Un Livre Que J'ai Lu (111) Poutine l'itinéraire secret (Vladimir Fédorovski)
Le personnage, surtout chez les occidentaux, est perçue de manière plutôt négative. Les médias, qui ne sont pas pour peu de chose dans cette appréciation, ont une tendance fâcheuse à orienter l’opinion en défaveur du président russe. Toutefois, selon le magazine américain Forbes, Vladimir Poutine serait l’homme le plus puissant de la planète (p7). Il est vrai que le peuple russe a connu un bon nombre de dirigeants forts, des tsars à Staline, et Poutine représente en quelque sorte le modèle abouti d’une lignée qui commença avec Ivan le Terrible. Le qualificatif mêle force et crainte et c’est ce qui va constituer l’idiosyncrasie du peuple russe. Si enfant, Vladimir Poutine fut assez belliqueux, il confessera avoir été une racaille (p21).
Après s’en être sorti grâce au judo et à un son entraîneur, il reprit la marche des études avec l’idée d’entrer un jour au KGB. En 1975, Vladimir Poutine est alors choisi par le fameux service de renseignement pour intégrer les rangs du contre-espionnage à Leningrad (p27) et il y passera quatre ans et demi. Il y apprendra les techniques de manipulation afin de connaître intimement l’adversaire. En effet au KGB on y apprend le double voire le triple langage, la dissimulation, la simulation tout en gardant une parfaite maîtrise de soi (p36). L’auteur, Vladimir Fédorovski fait d’ailleurs référence à Machiavel (p29) et au Faust de Goethe (p34), l’un pour qualifier les méthodes du KGB et l’autre pour parler du sentiment que procure le fait d’avoir appartenu à cette organisation d’élite. La pensée d’Alexandre Soljenitsyne ne fut pas si éloignée de celle de Fédorovski en la matière. Il faut préciser que l’auteur russe, qui reçut le prix Nobel de littérature en 1970 sera condamné en 1945 à huit ans d’emprisonnement au goulag.
En 1985, Vladimir Poutine est affecté à Dresde, en RDA, alors qu’en union soviétique Gorbatchev devient le nouveau président. Poutine est alors chargé de collecter du renseignement concernant le fonctionnement de la politique ouest allemande via les Affaires étrangère de RFA (p50). Dans un certain sens, dira-t-il, la RDA m’a ouvert les yeux (p53). En effet, la situation politique de ce côté de l’Allemagne lui fit prendre conscience de ce que pouvait engendrer le communisme sur les libertés individuelles et collectives. Poutine dira d’ailleurs à propos d’Honecker, le secrétaire général du comité central est-allemand, qu’il en avait marre de ce vieux stalinien (p53). Mais pendant ce temps-là, en Russie même la situation n’était pas très encourageante, un laisser-aller général s’était installé. En effet, l’explosion en 1986 de la centrale nucléaire de Tchernobyl n’avait fait que confirmer l’état de décrépitude dans lequel se trouvait l’administration soviétique. La surconsommation d’alcool n’était qu’un indicateur de la dégradation moral du peuple et auquel il fallait ajouter l’insolente prospérité du marché noir et des mafias et qui avaient corrompu par ailleurs une partie non négligeable des fonctionnaires d’état. A ce stade et malgré la gabegie régnante, le président Gorbatchev se refusait d’incarner ce que certains au KGB désiraient ardemment, à savoir un nouveau petit père des peuples (p60).
En 1989, Vladimir Poutine se voit alors proposer le poste de chef de cabinet du maire démocrate de Leningrad, Anatoli Sobtchak (p56) et en juin 1991 alors qu’il a accepté la proposition, il participe activement à l’organisation d’un vote référendaire concernant le rétablissement de l’ancien nom de la ville de Leningrad, à savoir Saint-Pétersbourg (p60) et organisera personnellement, quelques semaines plus tard, la cérémonie d’inhumation du tsar Nicolas II et de ses proches à Saint-Pétersbourg même. En 1991, Poutine, à l’aide de sa nouvelle fonction dirigeante au sein du département international de la mairie, créra une société d’importation de matériel médical du nom de Lirus. Les recettes engendrées permirent à Poutine d’acquérir de manière voilée plus de 20% de la grande banque Rossia (p80). Même si la chose n’a jamais pu être prouvée, l’auteur déclare, malgré les démentis du Kremlin, et en s’appuyant sur le Washington Post et le Financial Times, que les faits étaient tout à fait plausibles. En 1996, après la défaite du maire de Saint-Pétersbourg, Poutine s’engagea auprès de l’intendant de Boris Eltsine, à savoir Pavel Borodine (p83). Puis en 1999, le président Eltsine le nomme directeur du FSB, anciennement KGB (p86). Dès lors, nous dit l’auteur, l’ascension de Poutine au plus haut niveau va dépendre désormais d’une rivalité triangulaire avec Boris Berezovski et Evgueni Primakov.
