Titanic Economique (12)
Quoi que je me sois déjà prononcé sur ce problème, il me parait important de consacrer quelques lignes sur l’évolution de la crise actuelle. En effet elle acquiert une telle proportion aujourd’hui qu’il est difficile de ne pas en prendre conscience, cependant un grand nombre demeure encore aveugle, se fait tromper facilement par certains indicateurs en trompe l’œil comme les marchés boursiers. J’ai déjà parlé du danger de rester dans le déni et de ne pas voir les conjonctures profondes qui nous ont entrainées jusqu’ici, l’état des lieux est tel qu’il faut persévérer dans la compréhension et dans l’analyse de la situation. Un chaos soudain semble inévitable même si la marche des évènements parait encore ordinaire pour beaucoup car elle nous précipite de la manière la plus lente. Mais la dégradation ne fait que s’accélérer dans les couches les plus pauvres, les moins visibles et commencent maintenant à devenir apparentes en périphérie. Les hommes plongent d’ambition en ambition, oubliant que les richesses des uns entrainent la pauvreté des autres, les solutions de ce temps ne marchent plus, l’homme acquiert une fortune plus grande et plus rapidement qu’un prince, qu’un roi, qu’un empereur ; cet homme jadis ordinaire est devenu le modèle de réussite. Cet exemple prouve encore combien les rois ont été substitués injustement tant ceux qui les ont remplacés ont bien plus d’estime pour la richesse et les honneurs. Bref, après cette courte digression il est temps de revenir à mon propos central, en effet, c’est après avoir lu les propos de Dominique Strauss-Kahn tenues lors d’une conférence à Séoul au mois d’octobre, qu’il m’est apparu propice d’en exposer l'essentiel. A ce degré d’élévation qu’il a pu parvenir, très ambitieux par ailleurs et qui avec grand talent avait renvoyé Nicolas Sarkosy dans les cordes sur une question économique, a obtenu le poste de directeur du FMI, justement avec l’appui de ce dernier, d’ailleurs peut-être pour l’éloigner de la présidentielle de 2012 dont il était devenu le candidat le plus légitime du parti socialiste. Hélas ses faiblesses organiques se sont avérées dévastatrices pour la suite de sa carrière, ceci étant il faut avouer que sa lucidité en matière financière ne pourra être remise en cause étant donné qu’elle est largement reconnue de tous, comme quoi le talent peut être associé aux vices sans y être affecté, bien sûr citer Rimbaud, Oscar Wilde ou encore Proust viendront appuyer cette pensée. Dominique Strauss-Kahn semble s’être en partie remis de cette épreuve, il démontre ainsi une grande force de caractère tant sa chute fut importante. Arrivé à ce point après s’être vu enlevé tout son honneur, il revient, parle et je dirais qu’en cet état il parait affermis et serein, c’est du moins cette impression qui me donne envie d’honorer son courage. Alors je le citerai car son analyse recentre sur la gravité de la situation, c’est grave, très grave, le constat est ici suffisamment lucide et d’ailleurs formidablement révélateur du fossé qui le sépare de son ami Hollande, l’on pourra peut-être en déduire une certaine indépendance d’esprit.
Il me plait ainsi de souligner les réactions de certaines élites, elles permettent d’une part lors d’une discussion de solidifier un argument et d’autre part elles préviennent de ce qui va arriver. On peut dénigrer ou ignorer ce qu’ils disent, mais procéder de la manière est aussi un signe de bêtise qui conduira inévitablement à être pris au dépourvu. Donc en lisant ce qu’a dit monsieur Strauss-Kahn, on ne peut que constater l’inefficacité des politiques face à la finance : » Ils se cachent tous derrière la BCE pour camoufler leur inaction ». On est donc en train d’assister au naufrage de l’Europe qui se laisse conduire par une banque centrale toute puissante, mais incapable de relancer le système : » Nous allons avoir une faible croissance qui ne crée pas d'emplois, pendant de longues années, jusqu'à ce que cela crée des problèmes sociaux et politiques ». La situation est comparable à la crise de 1929, avec une issue dîtes : « cauchemardesque ». Vous voilà prévenu, si cela peut vous conduire à une prise de conscience suivi d’une préparation personnelle alors le sens de l’histoire n’aura pas été vain pour vous. Les tumultes qui arrivent vont croître et certainement plonger le monde dans de profondes difficultés, je relèverai ici, pour conclure, un propos du directeur des hautes finances Philippe Dessertine au Figaro au mois de juillet : « Le volcan financier ne va pas tarder à se réveiller… La peste ou le choléra, tel est l'inextricable dilemme auquel sont confrontées les autorités monétaires: ou bien elles se décident enfin à sortir de la double aberration qui a permis un temps de s'extraire d'une spirale délétère ; ou bien, sous la pression des politiques, le statu quo est maintenu pendant une période de deux ou trois ans, dans l'espoir chimérique d'une relance de la croissance mondiale. Et, dans les deux cas, se profile un énorme risque de krack sur le marché de la dette, en particulier de la dette souveraine, et sur celui des actions. »
Le pire dans cette affaire, déjà prévisible par l’abolition des accords de Bretton Woods en 1971, sera la réaction des peuples, terrible sera de constater leurs lamentations. Je les vois déjà objecter quelques lamentables paroles de type : « - Il fallait s’y attendre, cela faisait déjà plusieurs années que cela durait. » Dans ces temps c’est affligeant, l’accès à l’éducation, à la culture, à l’information n’a jamais été autant facilité, semblable bénéfice n’est même pas en mesure d’être correctement utilisé par les masses !
Antoine Carlier Montanari