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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

18 Aug

Le Dessous Des Toiles: Portrait Du Fils De L'artiste (Cézanne)

Publié par AntoineCarlierMontanari.over-blog.com  - Catégories :  #Le Dessous Des Toiles

                                            

 Ce tout petit tableau exposé au musée de l’Orangerie, et peint vers 1880, possède encore cette facture classique que Cézanne, par la suite, ne cessera de dissiper. Si le peintre vaut par ses aplats et ses couleurs, juxtaposant presque infantilement des nuances farouches et hérissés, sa technique picturale n’en demeure pas moins aussi spécifique que prodromique.

 Cézanne peint sa géniture, son fils a moins de 10 ans, il est assis dans un fauteuil. Le visage orienté vers la droite, l’enfant parait tranquille, attentif et même  apaisé. Abandonné au regard de son père, il fixe soigneusement des yeux la présence d’une chose dont le peintre nous a ôté de la vue. Il n’est pourtant pas difficile de percevoir ici la manière dont le père a exposé son fils à la lumière. Celle-ci provient de la gauche avec une telle prudence que l’on perçoit à peine l’ombre du jeune garçon se porter sur le fauteuil.

 Mais que faut-il comprendre dans cette mise en scène ? S’il faut soustraire le fauteuil, dont nous verrons plus loin quel est son véritable rôle dans cette histoire-là, le mur du fond est aussi abstrait qu’une parcelle de ciel grisâtre. C'est donc là que Cézanne porte son ciel et sa métaphysique inconsciente du spirituel car du religieux il n'a réalisé pas beaucoup plus qu'un portrait de moine dont le visage et le regard sont à vrai dire assez proche de ceux du jeune Paul. A vous de voir, pour ma part la chose est entendue, Cézanne saisit le regard  rêveur de son fils et nous le livre de la manière la plus banale. En effet le geste rugueux de l'artiste a assurément rendu la lumière aussi exsangue que celle de l'Angélus de Jean-François Millet. Apparaît alors la condition chrétienne de l'humilité dont les deux peintres ont manifestement souligné avec une tonalité picturale pusillanime.

Il est peut-être hasardeux de mesurer la part de révélation inconsciente de Cézanne dans cette sociologie de la filiation, mais cette relation semble être irriguée de spiritualité relatif au fauteuil dont le dossier peut être apparenté à une aile d'ange. Pour cela examinons un fragment du retable Baronci peint par Raphaël. Examinons donc l'aile verte derrière l'épaule gauche de l'ange. On ne peut que constater la ressemblance avec le dossier du fauteuil de l'oeuvre de Cézanne. Cet étrange rapport, même si il est fortuit, est toutefois troublant du point de vue de l'interprétation. Juxtaposons donc maintenant les deux œuvres. A gauche, la peinture de Raphaël, à droite, celle de Cézanne. On peut ainsi observer toutes les analogies visuelles. Outre les dispositions corporelles et les lignes de forces des courbes vestimentaires, on voit ici très distinctement que la délinéation de l'aile de l'ange est quasi identique à celle du fauteuil. Cette connexion formelle, précisément localisée derrière chacune des épaules gauches, peut agir comme une résonance symphonique dont l'harmonique est toute contenue dans une dynamique de l'instantanéité spatiale incarnée par l'immobilité des ailes. Plus délicat par ailleurs, on peut noter le carmin des lèvres qui souligne celui plus délicat des joues, et qui offre une effective idée de l'amour.

Cézanne, sous réserve de plagiat par anticipation, a accordé à son fils une part d'éternité que l'on retrouve dans ses montagnes Sainte-Victoire. Si l'oeuvre de Raphaël cède aux exigences de la renaissance avec son esthétique extraordinairement sculpturale, celle de Paul Cézanne jouit d'une lucidité admirable dont la main saura tout de même codifier afin de rendre perceptible son propre talent. Si le rôle du fauteuil forme matériellement l'aile de l'ange, et au delà de la trivialité apparente de l'objet en question, il faut dire que les doigts de Cézanne ont su admirablement le placer pour le transfigurer. Avec cette contrefaçon picturale du spirituel, où culmine un minimalisme qui trahit le sentiment du ciel, le fils Paul apparaît alors comme la forme humaine d'un ange en devenir dont l'innocence captée dans le regard exprime déjà cette élévation. On retrouve alors naturellement écho de ce mouvement dans les variantes de la montagne sainte Victoire dont les très rustiques visions rappellent picturalement que cette vieille terre de France est bienheureuse d'avoir un tel Sinaï.

 Pour en revenir aux similitudes entre les deux œuvres, outre la posture des modèles, les poitrines de face et les têtes orientées vers la droite et qui ne sont pas pour rien dans l’expression de l’isolement des êtres, ont peut apprécier le sentiment austère qui s'y dégage. Nous pouvons d'ailleurs observer l'apaisante expression des visages qui nous amène à cette quiétude qu'exerce habituellement le silence des églises. Aujourd'hui hélas on ne parle plus de telles offrandes faîtes par les hommes, il se dégage malheureusement que de piètres œuvres ou de niaises représentations et qui ont dégagées toute qualité d'élégance et de raffinement. Si Cézanne dans cette toile nous offre une humble image de son fils, il laisse si bien apparaître une composition sincère et vrai dont le coloriage nous fait goûter du regard une certaine réalité sociale que Zola aura parallèlement et formidablement exprimé par les mots.

 Ainsi sur le bleuté du pull du fils de Cézanne danse des ombres où chemine des clairs-obscurs dont les métamorphoses ocres qui séjournent en petites tâches rappellent la rugosité provençale du maître français. Plus radieux, plus précieux, l'habit princier de l'ange parle d'un monde plus étincelant où les tissus et les étoffes vénitiennes parent les palais de la haute renaissance italienne. Quoi que les deux peintures s'opposent sur cet aspect, c'est tout de même le reflet des jours tristes et celui des jours heureux. Mystérieusement devant ces deux œuvres séparées par quatre siècles, le cadrage de près de ces juvéniles présences dont les attitudes dépouillées d'orgueil nous font éprouver le regard au ciel, nous mène à l'intimité existentielle. 

 Ainsi Cézanne a scellé sur cette petite toile l'innocence qui dans l'éclat d'une verte jeunesse fait apparaître une certaine mélancolie. C'est peut-être là que s'est joint le caractère spirituel qui embaume la toile avant qu'il ne soit dévoilé par le fauteuil. Ce petit portrait, installé sur un mur du musée de l'Orangerie à Paris, a donc cette force toute cézanniène qui saura faire réfléchir sur la piété du peintre. Indéniablement le regard du jeune garçon est comme consumé de l'intérieur et qui sans laisser trace de son enfance bouillonnante prend un air des plus sérieux pour plaire à son père qui l'observe. Dans cette simple toile, Cézanne qui a l'immense capacité à facetter tout ce qu'il peint, a délicieusement harmonisé les tons, qui bien que mornes, démontrent ici et plus que dans tous ses autres tableaux qu'ils peuvent intensifier et parfaitement modeler la figure humaine. Tout en restant un dessinateur approximatif, Cézanne a su aisément matérialiser la présence physique et la présence spirituelle de son fils tout en saisissant son caractère singulier. Peut-être, c'est vrai, ne l’aperçoit-on pas du premier coup d’œil, mais dans la durée, l'entendement faisant, féconde alors toute l'intimité de l'oeuvre. 

Antoine Carlier Montanari

 

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