, la philosophe, René Girard et Claude Tresmontant (ici). Le lecteur ne peut pas se contenter de la réflexion que je viens d'énoncer, il devra réellement prendre en compte l'immense pensée de ses trois auteurs qui ont réflechi longuement sur cette expérience d'être unique qui a radicalement changé l'humanité. Par opposition, cette digression portée sur l'oeuvre de George R. R. Martin révèle tout l'imaginaire de l'esprit athée qui aboutit forcément au déploiement incessant de la lutte immédiate pour la survie. La totalité des efforts est concentré sur des projets de domination qui définissent un système universel de la production du pouvoir pour le pouvoir lui-même, c'est à dire que l'insatisfaction est devenue matière première. La passion de dominer est donc au coeur de l'oeuvre de George R. R. Martin, sans qu'un seul Thomas d'Aquin qui est né en 1225, c'est à dire une période de notre histoire qui correspond à celle de l'oeuvre en question - intervienne pour édifier le récit. On y voit des maistres qui tout au plus n'ont amassés comme savoir que d'ordinaires réflexions réhaussées par quelques sentences bien tournées et qui soupoudrés par intermittence, semblent offrir au narratif un fond universitaire. Par comparaison, j'invite le lecteur à visionner le long métrage Malmkrog réalisé par Cristi Puiu, sorti en 2020 (ici). C'est l'adaptation des trois entretiens sur la guerre, la morale et la religion de Vladimir Soloviev. Cette oeuvre est nourri d'une immense qualité de dialogues qui donne une idée de l'ampleur de la théologie chrétienne qui, quand elle s'inscrit de manière assumée, dans un narratif comme les frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski, pour donner un second exemple - consume l'ensemble des préstations nihilistes de la culture moderne.
Thomas d'Aquin (ici), qui est un philosophe et théologien catholique italien du 13ème siècle, a puisé chez Aristote une manière de penser qui l'a amèné à écrire la célèbre somme théologique. Sorte de cathédrale gothique intellectuelle, la somme théologique constitue un empire de réflexions théologiques et philosophiques qui allie la pensée aristotélicienne et la théologie chrétienne. La raison est la pierre angulaire de la pensée de Thomas d'Aquin, et c'est sous son éclairage que l'homme doit discerner le bien du mal, non seulement à la lumière de la loi naturelle en percevant correctement les inclinations de cette dernière, mais également à la lumière de la Révélation qui dicte des lois pour guider les âmes vers la béatitude. Thomas d'Aquin sera proclamé docteur de l'Eglise en 1567 par le pape Jean XXII et en 1879, le pape Léon XIII déclarera sa doctrine comme doctrine officielle de l'Eglise catholique. Ce petit ouvrage ne donne qu'un léger aperçu de l'immense réflexion de Thomas d'Aquin qui est une pierre angulaire de la pensée philosophique occidentale, laquelle n’a jamais pu par elle-même dépasser la théologie catholique. C'est pourquoi l'accéptation béate d'une culture dechristianisée, aussi spectaculaire soit-elle, ne raffine rien d'autre que la matière recyclé destinée à la percéption jouissance que plébiscite la vie loisir. Il est entendu que cette culture règne parce qu'elle est jeune et en permanence, elle se chasse elle-même pour se remplacer aussitôt.
Antoine Carlier Montanari
Ce sont des choses qui règnent et qui sont jeunes ; qui se chassent et se remplacent elles-mêmes.