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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

17 Nov

Un Livre Que J'ai Lu (107) : Transfert Et Introjection (Sandor Ferenczi)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Sandor Ferenczi

 

 L'auteur, Sandor Ferenczi (ici), psychanalyste hongrois et proche de Freud, travailla sur les thèmes de l'enfance, du trauma et du langage. Il a écrit notamment, "L'enfant dans l'adulte", "Le traumatisme" puis "Confusion de langue entre les adultes et l'enfant". En effet Ferenczi va s'attarder sur la formation de l'architecture mentale tout en se penchant sur les causes des traumatismes infantiles. On peut évoquer à ce propos les travaux de la psychanalyste française Françoise Dolto. Ainsi "Transfert et introjection", demeure certainement la plus pertinente et la plus synthétique de ses recherches.

 

 Peut-être que l’introjection la plus évidente est le cas de possession. En effet ce phénomène occulte est un processus qui voit l’individu faire entrer en lui une entité démoniaque. Le mot « transfert » est alors approprié pour désigner le passage de cette entité dans le corps de l’individu, lequel est alors possédé et le mot « possession » devient le terme qui caractérise cet état. De même lorsque un individu est dans l’admiration excessive d’un autre individu, il finit par intégrer en lui des aspects de la personne admirée (p21). C’est un peu prendre l’autre en soi (p23), comme prendre l’entité démoniaque en soi, à la différence que le transfert d’un autre individu que soi en soi est essentiellement mimétique. Le processus inverse est la projection, aussi une greffe d’organe est une introjection (p26) qui témoigne d’une projection. En effet s’exprime alors les capacités d’introjection du receveur et les capacités de projection du donneur. L’autre en soi et le moi dans l’autre forment une dialectique de l’identité et de l’altérité (p27). Et si on regarde de plus près cette interaction biologique, c’est un peu du donneur qui continue de vivre dans le receveur.

 

 Cette articulation peut se retrouver dans le mécanisme du deuil. En effet, le deuil est l’expression de la perte et cette perte est causée par la présence du défunt, autrement dit le défunt révèle la présence du non-vivant. La mort a tout naturellement rompu ce transfert permanent du vivant pour le remplacer par un transfert permanent du non-vivant. De ce fait, l’être perdu ne vit plus en nous, et pour réussir à faire son deuil, il faut introjecter en nous des aspects de la vie du défunt afin qu’il continue de vivre en nous. Dans le catholicisme, l’eucharistie est l’introjection de Dieu dans le fidèle. En effet l’hostie n’est pas un symbole comme les protestants l’entendent, elle est le corps réel du Christ. Le passage, lors du rituel, du pain en chair et du vin en sang se nomme la transsubstantiation, c’est la présence réelle du Christ. L’hostie permet donc aux fidèles catholiques de transférer le corps ressuscité du Christ en eux. Le passage de saint Jean est clair,

 

« Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui. De même que le Père, qui est vivant, m’a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même celui qui me mange, lui aussi vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »

(Saint Jean 6, 52-59)

 

 Tout le mécanisme d’introjection se retrouve dans ce passage du nouveau testament. Tout comme la nourriture digérée va offrir à l’organisme les moyens nutritionnels pour maintenir l’organisme en vie, la digestion du corps du Christ à travers l’hostie va offrir à l’âme la vie éternelle.  Ainsi le cannibalisme représente pour certaines tribus primitives, un moyen de s’accaparer l’énergie vitale de celui qui est mangé, cette introjection trouve sa forme romantique dans le mythe de Dracula et plus largement dans le vampirisme où la consommation de sang prolonge la vie. Plus naïvement, l’absorption d’aliments est assimilée à la fécondation tandis que l’élimination est assimilée à l’accouchement. Cette articulation infantile révèle tout de même le rapport ambigu à la digestion et aux orifices correspondants (p49). Ainsi il existe de nombreux troubles alimentaires dont l’origine provient de cette confusion faite entre la nourriture et la sexualité. Par exemple les débordements alimentaires des femmes enceintes traduisent un besoin d’introjection intense. Au contraire, cracher par dégoût est une réaction à une introjection de ce même dégoût dans la bouche, tout naturellement le crachat est la projection vers l’extérieur de soi d'un transfert d'une chose dégoûtante qui a prit place en soi (p92).

