Un Livre Que J'ai Lu (2): Dieu Et La Philosophie (Etienne Gilson)
Ah ! Dieu et la philosophie, une impolitesse pour cette époque ! Car enfin, comment voulez-vous honorablement parler des grandes causes sans évoquer Dieu? Etienne Gilson, l'auteur, philosophe, historien et professeur, notamment à la Sorbonne, analyse le problème particulier de Dieu en s'appuyant sur les grands penseurs chrétiens dont les racines grecques ont élevé par la pratique assidu de la philosophie.
La culture occidentale commence avec la Grèce, nous dit Gilson à la page 1, ce que ne niera pas Machiavel dans son Discours sur la première décade de Tite-Live. Pour Thalès, nous dit Aristote, toutes choses sont pleines de dieux (p1), où Homère les fera apparaître dans l'Iliade comme les grandes calamités qui traversent le monde (p6). La réponse d'Agamemnon à la colère d'Achille révèle cette pleine puissance divine, celle de Zeus, "C'est un dieu qui a tout accompli", répond t-il pour se justifier (p7). Cette colère qui d'ailleurs sera pleinement explicité dans le livre de Peter Sloterdijk, Colère et temps, est le coeur de la plus grande des tragédies grecques écrites. Ainsi si cette même colère trouve sa cause dans les cieux, le coeur des hommes est donc lié aux dieux dans une verticalité soit négative (les enfers), soit positive (l'Olympe). Tout naturellement, la mythologie, selon Gilson, est le premier pas sur le chemin de la vrai religion; elle est par essence religieuse. (p20)
Le Dieu suprême qui vient de l'idée du dieu des dieux d'Homère est ce postulat qui conduit tout naturellement à celui de Plotin et de son principe premier, l'Un. L'unité est le facteur mathématique et philosophique de la pensée accomplie. La pensée juive et la pensée chrétienne, par le verbe être, conjuguent Dieu au présent dont le nom véritable est "Celui qui est" (p44). Si bien que la raison humaine s'approche alors d'une vérité unique sur le fait d'être. "Etre" profondément c'est "être" par excellence, c'est "être" véritablement et éternellement puisque toujours présent et donc toujours vivant (p55). C'est l'existentialité de Dieu détaché du texte mythologique et d'un narratif fantasmé. Cette existentialité de Dieu c'est Dieu qui rend compte par le verbe "être" au présent, de l'existence réelle d'une réalité supérieure. D'après Thomas d’Aquin, Dieu est le plus haut objet que l’on puisse concevoir pour la science humaine (p64). C'est le seul postulat qui peut répondre à cette question de Leibniz, à savoir, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? (p116)
Ainsi la non existence de Dieu ôte toute cause suprême à toutes choses, qui, même si elles peuvent-être expliquées par tout une série de lois mathématiques, géométriques et physiques, n'auront pourtant aucune raison profonde, ces mêmes choses, d'exister ni même de donner du sens puisqu'elles seraient le produit du seul hasard. Pour répondre à cela, Gilson s’appuie sur Spinoza, Dieu est l'essence absolu (p85), dt-il tout en ajoutant qu'il a de lui-même un pouvoir d'existence infini. Les arguments du professeur Victor Brochard dans son ouvrage, Le Dieu de Spinoza, sont également à méditer. Pour synthétiser, Dieu est le véritable sens du problème de l'existence (p90). Pour certains comme Rousseau et Voltaire, les termes "horloger" et "architecte" sont plus appropriés. Pour Robespierre "l'Etre suprême" convenait mieux. C'est la religion des lumières, c'est la réponse des révolutionnaires au sens de l'existence. La raison contemporaine commence avec eux. Emmanuel Kant et Auguste Comte prendront le relais (p91) et réduiront Dieu à un concept abstrait qui ne peut être expliquer par la connaissance scientifique, laquelle deviendra l'arbitre de la pensée. Ainsi la science ne demande jamais pourquoi les choses arrivent, mais comment elles arrivent (p93).
Si d’emblée on écarte les causes premières et les causes finales, on évacue alors les grecs à travers Platon, Aristote et Plotin, tout en ôtant aux juifs la révélation du Dieu unique, et aux chrétiens le Christ où se sont greffés des penseurs comme Thomas d’Aquin, Descartes, Pascal et Spinoza jusqu'à Simone Weil avec un grand "W". Cette base est un bien essentiel puisqu'elle offre à l’existence une finalité et une substance de Dieu par le Christ. Dieu est ainsi rendu visible pour les yeux et la raison. En conséquence cette cause suprême répond à la question de Leibniz sur le pourquoi du comment tout en nous assurant d'être, cette cause suprême, un Dieu d’amour et de consolation qui remplit l'âme et le cœur de ceux qui le possède (p76).
Antoine Carlier montanari