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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

09 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (97) Le Capitalisme Comme Religion (Walter Benjamin)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Walter Benjamin

 Pour qui ne connait pas Walter Benjamin, il faut dire, et là on pourra se rendre compte de la robustesse intellectuelle de notre auteur, qu'il fut le premier allemand à traduire Marcel Proust. Sur le plan des idées politiques on peut le rapprocher d'un certain Octave Mirbeau, que Tolstoï, pour l'anecdote, qualifia de plus grand écrivain français contemporain, car en effet Walter Benjamin et Octave Mirbeau furent beaucoup plus anarchiste que capitaliste! L'homme qui se donna la mort en 1940 pour échapper à la Gestapo, aura abondamment fustigé le Capital avec une analyse beaucoup moins clinique que celle de Marx mais dont l'approche, comme le titre du livre l'indique, est plus théologique. Effectivement, Walter Benjamin va extraire du Capital son essence religieuse en affirmant qu'il est comme un nouveau monothéisme (p9) dont le culte est permanent (p58).

 Le capitalisme pour Walter Benjamin, est un mouvement religieux monstrueux qui universellement réalise dans l'individu le surhomme de Nietzsche. C'est la fécondation à l'intérieur de l'être du veau d'or démoniaque qui veut toujours le bien mais fait toujours le mal. La conception de ce parasite est provoqué par la mort de Dieu et de ses saints dont les vies ont bien démontré que l'on pouvait neutraliser cette bête infernale en devenir. Les billets de banques ont donc remplacé les images pieuses (p61) et le christianisme s'est converti au capitalisme (p62). La nature messianique du Capital a réalisé un royaume universel nihiliste que le poète Heinrich Heine traduisit avec ses mots dans ses lettres sur l'Allemagne,

"L'anéantissement de la foi dans le ciel a une importance non seulement morale, mais aussi politique. Les masses ont cessé de porter leur misère terrestre avec la patience du christianisme, et aspirent à la félicité sur cette Terre. Le communisme est une conséquence naturelle de cette nouvelle vision du monde, et il se propage dans toute l'Allemagne."

 Heinrich Heine constate comme son compatriote Walter Benjamin, le changement de paradigme qui s'opère en Allemagne. Pour autant, l'autre écrivain allemand Adalbert Stifter, déjà étudié précédemment, et apprécié de Nietzsche, demeura encore quelque temps le projectionniste d'un monde chrétien que les allemands n'étaient pas près à abandonner. La nostalgie étant tenace, le poète suisse et grand prosateur de la langue allemande, Gottfried Keller, est le terreau avec lequel Walter Benjamin va rappeler les chants homériques (p93) dont la gloire est celle qui devrait animer l'Allemagne au moment où l'Amérique et sa comptabilité envahissent le vieux monde (p102). 

 L'excellente préface de Baptiste Mylondo nous en apprend un peu plus sur la vision de notre auteur. Si Walter Benjamin trouve que le progrès est une idéologie régressive, en bon connaisseur de Baudelaire il sait également que le véritable progrès ne se trouve pas dans le mesure techniciste du monde mais dans l'effacement des traces du péché originel. Nombre de spécialistes, à ce propos, se sont attardés sur une oeuvre de Paul Klee intitulée "Angelus Novus" (ici) et achetée par Walter Benjamin lui-même. De ce fait cette petite aquarelle qui a été renommé par ce dernier "Ange de l'histoire", est devenu l'une des œuvres les plus emblématiques de Paul Klee. Walter Benjamin lui a donc associé un court texte afin d'expliquer la vision qu'il a de cet ange. Il est peut-être ici nécessaire de rendre compte de ce texte afin de s'immerger dans la pensée plus que mystique et mystérieuse de notre auteur,

 « Il existe un tableau de Klee qui s'intitule Angelus novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès1. »

— Walter Benjamin, Sur le concept d'histoire

 Le préfacier, Baptiste Mylondo nous explique que cet ange est l'ange de l'histoire tourné vers le passé (p14). La vision pessimiste du progrès de Walter Benjamin entraîne chez lui l'idée d'une décroissance ou d'une restauration du passé, dont l'aboutissement serait peut-être le paradis perdu. Cette sorte d'apocatastase est une vision novatrice de l'histoire par laquelle Walter Benjamin veut se fixer pour échapper à ce courant progressiste anthropophage dont le Capital ne cesse de nourrir. S'il lui faut échapper à cette puissance de perfectionnement technique et économique qui enveloppe l'humanité, c'est parce que cette force tend à tout anéantir. L'anthropologue français René Girard ayant lui-même abondamment commenté cette notion, avait clairement expliqué que l'humanité dépossédé de son héritage chrétien qu'est la maîtrise de l'amour inconditionnel, ne peut échapper à la catastrophe à cause des puissances illimitées qu'elle a à sa disposition; l'Apocalypse est la révélation de ce mécanisme. Le mimétisme christique c'est la désintégration de la rivalité et des forces sacrificielles, l'abandon au message évangélique libère les forces de destruction et d'anéantissement. Walter Benjamin, étant juif, pressent tout de même, à travers son ange de l'histoire, qui est peut-être une image oblique de l'ange de l'Apocalypse, cette révélation à l'oeuvre.

