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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

22 Feb

Un Livre Que J'ai Lu (114) Le Silence Des Livres (George Steiner)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #George Steiner

 Dans ce petit ouvrage, l’auteur, George Steiner, rappelle à la manière de José Ortega y Gasset, que notre identité, celle de l’occidentale, a une double source, à savoir Jérusalem et Athènes (p9). L’expérience d’être du Christ et l’expérience d’être de Socrate agissent en nous comme des passés vivants dans le présent. Ces deux destins dont l’un fut élogieux et exemplaire et l’autre didactique,  forment les deux grands archétypes de la parole donnée. L’oralité du Christ et l’oralité de Socrate ont atteintes les cœurs et les esprits avec une telle intensité qu’elles ont générés une textualité universelle. Nous sommes donc en présence d’une parole vivante, agissante et pénétrante. L’écrit fut alors nécessaire et Jésus s’entoura d’apôtres écrivains afin que ses mots résonnent éternellement à la conscience des hommes. Les évangiles sont donc devenus des témoignages écrits avec lesquels des milliards d’individus ont donné du sens à leur existence. A cette écriture sainte sont venus se greffer les lettres de Paul apôtre et les visions apocalypticiennes de Jean. C’est le temps naissant de l’Eglise de Rome et autour de laquelle auréole le génie littéraire de saint Augustin et de saint Thomas d’Aquin (p20). Ce temps de l’écrit, ce temps de la parole gravée, c’est le temps du catholicisme savant, avec son superbe enseignement et ses doctrines sophistiquées. En d’autres proportions, les écrits d’Homère n’en furent pas moins déterminant dans l’évolution historique du monde. Le père des dieux et des hommes devint cette entité prestigieuse si puissante qu’elle orienta en force le valeureux Achille dont les exploits mirent en marche trois des plus grands empires, celui d’Alexandre, celui de César et celui de Napoléon. Ce temps de l’écrit, ce temps du livre, c’est le temps de la maturité, le temps de la mémoire couchée sur du papier, le temps des bibliothèques et des écoles, le temps de l’instruction et enfin le temps de la civilisation.


 L’acte de lire a nécessairement besoin de silence (p23), le lieu de la lecture est donc la demeure, tout comme le musée et le monastère par ailleurs, du silence avec lequel le lecteur reçoit de chacun des livres qu'il lit une puissance intellectuelle qui féconde en lui cette même sagacité qu'Aristote vante afin de devenir heureux. La bibliothèque est un haut-lieu de la civilisation que la bourgeoisie occidentale affectionne et entretient pour ne pas que domine l’esprit de  vulgarité et de barbarie. La bibliothèque est donc la possibilité de la réflexion, de la méditation, de la pensée en mouvement, elle est le signe intérieur d’une richesse d’esprit et d’un certain art de vivre. Dans les grandes villes et surtout dans les capitales, la bibliothèque est une institution qui témoigne de la volonté d’un état de s’armer intellectuellement. Paris, pour exemple, possède plusieurs dizaines de grandes bibliothèques dont la salle Labrouste du site Richelieu, la bibliothèque sainte-Geneviève et la bibliothèque François Mitterrand (BNF).

 A ce propos un article du Monde, intitulé "La bibliothèque, c'est à la mode" (ici, à l'écran et derrière l'ouvrage de George Steiner), paru le vendredi 3 janvier dans le supplément du journal, Le Monde des livres, dévoile la profanation de ces nobles institutions par le Capital. Le journal le Monde, à travers sa journaliste, ne semble même pas s'en émouvoir, la logorrhée de cette dernière ne fait que justifier l'intrusion de la société du spectacle dans la bibliothèque. Outre l'exposition à la BNF "Tolkien, Voyage en terre du milieu" qui a drainé jusqu'à 1800 entrées par jour, la journaliste nous liste toute une série d'événements dont la nature est totalement contraire à l'esprit du lieu dont le rôle, je le rappelle,est d'offrir, outre des livres, du silence. On apprend ainsi que des concerts de rock n'roll, des animations de toutes sortes et des défilés de mode investissent les bibliothèques afin de renflouer les caisses. Les bibliothèques sont ainsi devenus des annexes du Capital. Cela est à mettre en parallèle avec les immenses panneaux publicitaires qui couvrent les grands monuments parisiens durant leur rénovation et qui imposent à tous les regards des marques commerciales à fort indice boursier. On peut ainsi constater sur la photographie qui illustre notre article, la promotion d'une marque de vêtements sportif très célèbre dans la prestigieuse salle Labrouste du site Richelieu à Paris, et qui catapulté au devant de la scène par un mannequin, sert de faire valoir mondain à une chanteuse noire américaine sans grand talent artistique. Cette hybridation du savoir et du spectacle est la preuve que le savoir dépend de l'économie et que la puissance souterraine du Capital investi désormais, avec la complicité des journalistes et des politiques, le champ de l'esprit. La journaliste Virginia Bart, nous explique même que la bibliothèque est devenu un lieu de vie multi-culturel, mais il n’échappera pas au lecteur attentif qu'ici est dissimulé la promotion du multiculturalisme. De plus la journaliste relaie avec une certaine complaisance à peine masquée une analyse de Frédéric Barbier, directeur de recherches au CNRS, qui souligne le caractère élitiste des bibliothèques qui fut à l'oeuvre par le passé, tout en évitant de faire remarquer la logique du marché qui aujourd'hui s'est approprié le cœur même du haut savoir. Le journal le Monde n'est plus à une contradiction prêt, l'article de la journaliste ne fait simplement que confirmer l'argumentation de George Steiner quand celui-ci affirme que l'ennemi de la lecture est le grand tohu-bohu technologique et son goût immodéré pour la nuisance sonore (p23, p25). Il est à noter également, que la journaliste, Virginia Bart,  n'a à aucun moment lié le mot bibliothèque au mot "silence", au mot "calme", au mot "méditation" et au mot "patience", des mots qui se coordonnent naturellement à la bibliothèque. Le défilé de la chanteuse Rihanna illustre donc parfaitement les propos de George Steiner quand il dit, "on assiste au triomphe de la médiocrité" (p33). A force de promouvoir la mélange culturel ainsi que le dégoût de l'élitisme, on finit par ne plus chercher la vérité. Mélanger ainsi les expressions artistiques au sein de la bibliothèque c'est corrompre la lecture, c'est appauvrir et dépraver la disposition d'esprit du lecteur. Il n'est donc pas étonnant comme l'affirme George Steiner à la page 37, que selon des études, des troubles de la volonté apparaissent chez les enfants nourris de télévision et d'internet. L'usage abusif du numérique est en train de falsifier le rapport au silence, à la patience et à la concentration. Dans ces conditions l'individu ne peut s'extraire des petites affaires domestiques et insignifiantes et avec une conscience "possédée" de médiocrité et de vulgarité qui le subordonne au transitoire, sa vie, au regard de la vérité, et pour paraphraser Claude Tresmontant, est un échec peut-être irréparable

