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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

29 Sep

Un Livre Que J'ai Lu (103) : Le miroir (Edith Wharton)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Edith Wharton

 On aura beau dire, l'auteur, Edith Wharton et toute proportion gardée, est le pendant américain et féminin de Marcel Proust. Il faut bien dire qu'elle manie soigneusement le verbe, certes de manière moins éblouissante que celle du génie français mais toute aussi lucide pour narrer l'essence du monde bourgeois voire aristocratique dans lequel elle évolue.

 Dans sa première nouvelle, le miroir, Edith Wharton fait allusion au conte de Blanche neige en abordant la notion de la beauté chez la femme. Il est bon de noter que Edith Wharton confesse ici sa foi en faisant intervenir le diable, le péché, le chapelet, et la confession. Le diable le remarque parfois, écrit-elle à la page 17, car ce satané diable se sert de la beauté des corps pour ôter la beauté des âmes. L'auteur va donc se servir du personnage de Mrs Clingsland pour se jouer de la beauté physique. En effet Mrs Clingsland, nostalgique de la splendeur qui fut la sienne, est beaucoup plus enclin à la flatterie qu'à la vérité, à la manière du corbeau sur son arbre perché. La femme est tyranniquement soumise à son corps et à la beauté qu'il renvoie, elle ne peut se passer de ce charme envoûtant octroyer par la nature et qui lui permet d'obtenir un bon nombre de faveurs sans trop d'efforts. Et on ne se rend donc pas forcément compte de la douleur que peut engendrer la perte de la beauté (p26), ni même de l'état psychologique dans lequelle se retrouve la personne qui fut dans sa jeunesse habitué à être admiré et jalousé; la chair a engendré à l'intérieure de l'être une obscurité narcissique qui voit les autres comme autant de miroir pour s'admirer et s'aimer (p29). Edith Wharton montre alors, à travers le personnage de Mrs Atlee, qui est par ailleurs une bonne catholique, comment il faut procéder pour sauver une âme bien ficelée à son corps. Celle de Mrs Clingsland fut donc bien sauvée, du moins on peut le penser au regard de la méthode pas très catholique employée par Mrs Atlee. En invoquant les esprits, celle-ci a joué avec le feu pour extraire la pauvre Mrs Clingsland de sa tombe charnelle. Elle mis en jeu sa propre âme pour obtenir le salut de celle de Mrs Clingsland (p49), la loi de l'Eglise faisant alors son office, les trois âmes purent trouver la paix. 

 Dans la seconde nouvelle, Miss Mary Pask, l'auteur, Edith Wharton, se met à la place d'un homme de la nouvelle-Angleterre, dont le passe temps favori consiste à peindre la Bretagne. Ce détail ne fait que noter l'importance accordée par Edith Wharton à la peinture et plus largement à l'art. On verra d'ailleurs que son œil exercé en la matière peut nous amener à rapprocher son regard littéraire de la grande peinture. Pour ma part cette nouvelle confère à la femme une beauté plus mystérieuse qui provient sans doute de l'idée aristocratique et non moins élisabéthaine à travers l'exaltation du féminin faustien. En ce sens, l'homme redescend d'un cran et devient en quelque sorte impuissant devant le charme quasi mystique de la femme, Edith Wharton le décrit ainsi aux pages 65 et 66,

 "Je cherchai d'où elle provenait (la lumière) et, sur le palier au-dessus de moi, je vis une silhouette vêtue de blanc qui protégeait une bougie d'une main et regardait en bas. Un frisson courut le long de mon dos: la silhouette ressemblait étrangement à celle de Mary Pask, telle que je l'avais connue."

 L'analyse de ce court passage dévoile une verticalité symbolique qui place la femme au dessus de l'homme. En effet ce dernier est dans une position d'infériorité alors qu'il est placé dans l'obscurité tandis que la femme, au dessus de lui, est caractérisé par la lumière de la bougie qui éclaire le blanc de son vêtement, ce qui renforce considérablement l'idée de la vérité. Et ce n'est pas la seule fois que notre homme est placé dans l'obscurité, il faut préciser que c'est durant une nuit très sombre que notre homme arrive à la demeure de Miss Mary Pask, qui se trouve d'ailleurs en Bretagne. Pour autant, à la page 68, cet autre passage met en évidence le lien qui unit la femme à la lumière,

 "La silhouette blanche se dirigea comme un spectre vers la cheminée, alluma deux autres bougies et plaça la troisième sur la table."

