Un Livre Que J'ai Lu (196) : L'élaboration De La Pensée Par Le Discours (Heinrich von Kleist)
Ce tout petit ouvrage de Heinrich von Kleist va nous permettre d'introduire le thème de la psychée, c'est à dire de l'activité mentale. Heinrich von Kleist (ici) est un écrivain, poète, essayiste et dramaturge prussien qui vécu à cheval entre le XVIIè siècle et le XVIIIè siècle. Son oeuvre est consistante et parmi l'écriture de pièces de théâtre il s'est aventuré à expliquer la pensée, l'âme et le bonheur. A la suite de cet ouvrage nous commentrons le fameux "Abrégé du Traité de la nature humaine" de David Hume (ici). Ouvrage qui témoigne des facultés de l'esprit avec lesquelles l'homme appréhende son environnement. Nous ferons place ensuite à la pensée d'un certain Henri Bergson. Mais attention, la pensée de ce philosophe français est revêche et parfois rebutante. Nous allons donc étudier 4 de ses oeuvres (ici), à savoir "La conscience", "Intelligence et intuition", "Le rêve" et enfin "L'âme et le corps". Celles-ci ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Cette pensée est assez labyrinthique, en effet, la phraséologie employée semble s'endormir dans l'abstraction, et cela peut très vite décourager le lecteur. Nous essaierons tout de même d'en extraire quelques définitions.
Heinrich von Kleist nous dit que l'idée vient en parlant. La discussion est comme une centrifugeuse où se créait une dynamique mentale stimulant la vie des idées. On peut parler de jaillissement et même de surgissement des idées. Ce processus cinétique mental s'extériorise à travers une balistique sonore des mots. L'interaction qu'offre la discussion est un lieu de transfert et d'introjection rapide de la pensée, créant ainsi un mouvement ardent qui stimule la réflexion des personnes qui discutent. Ce systéme d'échange cognitif allume le feu de la réflexion, c'est en quelque sorte un facteur d'excitation des synapses. Dès lors, l'esprit est traversé par des idées de toutes sortes. La discussion dynamise la réflexion et offre l'opportunité de s'approprier des idées nouvelles, elle est une dynamique croissante de la pensée. Le langage est donc fondamental dans l'épanouissement de l'individu.
Mais il arrive que l'individu soit dans l'incapacité d'exprimer clairement ses idées. Traduire oralement sa pensée peut s'avérer compliqué. Les personnes qui formulent très incorrectement leur pensée parce qu'ils ne maîtrisent pas l'expression orale, ne sont pas en mesure de défendre convenablement leurs idées, ceux-là sont voués à la frustration et à l'humiliation. Pour eux la langue n'est pas comme ce plateau d'argent qui porte avec élégance les mets que l'on va servir aux convives. A l'inverse, les personnes qui savent s'exprimer clairement prendont un avantage certain dans la discussion et davantage s'ils parlent plus vite. En effet, le temps est un facteur précieux dans la discussion. Celui qui n'arrive pas à s'accorder au rythme de la discussion sera considéré comme décalé et donc inefficace. La préparation de l'esprit à la joute verbale est donc plus que nécessaire. L'hésitation est vite repérée, la confusion également, ce sont des défauts qui ne pardonnent pas. Mais pour autant, l'art de bien dire peut très bien servir les idées malhônnetes. En effet, un homme qui tient pour talent l'éloquence peut, même s'il n'aime pas la vérité, défendre habilement la vérité pour apparaître aux yeux de tous comme une personne aimant la liberté. On peut alors dire, à propos de la parole, en reprenant un certain Charles-Maurice de Talleyrand, qu'elle est l'instrument donné à l'homme pour déguiser ses pensées.
Mais pour un grand nombre de personnes, la parole précède la pensée. C'est à dire que ces personnes parlent de manière automatique. Leurs propos ne sont pas issus de la réflexion mais d'un instinct verbal. Elles interviennent en énonçant des expressions préfabriquées que l'on peut nommer "idées toutes faites". Et ces personnes ne réalisent pas qu'elles parlent pour ne rien dire et que ce qu'elles disent est d'un commun achevé. Ces propos préfabriqués sont des formules et des expressions communes qui véhiculent des idées familières et ordinaires. On peut citer, par exemple : " Que veux-tu qu'on n'y fasse ? " ou bien " C'est comme ça aujourd'hui " ou encore " Il faut faire avec ! ". Cette pensée instinctive et automatique est présente dans tous les esprits mais c'est chez les personnes les plus ordinaires qu'elle est la plus vivace. Ces personnes ordinaires sont dans l'incapacité de discuter de choses complexes, leurs pensées sont réduites à ces expressions toutes faites, elles ne construisent que très rarement des formulations pertinentes. Avec ces personnes, la discussion est limitée. Leur incapacité à construire des phrases, parce que cela leur demande un trop grand effort, les oblige à ne dire que des banalités. Seule leur intuition leur fait atteindre quelques notions complexes mais cela demeure dans la conscience de manière superficielle. Elles formulent donc approximativement tout ce qu'elles pensent. Et pour s'assurer que leurs interlocuteurs ont bien compris ce qu'elles ont affirmé avec imprécision, elle leur demande, "Vous voyez ce que je veux dire?". Si une conclusion devait s'imposer, on dira que la pensée s'éprouve à travers la discussion. Elle trouve alors la possiblité de se confronter pour se comparer et s'améliorer. Ainsi la discussion est le théâtre de la pensée et plus encore celui de la volonté.
Antoine Carlier Montanari