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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

01 Apr

Un Livre Que J'ai Lu (195) : La Part Du Diable (Michel Maffesoli)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #MICHEL MAFFESOLI, #Un Livre Que J'ai Lu

 

 Le rapport du monde au mal a changé. Les occidentaux, en particulier, n'adhèrent plus à l'idée du mal démoniaque. Le monde moderne a dépossédé le mal de son maître, le mal n'est plus qu'une variable. Toutefois, nous dit Michel Maffesoli, derrière ce mal accidentel, se cache une sagesse démoniaque (p38). Celle-ci est relativiste, elle défonce l'enceinte du bon sens pour instituer une pensée inexpérimenté qui pousse à consommer des objets idéologiques angoissants comme par exemple, le réchauffement climatique, le wokisme et le transhumanisme. Cet humanisme progressiste établie sa politique sur l'anomalie. Les sociétés modernes, empétrées dans la politique du laisser-faire ne résistent donc pas à cette mise à jour du mal. Cette ouverture d'esprit, nous dit Michel Maffesoli, entraîne donc l'ensauvagement de la société, voire de la vie (p40). Cet ensauvagement se traduit à travers les désordres comportementaux qui se déploient dans les boîtes de nuit, les concerts et autres festivales trans. Ces distractions rappellent certains rituels primitifs où les hommes se reliaient entre eux par l'animalité humaine (p43)

 

 Les pratiques païennes et primitives reviennent donc en force. Tout l'être se déchaine dans le bruit, les rythmes, les excitants modernes, les psychotropes et autres substances hallucinogènes. Charles Baudelaire, dans ses fleurs du mal, dit du diable qu'il est ce savant chimiste qui vaporise le riche métal de notre volonté. Tous ces Adam et toutes ces Eve sont l'attraction terrienne du diable qui sans peine, avec un art de la séduction qui lui est propre, rend la morbidité attirante pour faire basculer la jeunesse dans une sensibilité raffinée du mal. C'est tout un art de vivre qui a prit forme. Cet art exploite la sympathie et l'empathie pour le morbide sublimé. Il met en scène le sauvage, le barbare, le démoniaque et toutes les fantaisies genrées du transhumanisme afin qu'à travers eux s'exhibe dans une vitalité hystérique, le mal festif. C'est l'homéopathisation du mal, nous dit Michel Maffesoli (p65)

 

 C'est à partir de cette coupure radicale, nous dit l'auteur, que s'élabore un nouveau bien et un nouveau mal (p47). Le bien c'est ce que je veux.  Il n'y a donc plus de confrontation au monde souterrain, la descente intellectuelle aux enfers n'est plus un moment d'initiation. Le voyage de Virgile et de Dante n'est plus qu'un folklore poétique. Pourtant, ce grand trajet anthropologique qui repose sur une connaissance du mal originel, est un savoir pour l'âme que bien des poètes, après le florentin, reprirent pour éclairer l'humanité de cette vérité obscure mais salutaire. Car, pour nous autres chrétiens, la solution est dans notre Dieu. En effet, Dieu s'est fait homme en Christ et pour notre salut est descendu aux enfers, après avoir exposé son corps à des brutalités que très peu d'hommes auraient pu supporter. Le monde moderne en se désolidarisant du judéo-christianisme s'est également désolidarisé de la figure de Satan, c'est ainsi, et c'est là l'oeuvre du diable lui-même, que le mal a perdu son autorité spirituelle. En s'annihilant dans l'esprit des hommes, Satan a masqué son dessein. Ce qui donne à penser, nous dit encore Charles Baudelaire, que le Diable fait toujours bien tout ce qu'il fait!

 