 

 L’auteur, Sandor Ferenczi, s’attarde quelque peu sur deux catégories de déviances psychologiques, à savoir le dément et le paranoïaque (p61). Le premier tend à se désintéresser du monde et le second tend à se projeter dans le monde au point de nourrir l’idée que le monde est tourné exclusivement vers lui en lui voulant soit du mal soit du bien (p62). Quant au névrosé, s’il fétichise les objets à la manière des primitifs, c’est pour mieux les introjecter. Il se sent puissant des choses appartenant au monde extérieur et son « moi » se dilate au fur et à mesure de l’accroissement de ce transfert. Au contraire le paranoïaque souffre d’une diminution du « moi » (p64). La projection sur un objet du monde extérieur est un transfert de son identité dans l’objet, ainsi l’objet acquiert, en proportion des désirs enfantés par l’individu, une sorte d’aura, voire même une âme. Par exemple la simple poupée devient au regard de la fillette une sorte de statue primitive à adorer. En effet l’enfant a transféré dans la poupée une vie propre. De la même manière, l’enfant peut transférer dans un objet du quotidien ses propres peurs, une armoire par exemple, peut cacher un monstre. En projetant sa propre peur dans le meuble, il a donné corps à sa peur. Ces transferts sont de l’ordre de l’infantilisation et cette infantilisation est particulièrement manifeste dans le célèbre film d’animation Toy Story. En effet le jeune Andy possède des jouets qui prennent vie, on les voit alors s'animer comme des êtres bien vivants. Les scénaristes ont mis en évidence ce transfert infantile en rendant les jouets vivants aux yeux du spectateur afin de lui suggérer qu’il est resté un grand enfant. Cette infantilisation du public fonctionne tellement bien qu’elle se transforme alors en régression psychologique au moment même du passage en caisse dans le magasin de jouet. Le spectateur a alors transféré dans le jouets des propriétés magiques, les mêmes qu'il avait durant son enfance. Dans ce cas précis, le jouet a dissout le "moi" de l’individu dans le monde extérieur (p136), le sujet est alors enchâssé dans la matière.

 

Sandor Ferenczi, à ce propos, raconte comment une de ses patientes, à la lecture d’un roman, s’était souvenue d’événements sexuels infantiles (p69), de ce fait elle cultiva un dégoût des romans, et par la suite elle avait transféré ce même dégoût à tous les livres et tout papier imprimé. Ce transfert dans les objets sont la preuve que le vivant se projette dans le monde et que le monde s'introjecte dans le vivant. Et comme l’homme ne peut aimer que lui-même (p134), l’objet inerte devient désirable si on projette en lui une partie de nous-même. C’est le transfert du "moi" dans l’objet qui lui donne autant de valeur. L’objet acquiert en réalité une partie de moi-même et comme ce moi-même s'aime, il finit par s’aimer dans l’objet. De même la séparation avec un proche vérifie ce transfert du "moi". Que dit Cléopâtre à Marc-Antoine au moment où celui-ci s’apprête à la quitter pour rejoindre Rome (ici) ?

 

« -Tu emportes une si grande partie de moi. »


 Cette tirade tirée du film de Joseph L.Mankiewicz avec Elisabeth Taylor et Richard Burton, témoigne de ce transfert du "moi" dans l’autre. Cléopâtre est alors déchirée, son "moi" est divisé en deux, une partie de son "moi" a été transféré dans Marc-Antoine. Cela cause une perte de l’unité de l’être et la perte d’une partie du "moi", ce qui explique, en partie, la tristesse de Cléopâtre. Cette célèbre tragédie qui annonce celle de Roméo et Juliette, prouve que deux êtres qui s'aiment outrageusement, ne font plus qu'un. Il s'est opéré un transfert quasi intégral de chacun des deux amants dans l'autre. Cette fusion d'existence révèle un stade de complémentarité parfaite où chacun des amoureux s'aime intégralement dans l'autre.

 

 A l'inverse, quand un objet ou une personne est associé à un Evénement traumatique, l’individu transfert alors dans ce même objet ou dans cette même personne le traumatisme. L’individu traumatisé transfert son traumatisme dans l’objet ou dans la personne, lequel ou laquelle ne cesse de le lui renvoyer. Ce transfert miroir est la démonstration que l’objet ou la personne peut contenir un affect et le renvoyer après le traumatisme. L’objet ou la personne devient alors indésirable puisque il ou elle rappelle le traumatisme. Il est alors nécessaire de se séparer de l’objet ou de la personne. De même la photographie introjecte les personnes absentes dans l’esprit de la personne qui la regarde, ce transfert miroir agit immédiatement sur la mémoire.

 

 Cette projection dans l’objet annonce, par l’intermédiaire du pouvoir de l’argent, une introjection absolue, à savoir le solipsisme, c’est-à-dire le transfert du monde entier dans le "moi" (p136). Non loin du mécanisme de la valeur marchande exposée par Karl Marx, les classes dites supérieures ont trouvé par le moyen du Capital de s’aimer dans tout ce qu’elles possèdent et en proportion de la masse monétaire qu'elles ont amassées. Et comme l’argent leur permet d’acquérir autant que possible, le monde est entièrement à porté de main, elles se projettent dans tout ce qui est monde et le monde s’introjecte en elles, faisant partie d’elles-mêmes. Quand le Christ dit qu’il n’est pas du monde et que son royaume n’est pas de ce monde, il révèle alors l’esprit d’iniquité qui habite le monde. C’est pourquoi l’introjection du monde dans l’individu c’est transférer l’esprit d’iniquité dans le "moi".

 

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

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