 Cette lumière justement, au chapitre 2 plus précisément, c'est le chapitre concernant la rencontre du narrateur avec Miss Mary Pask, est appuyé par un vocabulaire qui compte pas moins de 15 fois le mot "bougie", 5 fois le mot "lumière", 7 fois le mot "blanc" et 3 fois le mot "vivant". Il faut ajouter à ce vocabulaire un vocabulaire contraire qui fait apparaître pas moins de 9 fois le mot "mort", 7 fois le mot "nuit", 3 fois le mot " ténèbres" et 2 fois le mot "obscurité" et le mot "noir". Avec ce vocabulaire l'auteur créée une vision caravagesque mais non moins fantasmagorique. En effet cette Miss Mary Pask qui apparaît au narrateur, formait une sorte d'ange déchu mais qui ne semblait pas tout à fait perdu. Cette beauté romantique, tourmentée par le soleil (p71), est imprégnée de mélancolie et de mort, qui rappelle ce vers de Baudelaire du poème "Un Fantôme"

"C'est Elle! noire et pourtant lumineuse."

 Miss Mary Pask est telle cette sainte Catherine (ici) que Charles-Auguste-Emile-Durand élève en beauté devant ce cours d'eau languissant éclairé par une lune ou un soleil en cours d'extinction. L'homme apeuré, de l'autre côté du cours d'eau, repousse cette beauté dont le sein blanc et bien affermi engourdit le regard. Aussi sa chevelure gorgonesque qui chevauche ses épaules n'en est pas moins l'ornement de sa volupté et qu'il ne faut point trop regarder sous peine d'entrevoir quelques vipères imaginaires, se faufiler entre les cuisses de la jeune vierge pour y égriser leur peau d'écailles froides et glacées. L'homme sur la peinture est comme le narrateur qui devant la silhouette de Miss Mary Pask frissonne (p65). Cette morne lumière qui se dégage de la toile est l'idée de la mélancolie comme partie intégrante de la nature humaine et cette esthétique de l'obscurité sentimentale se retrouve dans le vocabulaire usité par l'auteur, toujours au chapitre 2. En effet, on retrouve 4 fois le mot "brouillard", 4 fois le mot "silhouette", 2 fois le mot "étrange"2 fois le mots "silence", 2 fois encore le mot "invisible" puis 1 fois les mots "farce sinistre""frisson""l'étrange apparition", "vision", "crâne", "peur", "chair de poule","frisson""piété morbide", "suaire", "spectre" et "fantomatique". et auquel il faut ajouter ce passage situé à la page 74,

"La lumière s'éteignit.  J'étais debout - nous étions debout, étrangers l'un à l'autre dans l'obscurité qui s'enroulait autour de nous en grondant. Je crus que mon cœur s’arrêtait de battre; je haletais pour reprendre mon souffle et l'effort m'inonda de sueur."

 Cette connexion littéraire et picturale fait partie intégrante de l'architecture intellectuelle de notre auteur. A travers la figure de Miss Mary Pask, l'auteur va d'ailleurs dresser une image sublimée de la femme que la sainte nue sur la toile de Charles-Auguste-Emile-Durand fait résonner et qui, par les variantes du même artiste, à savoir "Vision", peinte en 1883 (en haut, à gauche) et "Danaé", peinte aux alentours de 1900, (en haut, à droite), devient une subtile allégorie de l'éternel féminin dont Paul Cézanne, quelques années plus tôt, en 1877,  (en bas), en a fait une singulière et avant-gardiste illustration. Dans ce triptyque, la femme nue et blanche de peau, est pareil à ce spectre qui durant la nuit apparaît au narrateur tout vêtue de blanc, et de même, à la page 58, l'auteur fait ressortir ce champ chromatique, 

"La dame américaine qui s'habillait toujours en blanc."

 On ne peut alors s’empêcher de penser à la blancheur de la baleine de Melville qui ne cessait d'épouvanter le narrateur. En effet et malgré que cette blancheur sanctifie et anoblisse par son éclat l'essence et la substance des organismes vivants et non vivants de la nature, elle peut aussi revêtir, nous dit Melville, un aspect abominable, répugnant et effrayant quand cette même blancheur drape quelques natures féroces tels que l'ours polaire et le requin blanc, pour ne citer qu'eux, et qui pour se nourrir déchiquettent vivantes quelques malheureuses proies. Notre auteur qui semble donc affectionner le blanc, ne manque pas d'en user pour faire ressortir à la fois la pureté de la femme et la terreur qu'elle peut inspirer. En effet, l'auteur suscite pour le lecteur la pâleur de la mort qui sous les traits de Miss Mary Pask qui descend l'escalier, est l'expression d'un surnaturel terrifiant que Shakespeare magnifia dans les yeux de Hamlet.

Si Edith Wharton, en véritable aristocrate, se réfère régulièrement à la grande peinture c'est pour évoquer ingénieusement l'idiosyncrasie qui anime ses personnages. Pour le lecteur attentif, dans la première nouvelle, le miroir, Rembrandt et Rubens sont de la parti (p15). Edith Wharton dessine alors par le clair obscure picturale évoqué par ces mêmes peintres, le crépuscule d'une aristocratie qui va emporter avec elle, la condition absolue d'élégance, de courtoisie et de savoir vivre, en somme l'apogée de la civilisation occidentale.

Antoine Carlier Montanari

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