 Quoi qu'il en soit pour notre préfacier l'analyse ne s'arrête pas là, il aborde la notion de besoin que le Capital encourage par de multiples pratiques dont la publicité (p23). Si celle-ci se charge de signaler nos manques, elle nous place dans une situation presque intenable tant elle fait croire que le bonheur est dans le besoin assouvi. L'individu cherche ainsi son salut dans l'avoir et non dans l'être, le fétichisme de la marchandise rentre alors en jeu avec son processus de déification et de sacralisation. L'objet produit est alors perçu comme une divinité triomphante, l'homme accorde à sa création des propriétés magiques susceptibles de lui offrir une aura qu'il est incapable d'obtenir par ses propres qualités. Cette dimension magique de la marchandise a cette capacité de susciter le besoin au point de rendre fou, ce qui se constate chez l'enfant quand il n'obtient pas ce qu'il désire. La frustration lié au manque est très visible, le caprice et la colère sont les expressions les plus emblématiques de l'enfant. Le Capital a donc édifié et honoré le riche propriétaire et la propriété privée afin de maintenir l'individu dans l'espérance de la richesse (p30). Dans ce contexte, le Capital a créé les conditions du "Pour soi", et selon l'anthropologue Jacques Godbout (p35),

"Dans un contexte égoïste, l'individu tend à adopter une attitude égoïste, mais, dans un contexte généreux, il aura tendance à adopter une attitude généreuse. " 

 Inévitablement ce constat rappelle la théorie mimétique de René Girard, et qui connait bien l'anthropologue français déjà évoqué plus haut, la rivalité mimétique est d'une valeur ethnologique de première importance. En réalité c'est elle qui nous dirige et qui nous mène par le bout du nez. La transmission des comportements se réalise à la manière des dominos placés verticalement les uns devant les autres en vue de les faire tous tomber dans le but de créer une réaction en chaîne. L'anthropologue canadien Jacques Godbout ne fait que transcrire ce mouvement de chute des dominos. Ce mouvement de transmission est comparable à la course de relais où chacun des coureurs coopère en vue de faire parvenir le témoin le plus vite possible au point d'arrivé. C'est l'intérêt de coopérer pour survivre, nous dit notre préfacier à la page 34. Le Capital est donc ce système coopératif qui permet aux hommes de fonctionner ensemble, toutefois il est devenu pareil à cette formidable construction de domino qui ne peut s’empêcher de bâtir son propre effondrement. 

 En complément du texte de Walter Benjamin, l'éditeur y a ajouté, en annexe, "Le caractère de la marchandise et son secret" de Karl Marx. L'auteur du Capital développe le caractère mystique (p110) de la marchandise. L'objet acquiert une sorte d'auréole de gloire au moment où il devient marchandise. L'objet en question rayonne d'une toute autre manière que l’œil perçoit après avoir pris connaissance de sa valeur sur le marché. L'argent lui confère une aura de sainteté qui stimule l'acte d'acheter. Ce rapport qui transforme l'individu en consommateur est proche de la religiosité tant l'objet revêt dans l'esprit de l'individu une vie autonome analogue à celle d'un bijoux ou d'une statue vaudou. L'esprit fantasme l'objet en créant sous ce même objet un rapport caché comme un secret qui une fois connu conférerait une sorte de distinction morale propre à satisfaire le narcissisme. Le prix de la marchandise voile en quelque sorte la dégradation sociale qu'a entraînée la production de cette marchandise, la classe esclave de l'ouvrier disparaît alors derrière ce vernis qu'est l'expression monétaire de la marchandise comme si l'argent avait ce pouvoir d'effacer l'aliénation produite par le Capital. La pensée bourgeoise c'est cela, c'est consommer sans produire par opposition à l'activité du paysan et de sa famille qui produisent et transforment pour leur propre besoin ce qu'offre la nature (p123). C'est cette idée de l'homme indépendant nous dit Marx à la page 121, en se référant à l'oeuvre de l'écrivain anglais Daniel Defoe, "Robinson Crusoé". En effet le personnage de cette aventure va vivre 28 ans sur une île déserte. Cette condition n'a pas échappée à Marx, Robinson est  donc l'archétype de l'homme libre qui sur son île ne produit que ce qui lui est nécessaire pour vivre.

 Il est intéressant de noter que Marx, dans son livre III du Capital, désigne le protestantisme comme la forme bourgeoise du christianisme et relie le catholicisme au système monétaire (p125). Le rapport à la nature purement religieuse de l'être, à savoir la foi, semble proportionnel à la confiance que l'on accorde à l'argent. L'acte de foi en la valeur monétaire est quasi religieuse, l'individu, comme une partie du peuple hébreux devant le veau d'or, croit d'avantage en l'argent qu'en Dieu. Aussi, nous allons approfondir la question en abordant successivement ces deux ouvrages de Pierre Jovanovic, "777" (ici) et "666" (ici) et nous verrons quels sont les connexions qui relient Dieu, la religion, l'argent et la faillite du monde moderne que Walter Benjamin n'a cessé de désirer. Pour notre auteur le perfectionnement de l'humanité ne peut se réaliser qu'à travers la perspective d'un messianisme, c'est à dire la réalisation d'une rédemption collective (p13 et p14).

Antoine Carlier Montanari

 

 

 

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