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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

23 Nov

Un Livre Que J'ai Lu (108) Une Fantaisie du docteur Ox (Jules Verne)

Publié par Alighieridante.over-blog.com

 

 Quiquendone est cette petite ville imaginaire des Flandres où il fait bon vivre et dont Jules Verne a disposé de manière à faire surgir dans cette tranquillité rurale une frénésie citadine où la temporalité naturelle est saccagé par la temporalité urbaine artificielle, laquelle fut si bien glosée par Georg Simmel dans "Les grandes villes et la vie de l'esprit" et dans "Sociologie des sens" (ici).

Ainsi cette petite cité d'un peu plus de 2300 âmes dont le pouls moyen n'excédait pas les cinquante pulsations par minute, allait malheureusement connaitre les affres de la modernité. La cause, une remarquable invention dont l'utilisation allait permettre à ses habitants d'être éclairé par une flamme dont l'éclat est 20 fois plus brillant que celui de la lumière électrique. Son inventeur, le docteur Ox, ayant obtenu l'aval des notables de la ville, installa à ses propres frais ce moderne éclairage dont le fonctionnement nécessitait l’utilisation de l’oxygène et de l’hydrogène. Cette judicieuse combinaison, nous dit Jules Verne cache précisément une expérience dont le but est purement physiologique. Il faut préciser que les habitants de Quiquendone, que l'on nomme les Quiquendoniens, n'étaient par nature, ni très promptes et ni très vifs, l’invention du docteur Ox allait bien changer tout cela. Tous les Quiquendoniens furent ainsi soumis à une phénoménologie de l'humeur qui leur était étrangère. L'état d'éréthisme aggravé fut bien constaté et chose encore plus inquiétante, les animaux domestiques comme les végétaux subissaient également des variations physiologiques et biologiques. On avait remarqué chez les animaux une vivacité et une agressivité particulièrement sensible et une croissance exagérée des plantes, des arbres, des fruits et des légumes. Comme le rythme biologique fut accéléré, tout naturellement la mort vint prématurément.

 Ce qui advint par la suite plongea la ville de Quiquendone dans l’état de décomposition morale que l’on retrouve chez les peuples les plus orgueilleux depuis le péché originel. Cette inflammation générale poussa donc les Quiquendoniens dans la guerre, laquelle fut mené contre la ville voisine à propos d’une très vieille querelle.

 

 L'invention du docteur Ox fut donc bien à l'origine de ce changement comportemental. Pensait-il ce docteur Ox, dont le nom évoque l’oxygène, que l'humeur, le courage, la vertu, et bien d'autres traits psychologiques étaient une affaire de molécules. Quelques molécules d'oxygènes eurent donc raison des bonnes dispositions psychiques des habitants de Quiquendone. L’expérience du docteur Ox fut en quelque sorte validée, précisément parce que l'oxygène pure qu'il diffusa altère inévitablement la lucidité et la conscience de soi comme tout opiacé, toutes drogues et tout alcool. A ce propos on peut évoquer notre ami Balzac qui dans son petit ouvrage « Traité des excitants modernes" (ici), et que l'on traitera prochainement dans une fiche de lecture, disait, 

 

"Les destinées d'un peuple dépendent et de sa nourriture et de son régime."

 

 Aussi, depuis Baudelaire et ses paradis artificiels, la véritable modernité est bien celle qui efface les traces du péché originel, pour Jules Verne la chose était entendu, son docteur Ox n’est que l’expression de cette modernité dégénérée dont l’apparence est comme cette goutte de miel qui sert à piéger les mouches.

 

 Cet ouvrage est donc une critique de la modernité, laquelle en dehors de celle de Charles Baudelaire fut la cible d'un bon nombre d'auteurs dont Herman Melville et Miguel de Unamuno, pour ne citer que ceux-là et dont j'ai précédemment commenté une de leurs œuvres. Jules Verne, ingénieusement, à l’image des deux gaz utilisés par le docteur Ox dont le contact aurait produit une épouvantable explosion, et qui devait servir à alimenter une flamme d’une remarquable intensité, fusionne un monde traditionnel avec la modernité technique. Jules Verne, à ce propos, est proche de la pensée de Baudelaire. En effet, le poète français haïssait l’éclairage au gaz, pour lui l’humanité c’était « une grande barbarie éclairée au gaz ». C’est le retour au chaos, et Jules Verne ne fait que confirmer la chose, la dialectique baudelairienne se retrouve une vingtaine d’années plus tard dans ce récit et précisément au chapitre XV quand l'usine à gaz du docteur Ox explosa. Tout naturellement les Quiquendoniens retrouvèrent ainsi la vie paisible qui était la leur.

 

 Pour conclure, il faut ajouter que Jules Verne  a créé un personnage emblématique de cette humanité triomphante dans le progrès technique et qui fut par la suite outrageusement défiguré moralement à cause de l'ampleur des dégâts engendrés par cette humanité ingrate. En effet le fameux capitaine Némo est à la fois un furieux baudelairien aussi paranoïaque qu’endurci et tout aussi amère et désillusionné que le Céline du Voyage au bout de la nuit. 

 

Antoine Carlier Montanari

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