Si la Tchétchénie fut à la Russie ce que l’Algérie fut à la France, elle permis toutefois à Poutine d’exercer son savoir-faire pour mettre un terme aux velléités des rebelles tchétchènes. Le problème islamiste devait être contenu et Poutine mis en place une stratégie de diversion en laissant les islamistes entrer au Daghestan (p123). De plus les attentats du mois d’août à Moscou et en province qui firent pas moins de 293 morts, inclina d’avantage l’opinion publique vers une intervention militaire en Tchétchénie. Devenu premier ministre en août 1999, Poutine put justifier donc un retour de la force contre les indépendantistes tchétchènes afin de ramener la Tchétchénie dans le giron de la mère patrie. Poutine ne mâcha donc pas ses mots à l’encontre de ces indépendantistes terroristes. Il ira, dit-il, les buter jusque dans les chiottes ! (p132). Ainsi cet étalage de force suivi de la victoire et malgré les sept mille morts russes (p129), valorisa Vladimir Poutine auprès de l'opinion publique tout en renforçant la volonté de Moscou en Tchétchénie. Le peuple, déjà sérieusement humilié par la situation désastreuse du pays, accorda alors sa confiance, dans une large majorité, au nouveau premier ministre (p133).
Le 26 mars 2000, Vladimir Poutine, succéde à Boris Eltsine, en étant élu président de la Fédération de Russie au premier tour de l’élection présidentielle avec 52.52% des suffrages. A ce stade, l’auteur, Vladimir Fédorovski, retrace rapidement la courbe de progression de Vladimir Poutine (ici),
Année | Fonction |
1975 | Agent de renseignement au KGB |
1989 | Chef du cabinet du maire démocrate de Leningrad |
1999 | Chef des services secrets, FSB (ex-KGB) |
1999 | Premier ministre |
2000 | Président de la Russie |
La politique que Poutine mènera alors en tant que président, consistera à reconsolider l’appareil d’état bien affaiblie par le chaos qui avait suivi la chute du communisme. L’épisode du Koursk, en août 2000, qui rappelle la tragédie de Tchernobyl, va alors révéler la nécessité des réformes qui doivent remettre en piste la machine russe. Le fameux sous-marin nucléaire, fleuron de la machine de guerre russe, va alors couler en emportant avec lui ses 118 hommes d’équipage. Cette tragédie fait donc partie du socle maudit sur lequel est coincé la Russie depuis l’ère soviétique. La rencontre avec l’écrivain Soljenitsyne (p154), même si celle-ci ne fut pas fructueuse, sonnera comme une démonstration de la volonté de changement du nouveau président.
Le monde est alors en train de changer, les attentats du 11 septembre 2001 qui précédent les printemps arabes et la montée du terrorisme islamiste, contraignent Vladimir Poutine à faire des choix. L’islamisation de l’Europe occidentale et le reniement pas ses élites des racines chrétiennes de l’Europe, ne sont pas pour peu de choses dans les réticences de Poutine vis à vis des leaders occidentaux. La politique libérale imbibée de marxisme des européens, qui privilégient le multiculturalisme, chose que Poutine exècre (p193), ne sont pas à ses yeux un rempart assez solide contre l’islamisme. La politique migratoire de l’occident constitue une visée électoraliste plutôt qu’une réelle vision stratégique (p194), l’occident sans la Russie est donc vouée à devenir un empire consumériste hétérogène sans racine. Cette vision du monde libertaire, dominée par un marxisme pas si dissimulé que cela, surtout en France, note l'auteur aux pages 194 et 195, constitue aux yeux de Poutine la fameuse expression "la pensée unique".
