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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

27 Oct

Un Livre Que J'ai Lu (105) : Philosophie De La Danse (Paul Valéry)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Paul Valéry

 

 La danse est ce moyen qui permet de consumer une surabondance d’énergie tout en produisant avec le corps des contorsions qui ont pour but d’illustrer une partition musicale. Selon Saint Augustin, nous dit Paul Valéry, à la page 22, la danse est une représentation du temps ou du moins la danse est une création d’une sorte d’espace de temps (p11). En effet, cette espace de temps prend forme dans une sinusoïdale évolutive du corps aussi bien d’ailleurs que l’eau qui coule et la flamme de la bougie qui vacille.  En somme, nous dit Paul Valéry, c’est une dépense d’énergie de qualité supérieure. Ces formes en mouvement, transparentes et pénétrantes, sont l’image du temps que le rythme déploie de manière caractérielle. Humides ou lumineuses, ces existences incorporelles se muent alors en métaphysique du temps et énoncent à travers des contraintes exclusivement physiques une danse gravitationnelle instantanément admirable. Au contraire, l’eau calme et la flamme parfaitement stable, ne rendent visible le temps que par la consommation de matière que l’énergie dévore. Dans un cas l’eau s’évapore par l’action du soleil et dans l’autre cas la flamme consume la cire et la mèche. Le temps est ici indirectement rendu visible. Ainsi quand la matière vivante est rendue inerte, il n’y a plus de réflecteur ni d'indicateur du temps. La mort est alors perçue comme la fin du temps.

 

 Ainsi la danseuse en action qui joint ses mouvements et ses déplacements à ceux de la baguette du chef d’orchestre qui mène la mesure, est comparable à ces rotations des planètes savamment déterminés par une règle assez complexe qui émane du soleil. Ce temps spatial est donc visible à travers cette horloge planétaire dont les mouvements automatiques définissent en réalité une synchronisation augustinienne dont le maître n’est autre que Dieu lui-même. Ainsi quand la danseuse déploie ses membres et les fait bouger dans une succession de formes qui épousent au mieux les notes musicales qui se succèdent, elle dessine dans l’esprit de celui qui l’observe, le temps lui-même. C’est là précisément que s’accorde l’être avec l’absolu, la danse est alors capable de faire toucher du doigt le temps. Cette dynamique du vivant savamment agencée au rythme musical développe de manière harmonique le temps tout en accompagnant de manière logique et méthodique le spectateur dans une instantanéité perpétuelle. L’être est alors contraint de mettre en mouvement son esprit, dans une sorte de danse spirituelle (p41).

 

 Mais la danse produit une autre espèce de temps, cette espèce de temps peut être caractérisée par le sensible de la matière. Le modèle sur lequel Paul Valéry bâtit son argumentaire n’est autre que la célèbre danseuse espagnole La Argentina (ici), qui devint la première danseuse du théâtre royal de Madrid à neuf ans, en 1899. Cette architecture vivante qui collabore avec le soleil surexpose une identité du mouvement dont le métabolisme a comme culte l'accélération brutale. Cette harmonique géométrique est maintenu dans un continuum graphique assez jouissif et qui est nommé plus communément le flamenco. 

 

 Pour Paul Valéry la danse est donc un art fondamental (p10), elle est l'expression de la pensée en action de manière à ce que le vivant rende compte de l'esprit qui déambule au rythme de la musique. Au regard des expressions corporelles que le danseur et la danseuse produisent, et à la manière des corps en mouvement disposés en cercle sur la toile de Matisse (ici), le temps est un temps qui s'élabore, qui se structure et qui devient aussi mouvant que palpable au point de créer une catharsis qui fournit un puissant désir d'évasion. Matisse a modelé une humanité aérostatique qui derrière la liberté apparente de mouvement dissimule une trajectographie existentielle originelle. En effet les corps nus, négligemment musclés, forment une farandole primitive qui tourne dans le sens des aiguilles d'une horloge. Matisse a capté ce temps dans une trajectoire exhibitionniste afin de placer le spectateur dans une interactivité qui facilite l'inertie et le glissement furtif vers un temps sensible et charnel. Quand on observe les trois couleurs dominantes qui partagent cette toile, à savoir le bleu pour le ciel, le rouge pour la chair et le vert pour la terre, on voit alors la juxtaposition de trois mouvements de matière et de lumière que Matisse a peint aussi simplement qu'un enfant. Le ciel bleu c'est le temps cosmique, la chair rouge c'est le temps humain et la terre verte c'est le temps relatif. La danse de Matisse est une synchronisation du ciel et de la terre, de l'esprit et de la chair, et qui comme un phénomène proprement mescalinien conjugue le sensible avec le temps. L'expression sournoise et archaïque des corps revitalise en réalité le souffle du temps procréatif où ces 5 corps d'hommes et de femmes forment une communauté d'émotions synchronisées qui tend à devenir un dans une vivacité biologique quasi orgiaque. Quiconque regarde cette toile immense peinte en 1910 et exposée au musée de l'Ermitage à Saint-Petersbourg en Russie, peut y voir le corps de l'humanité dont la course sur place est devenu le mouvement concentrationnaire du monde techniciste en devenir. La danse de Matisse a toutefois gardé ce naturel, à la fois étrangement instinctif et désarticulé, qui rappelle un rituel sacrificiel.

 

 On s'éloigne ici de la danse comme l'entendait Paul Valéry, de la danse comme langage enchanté et sensible qui anime l'homme dans un temps non momifié et qui le rend tout aussi contemplatif que provisoire et qui le distingue de la matière rendu inerte par la mort. Cette organicité en mouvement et parfaitement réglée par l'esprit du danseur ou de la danseuse, forme une ligne d'ouverture existentielle qui rend grâce aux possibilités giratoires qu'offrent le corps humain. La danse est alors un acte de servilité à la musique, laquelle aspire l'être dansant à fusionner dans une spiritualité parallèle qui n'est autre qu'une libération conditionnée, un somnambulisme artificiel (p29). La danse fait donc entrer le danseur ou la danseuse dans une demeure intérieure où domine une résonance de plaisir. C'est une thérapie artistique qui transfigure le corps en énergie tout en mutant acrobatiquement et intégralement l'espace en temps. La mise en transe du danseur ou de la danseuse dits de haut niveau de compétence, rend le spectateur spectateur d'une autre dimension, celle de l'incarnation du temps.

 

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

 

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