 Eros, dieu primordial né du chaos et dieu de l'amour, est le fils imaginé pour les hommes par Satan. Ce jeune dieu sorti du chaudron de l'enfer, masque ce qu'incarne Satan, à savoir la haine. L'amour et la jeunesse ne sont que des images éblouissantes brodées sur un mal complexe et stratège. Ce dieu primordial est installé sur une fontaine située à Londres du côté sud-est de Piccadilly Circus (ici, à gauche) et son père, le nommé Lucifer, devenu Satan, est quant à lui installé au sommet de la colonne de juillet située sur la place de la Bastille à Paris (ici, à droite). Cette jeune chair est le théâtre phallique de la grâce satanique. Elle est une source d'inspiration pour cette jeunesse en quête de sens, qui cherche un contrepoids à l'agaçante expression de la morale judéo-chrétienne. Le très sublime Lucifer et son rejeton Eros incarnent donc l'amour au niveau de la plus basse réalité, contrairement à la Sainte Trinité, qui formé du Père, du Fils et du Saint-Esprit constituent l'amour spirituel, l'amour inconditionnel. Ce qui conduit à cette phrase inscrite sur la porte des enfers qui accueillit Dante et Virgile, "Ce sont la première Sagesse et le premier Amour qui m'ont créé". Si l'auteur de ces mots est bien Satan lui-même, le scandale essentiel, nous dit Michel Maffesoli, est de nous dévoiler Dieu sous un angle différent. En effet, c'est du sein profond de Dieu qu'a surgit l'archange rebelle. Dieu a expulsé ce mal avant de le jeter dans l'étang de feu prévu pour y accueillir toutes les âmes refusant d'aimer. Mais succède à ce dépouillement un autre dépouillement. Dieu s'est alors fait chair en Christ, et, se dépouillant lui-même, lui qui est de condition divine, a prit la condition d'esclave, pour devenir semblable aux hommes. Puis se comportant comme un homme, il s'humilia encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur la croix! Dans la théologie chrétienne, cette notion est appelée Kénose, qui vient du grec ancien, Kenosis, qui signifie "action de vider, de se dépouiller de toute chose."

 

 Le mal constitue un état d'être qui nous pilote depuis la naissance, c'est une programmation archaïque transmise génétiquement lors du péché originel. Mais un second état d'être qui s'est développé dans l'humanité à partir du décalogue et des évangiles, corrige le premier état d'être. Cette programmation biblique neutralise le mal qui sévit à travers notre part animale. Satan est véritablement à l'oeuvre à travers cette programmation archaïque qui nous remue de manière pulsionnelle. L'instinct c'est la part de Satan et le Christ est venu pour nous émanciper de cette instinctivité animale.

 

 En effet, en reprenant saint Augustin, la croix est un véritable appât qui piège Satan à son propre jeu (p114). C'est donc dans le premier état d'être que se niche le mal, ce que Claude Tresmontant nomme, la vieille programmation animale. Et c'est elle qui nous maintient dans l'animalité. Nous la voyons tordre les corps sur des musiques tribales, leur faisant adopter des contorsions inappropriées qui ressemblent étrangement à celles des corps possédés par le diable. S'explique alors la fascination qu'exerce sur le monde occidental, les éthnies conservés dans leur écrin de primitivité. L'archaïsme anthropologique est devenu une terre rare avec laquelle les occidentaux de gauche, expriment toute leur haine d'eux-mêmes. Il y a véritablement identification à l'animal, à la forme animale et finalement à cette bête qui dans l'apocalypse de saint Jean a sept têtes et dix cornes. Dans la culture populaire, elle prend des formes variées, mais au fond c'est toujours la même, c'est l'image du cauchemar, du mal qui fait forme de l'apothéose pour subjuguer. Le mal a donc donné des contours à sa nature affreuse, à l'instar de Dieu qui a donné à l'Amour l'image de son Fils. Ce deux représentations sont fondamentales puisqu'elles constituent les deux plus grands archétypes de la pensée occidentale. 

 

 C'est dans ce conflit qui oppose le bien et le mal que s'exerce la liberté de l'individu. Quand le mal prend le dessus, l'inconstance, l'instabilité et l'irrascibilité forment une zone de frustration irréprimable. Surexcitation et excès affectifs sortent désormais du territoire de l'intimité pour se théâtraliser dans la vie publique. Les rodéos urbains sont un exemple de cette extériorisation du "moi-spectacle". La télé-réalité offre également un terrain de jeu au "moi écervelé" (p149, p232). Les médias sont devenus le moyen de transport privilégié de ces masses de démons intérieurs incapables de rester en place. Les médias sont des autoroutes sans péages où le démonisme circule avec une aisance infernale. L'écran fait désormais la courte échelle au mal en permettant au marché du vice de s'étendre. 

 

 La masse média est devenu le relais mondialisé du scandale. Cette nouvelle communion autour du péché est un vitalisme social assez obscure qui rappelle la ferveur de la plèbe romaine dans les cirques. Ce besoin fort de jouir du scandale, développe une organicité pulsionnelle qui pousse au délire afin que chacun s'éclate. Tous sont possédés par ce qu'ils croient contrôler. Le fétichisme du buzz est le spectacle de l'incompréhension profane. Au fond, seul le mal a progressé. Il a fait de l'immense concert de matériels de communication, une spiritualité technique qui offre l'illusion d'un supplément d'âme (p228). Evidemment, cette communication/communion singe la communion des saints dans un foutoir expansif.