Pour conclure cette fiche de lecture et afin de mieux comprendre la Russie de Vladimir Poutine, nous allons nous appuyer sur un article du Figaro (ici) paru le samedi 22 septembre 2019. L'article titré, "L'armée russe manœuvre en Sibérie", aborde la question des capacités militaires russes. Le journaliste, Alain Barluet, qui est correspondant du Figaro à Moscou, détaille un exercice militaire grandeur nature. On y apprend que durant cinq jours, 128 000 militaires, 20 000 pièces d'armement et 600 avions ont été déployés sur un territoire de 4 000 km². Cette opération intitulée "Centre-2019" est le plus grand exercice annuel de l'armée russe. Cette opération militaire se concentre sur le terrorisme international essentiellement lié à Daech et à al-Qaida. Selon Moscou la république du Daguestan abriterait un bon nombre de terroristes et dont la présence rappelle l'épisode douloureux de la seconde guerre de Tchétchénie. Non loin de là, nous dit Alain Barluet, près de la mer Caspienne, la marine Russe a déployé en complément de l'opération "Centre-2019" une quinzaine de navires disposant de missiles de croisière Kalibr. L'article cite par ailleurs, étonnement, que le budget militaire de la Russie, en 2018, fut inférieur à celui de la France. Quoi qu'il en soit la Russie regarde de nouveau vers la Chine tandis que les relations avec les américains, depuis l'annexion en 2014 de la Crimée et l'élection de Donald Trump, ne sont pas au mieux. Si l'opération "Centre-2019", nous dit Alain Barluet, a vu la participation du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l'Ousbékistan, du Tadjikistan, du Pakistan, de l'Inde et de la Chine, la Russie de Vladimir Poutine se prépare ainsi, au regard de la situation mondiale très dégradée, aux engagements du futur qui nécessiteront certainement l'usage intensif de l'armée.
Dans un second article paru dans le Figaro le 9 août 2019 (ici), le journaliste Emmanuel Grynszpan retrace succinctement l'accession de Vladimir Poutine au poste de président. Les mots du journaliste rappellent ceux de Vladimir Fédorovski mais prolonge l'actualité en évoquant les 20 ans de règne du successeur de Boris Eltsine. Ce temps exagérément long et qui ne le serait pas pour un tsar et un roi, entraîne, nous dit le journaliste, une lassitude chez 38% des russes tandis que 45% d'entre eux désirent qu'il reste. On y apprend également que 24% des personnes interrogées ne pensent pas que Poutine résoudra les problèmes du pays. De plus les 25-30 ans qui sont les plus éduqués sont plus enclins au changement et ce qui entraîne une érosion sensible de sa popularité et auquel il faut ajouter une très impopulaire réforme des retraites, nous dit le journaliste. Quoi qu'il en soit, au moment même où en France Emmanuel Macron voit sa côte de popularité baisser et que sa réforme des retraites mobilise l'ensemble des forces sociales, Vladimir Poutine est quant à lui au pouvoir depuis 19 ans. Ce temps correspond à un temps royal et la photo qui illustre l'article, a été prise de manière à ce que l'immense blason situé derrière Vladimir Poutine, serve de couronne royale au maître du Kremlin et dont l'aigle bicéphale au centre de cet écusson de l'ancien empire, qui porte dans ses serres un sceptre et une sphère dorée qui représentent respectivement le pouvoir du tsar et l'église orthodoxe russe, est également une bipolarité politique que le journal le monde avait exposé à sa manière dans un article du 11 février 2014,
"En haut de la pyramide trône le président Poutine, dont ces jeux (sauf éventuels actes de terrorisme) constituent l'apothéose. Vrai disciple de Marx, mais également de Sun Zi et de Machiavel, il applique les principes du matérialisme dialectique à la perfection: il est tout et son contraire. Cadre du FSB (ex-KGB) et fier de l'être, mais fervent croyant et attaché au passé orthodoxe de la Russie ; fan d'Elton John, mais promulgateur des lois antihomosexuels..."
Outre l'hypocrisie de moralité du journal le monde, qui ne supporte ni la foi chrétienne du dirigeant russe et ni son attachement aux valeurs de l'ancien régime, cet extrait de l'article a au moins le mérite de souligner l'esprit stratège de Vladimir Poutine. Définir la personnalité d'un des hommes les plus puissants de la planète n'est donc pas si aisé que cela mais on peut, à travers un certain nombre de ses dires repris par l'auteur dans son ouvrage, tenter de s'en approcher. Voici donc à travers ce tableau (ici), quelques uns de ses propos,
Antoine Carlier Montanari