Un Livre Que J'ai Lu (178) : Le Diable Amoureux (Jacque Cazotte)
Je suis le Diable, je suis le Diable avoue la belle Biondetta à son amant avant de lui dire que ce corps dont il chérit la beauté est ce moyen idéal pour le tromper. L'auteur, Jacques Cazotte, qui affirma que la Révolution française était une gigantesque incarnation de Satan, nous conte l'histoire d'un certain Alvare qui par une obscure circonstance, devint le jouet d'un esprit maléfique. Cette nouvelle, écrite en 1772 et qui rendit son auteur célèbre, tend nostalgiquement vers un esprit romantique à travers un certain état de sensibilité qui va vraiment éclore vers la fin du XVIIIème siècle. Cet état de sensibilité est nourri de charmes magiques où le fantasme poétique métamorphose le laid en formes matérielles admirables et exalte le rêve dans un narratif sans véritables limites précises, où le diable, pour paraphraser l'auteur, revêt toutes les graces dont les hommes sont idôlatres. La séduction mouvementé de la perfidie, ce que l'on peut appeler la fascination de la corruption, plus qu'exquissées par l'auteur est ici mis en valeur à travers cet amour des ténèbres qui revêt la beauté de la femme pour aboutir à l'horriblement beau que John Milton déploya de manière lyrique dans son Paradis Perdu.
L'ignoble comme le répugnant habitent la beauté dans une étrange relation qui entre volupté et douleur forme les ornements d'une dialectique de la mort. Cette esthétique de l'horrible est cette nouvelle sensibilité évoqué plus haut et qui en demeure dans la puissante coquetterie de la femme, va se déployer en occident pour introduire l'amour de la créature déchue. Ce romantisme qui parle une langue des obscurités se nourrit d'une imagination déréglée que Goethe désigna comme malade. Ce petit ouvrage de Jacques Cazotte, peut être mis en rapport avec L'étrange histoire de Peter Schlemihl d'Adelbert von Chamisso, que nous avons commenté précédemment (ici). Ces deux récits offriront au lecteur la figure d'un pouvoir despotique qui n'est qu'un agglomérat de jouissances illusoires. Ce troubadour aux masques multiples est, au point de vue de la vérité, le chef d'orchestre de la défaite morale de la bourgeoisie.
Cette Biondetta, qui je le rappelle est cette incarnation du diable, est donc une chose contre nature qui fut, avant d'être femme, chameau et épagneul. Elle devint faible, pusillanime et opprimée pour décourager de la vertu. Notre auteur en a fait une femme persécutée qui adopte servilement la position de l'impuissance afin de susciter chez son amant, un amour odieux. Cette femme ingénue est la formule qui fait gagner le diable. Ce dernier s'est prodigieusement raffiné sur la manière de posséder les âmes, et la femme qui est suprême volupté, est sa pièce maîtresse pour perdre les hommes. N'oublions pas, pour le symbole, que c'est par la main de Eve, que Satan fit mordre la pomme à Adam. A ce propos, Léon Tolstoï ne trouva d'autre mot, pour en désigner le principe, que celui de Diable (ici). Le personnage de Tolstoï, à savoir Irténiev, est mû par une force qui le tient et le remue pour lui faire perdre la tête. La femme qu'il désire bouillonne dans ses veines et le possède comme le ferait un maléfice. Cette femme vieilli entre les mains de Satan est ce miel qui piège les hommes comme des mouches. Notre auteur a donc fait prendre corps de femme au diable pour témoigner des risques que causent l'assouvissement débridée des élans naturels. En procédant de la sorte, en envoûtant les hommes par son sexe, la femme assied sa domination et son emprise. Quand Biondetta dit à Alvare, après lui avoir avoué être le Diable, qu'il est un petit homme et que son espèce echappe à la vérité, c'est l'auteur qui s'adresse au lecteur. Cette autre parole, non moins corrosive, "ce n'est qu'en vous aveuglant qu'on peut vous rendre heureux.", révèle le mécanisme de perfidie, de sournoiserie ou de malignité que le sexe faible déploie pour des raisons qui lui sont propre. Ce pouvoir presque hypnotique que possède la femme est une pouvoir que le diable connait et qui n'est jamais loin chaque fois que la femme en use.
Peut-être que cette Biondetta qui est le mal séduisant, est l'image avant l'heure de la révolution française. Cette sorte de Fétiche que la République a nommé Marianne et que Delacroix fit marcher sur un tas de cadavres, peut être apparenté à cette Biondetta. Quoi qu'il en soit, pour ne pas rester prisonnier de cette vision médusienne de la femme, nous verrons dans une prochaine fiche de lecture (ici), comment deux femmes de lettre, Catherine Clément et Julia Kristeva, ont creusé l'esprit féminin pour en extraire une aura reflétant une clarté qui pénètre non pas les hommes, de délices que l'on devine, mais d'une essence spirituelle voire thaumaturgique, c'est à dire miraculeuse. Cette autre nature de la femme est incarnée par la Vierge Marie, qui selon Julia Kristeva, est l'agent principal de cette entente entre le dedans et le dehors, de cette restauration narcissique. C'est encore elle qui impose cette tonalité sereine à l'humanité.
Antoine Carlier Montanari