 

 Silène du sculpteur Jules Dalou (ici), ivre sur son âne et difficilement maintenu par une nymphe, des hommes et des adolescents, incarne la part animale de l'humain. Et tout ce petit monde concourt à la constitution d'un corps collectif, celui d'un Soi global, intégrant la bestialité et la grossièreté que la civilité ordinaire s'emploie à masquer. C'est ainsi, nous dit Michel Maffesoli, que tout un chacun s'éclate et c'est dans les failles créées par cet éclatement que s'expriment les humeurs mauvaises. C'est l'éclatement du soi individuel dans le soi collectif, le soi plus global où les individus qui tentent de maintenir Silène sur son âne, sont l'expression d'une société désarticulé et prête à s'écrouler du fait d'avoir pour dirigeant un être possédé par son animalité. Ce côté primitif et instinctif qui est à l'oeuvre dans la vie sociale fait sens en ce sens que c'est dans l'alchimie de la raison et de la confusion que se définie la nature humaine. L'homme, peut-on dire, est le terrain de jeu de ces deux états d'esprit. C'est véritablement à l'intérieur de l'homme que se combine le bien et le mal et qui souvent se serrent les coudes en vue d'un bien qui n'est pas le bien avec un grand "B". Combinaison qui se retrouve dans cette fameuse formule attribuée à Nicolas Machiavel qui dit que la fin justifie les moyens.

 

 Silène détient le secret du vin et ayant un don prophétique qu'il refuse de partager, le Roi Midas l'enivre pour lui extorquer sa sagesse. Silène se dégrade et devient loque humaine. L'esprit n'est plus au contrôle. La sagesse est ici toute vaporisée, l'animalité humaine a repris le dessus. Et dire que des nymphes confieront à cet ivrogne notoire, Dionysos enfant pour qu'il s'occupe de son éducation.

 

 Dionysos que Michel Maffesoli incrémente régulièrement pour ombrager son analyse, est le dieu de la vigne, du vin et de ses excès, de la folie et de la démesure. Le dessin d'André Masson (ici) qui illustre la première de couverture, caricature Dyonisos dans un syncrétisme visuel presque apocalyptique. Dans sa main gauche il tient fermement une branche de vigne déracinée qu'un serpent enroulé autour de son mollet gauche observe avec la tête parfaitement verticale. Cette racine qui frôle la tête du reptile, rappelle que le mal va à la racine des choses. L'aspect chtonien du mal se retrouve dans ce fruit de la terre qui expulsa Adam et Eve du jardin d'Eden. Le serpent est donc bien à l'origine du malheur de l'homme. Cette déchirure se retrouve au niveau de la lame du couteau qui coupe Dionysos en deux. D'un côté la vie avec le sarment dans la main gauche et de l'autre côté la mort avec le couteau dans la main droite. Mais c'est avec cette pseudo feuille de vigne représentant la fameuse gorgone qui d'un seul regard pétrifie les hommes la regardant, qu'André Masson rend sensible le péché originel. La queue du serpent qui lutine le sexe gorgonien de Dionysos est l'expression de l'excitation phallique provoqué par Satan pour perdre les hommes. En effet, le sexe de la femme est un piège qu'André Masson identifie à la figure de Méduse. C'est par cet orifice couronné de serpents que Dionysos fléchi, rendu impuissant par cette force libidinale et monstrueuse qui réduit l'homme à son cerveau reptilien.

 

 Nous conclurons avec l'idée que le mal ne peut être durablement étouffé. Cette part dont parle abondamment Michel Maffesoli, s'emploie à réduire la vérité au vraisemblable et la réalité à la percéption. Dans l'affaire Lemoine (ici), Marcel Proust, à propos d'une pièce de théâtre d'un certain M. Bernstein, explique que celle-ci fourmille d'invraisemblance, mais sur un fond de vérité, ajoutant qu'une bonne moitié des comédies d'Euripide, fourmillent de vérités, mais sur un fond d'invraisemblance. Cette question d'invraisemblance ne change pas grand chose, nous dit Marcel Proust, sauf de laisser s'aggraver considérablement l'invraisemblance. L'homme doit donc tendre vers la vérité et celle-ci doit être un point de mire fixe et immuable. Quand le Christ dit qu'il est le chemin, la vérité et la vie, il offre à l'humanité ce point de mire fixe. Et ce point de mire fixe a été si percutant qu'il a réinitialisé l'histoire de l'humanité. On peut regretter que Michel Maffezoli n'aborde pas ce point pour résoudre ses exercices de l'esprit qui ont atteints une telle subtilité qu'il lui est devenu impossible de se rien prouver à lui-même. 

 

Antoine Carlier Montanari

 

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