 Jacques-Louis David, en 1793, a peint la mort de Marat (ici). L'oeuvre exposée au musée royal des beaux-arts de Belgique, nous fait apprécier un homme qui est mort la plume à la main et avec laquelle il a laissé sur une feuille de papier quelques mots d'encre séchée que du sang tout aussi séché vient embaumer. L'observateur attentif, aimant la belle peinture, aura remarqué l'image du sauveur mort descendu de la croix que Michel-Ange et Caravage ont parfaitement et soigneusement déposé et qui admirablement pendant, de corps comme d'esprit, nous fait penser que  pour y parvenir, Dieu, dans les profondeurs de leur vie spirituelle, leur a fait sentir de manière précise le poids de leur propre péché. Par contraste, l'homme d'aujourd'hui, s'il devait mourir dans sa baignoire, il le serait électrocuté par son smartphone, lequel moins digne que la plume et le papier, ferait de son propriétaire s'il devait être peint à la manière de la toile de David, un sujet de plaisanterie. La mort de Marat, des doigts habiles du peintre, exalte la dignité dans la mort, une belle mort est profitable elle est l'expression dernière du vivant elle met un point final à l'existence à la manière de la lourde tête décapitée de Jean le Baptiste sur un plateau d'argent et qui par sa forme circulaire sert de point final au chef d'oeuvre de Gustave Flaubert, Hérodias. 

 Vivre de lecture c’est introjecter de la masse spirituelle, c’est assimiler d’autres psychologies, d’autres codes mentaux et avec lesquels la question de la nature humaine nous parait moins mystérieuse. Vivre est une certaine activité de connaissance, nous dit Aristote et nous pouvons compléter la chose en affirmant qu’il est toujours plus bénéfique et agréable pour l’âme de se voir impliqué dans un bien supérieur mais chacun, bien entendu, poursuit la fin dont il est capable. Lire n’est donc pas chose aisée et lire ne suffit pas, la littérature et les belles lettres exigent du lecteur un certain effort intellectuel et même si la volonté n'y est pas pour peu de chose dans cette histoire-là, le désir d'apprendre et de comprendre associé à l'amour du verbe sont essentiels. Les apôtres qui ont admirablement relayé par écrit les paroles du Christ dont les solides métaphores ont été, par leur soin, admirablement relevées dans les quatre évangiles, ont permis de transformer l'humanité depuis plus de 20 siècles. Les apôtres ont donc sanctuarisé l’oralité du Christ avec une incroyable simplicité et une remarquable intensité. Cette illumination de l’esprit arrache l’être de la réalité brouillonne à laquelle l’âme, peut-être bien malgré-elle, côtoie avec une plus ou moins grande complicité, selon que domine la partie médiocre de l’être. 

 Il faut dire que l'’ouvrage contient un second texte écrit par Michel Crépu, intitulé « ce vice encore impuni », et que l’on peut mettre en relation avec le livre d’Edith Wharton, « Le vice de la lecture » (ici), lequel a bénéficié d’une fiche de lecture. Michel Crépu, écrivain et critique littéraire et rédacteur en chef de La Nouvelle Revue française, parle de vice concernant la lecture et ce vice livre le lecteur à cette partie de l'humanité qui ne supporte pas que cette autre petite partie de l'humanité qui lit par amour des belles lettres, ne l'a devance en esprit. Michel Crépu convient alors qu'il est préférable d'avoir ce vice plutôt qu'un autre puisque de tous les vices il est celui qui ambitionne de connaître la vérité. Le mystique, le moine, le théologien, le sage, le philosophe et l'homme de bonne volonté sont dans des dispositions de coeur et d'esprit qui indubitablement les conduisent à faire l'expérience d'une spiritualité de la patience. Le livre est ce médium d'intemporalité et qui par son exemplaire le plus profane et le plus mondain et auquel on accorde généralement un génie rarement atteint, fait de la littérature une recherche de l'expérience d'être universelle dont le resplendissement lumineux du verbe, mène, via l'ambition narrative du célèbre auteur narrateur, à une esthétique de la vie par laquelle l'individu est à même nous dit Aristote en reprenant les propos d'Anaxagore, de contempler le ciel et l'ordre qui règne dans l'univers entier. 

Antoine Carlier Montanari

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