Valérie Favre : Débris
J’ai vu dans cette toile, comment dire, un cri menaçant, des cris menaçants, une vaste colonne où sombre une armée, une armée brisée par le Très-Haut. Ces dieux qui franchirent les cimes des montagnes pour ébranler le Père, tourbillonnent ici et tombent accablés sous la nef céleste. Le cœur de Satan hurle en premier et joint par sa ruse un grand nombre, si grand que l’immense soleil qui brille dans ce coin en est voilé. Longue est la chute, ces cadavres ailés enveloppés de feu, du feu de Dieu, malgré leur vigueur, atteignent déjà le tumulte des nuages. L’airain de leurs boucliers, outrageusement ravagés par la guerre, péri en poussière, la mort est proche, la main d’Hadès s’ouvre avec bruit pour les recueillir. Plein d’orgueil, avec sa lance, jusqu’au dernier les pointe comme ses enfants, ce dieu repousse la lumière et s’enfonce avec son engeance au fond de sa tanière. Ô, ma chère âme, l’image que tu me donnes ainsi me rappelle bien cet illustre poème ! Paroles intrépides, se faufilant comme le guerrier habile dans la bataille, anime l’ardeur de ses compagnons et les entrainent comme un seul homme à défendre l’honneur de leur maison ! Et malgré leur désir de répandre le sang, ils freinent aisément leur soif pour ne point desserrer les rangs ! Gloire à Milton, gloire à Doré, vigoureuse peinture, qui prend au premier le sens et au deuxième l’image. Oui, elle est pleine de ces ténèbres, qui emportent sans peine la lumière pour la faire tomber comme la mort! Pareille aux braises de l’incendie, nues, seules, envoyées comme des lanternes dans la nuit, des débris, des débris qui luttent pour leur survie ! L’annonce de ce grand malheur pousse mes yeux loin de cette terre noire et cette gloire qui creuse bien les âmes entraine ici leur dépouille vers la grande et sombre Pandémonium ! Je vous le dis, cette toile nous engloutis, dans son esprit nous tombons ici ! Ah ! Malheureux ! Icare est tombé ainsi, cette lueur blanche qui éclabousse la toile c’est lui, un signe de grand tumulte ! Sa dépouille sanglante git, allongé des pieds jusqu’à la tête, jusqu’au sommet de sa face, de la Sainte Face, regardez-bien, tout en haut la même trace !
Antoine Carlier Montanari