Génération Sacrifiée (7)
Ils festoient, ils aiment ça, plus que cela même, ils veulent du temps, plus de temps pour danser, rire et boire, jusqu’à sans soif. La jeunesse allemande veut en finir avec les interdits chrétiens et elle le fait savoir, sans peur et sans reproche comme un bataillon prêt à la guerre. Les bars et discothèques doivent rester portes ouverts en ce vendredi saint, c’est dit haut et fort, de la même manière qu’on le ferait pour une noble cause. Cette génération, son immensité, sa rapidité, ses désirs, ses courants secrets, ses dévastations ne se comparent à aucune autre génération. Elle succombe à tout, surtout à la jouissance et plonge, entraînée dans un éros sans fin, sans fin là où se trouve le point le plus érogène, le plus savoureux pour eux. Cette scène festive caresse secrètement celle du Sinaï, pas celle du haut mais celle du bas, avec son or et ses danses libidineuses, faites d’ondulations ignobles et de lignes grotesques qui n’ont plus rien à voir avec l’amour. Ce pouvoir de la bête, la bête de l’apocalypse, livre ici son grand requiem et ils aiment tous cela comme si c’était leur vendredi saint, le leur dans une énorme exhibition, qui convulse et qui s’ordonne suivant les spasmes de leur dieu. - Délirons ensemble, comme les faunes et les satyres, c’est comme cela qu’il nous faut jouir, absolument pas de place pour autre chose et encore moins pour celui qui fut mortel sur la croix ! A plusieurs, successivement, si tard que le soleil ne pourra plus nous voir, nous irons châtier comme des lions affamés les lois des chrétiens ! Puissions-nous, nous qui sommes des rois, s’esclaffer lourdement devant leurs temples, il faut bien dire qu’ils y en a partout, dans toutes nos villes, avec leur cimetières et leurs calvaires. Bâtit par nos pères et bien sûr pour nous tout cela ne vaut rien, bien moins que nos fêtes en tous cas ! N’avez-vous donc pas compris, compris ce qui nous anime, ce qui nous enthousiasme, d’ailleurs ne cessant jamais et qui compte plus que tout ici-bas ? Tout ce qui précipite dans la jouissance physique et la transe qui nous soulève et nous tort comme des damnés, ensemble, dans une vague immense, au sein du monde, nous donnons le la de la nouvelle religion. N’avez-vous donc pas compris tout cela ? - Ah ! Répondis-je, tout ce que je peux vous dire en cet instant, vous voyant pour ce que vous êtes, je n’ai plus confiance en vous. Génération folle, si singe en dedans et encore si proche de l’homme en dehors, vous avez perdu tout, surtout cet héritage de la croix. Pourtant si merveilleuse et c’est ça, pauvres fous, le véritable objet de l’amour ! Et c’est un moment fâcheux que cette rébellion, ce qui vient de m’être montré ici, montre bien la forme prodigieuse de celui qui vous conduit ! Vous vous êtes fait l’allié de Nietzche plutôt que de Tolstoï ! Il devrait, dans vos cerveaux nouvellement constitués, apparaître l’éloge du christianisme et de ses valeurs ou du moins reconnaitre que celles qui s’en sont émancipées pour constituer celles qui vous animent proviennent bien de ces premières. J’ai là un regret, si manifeste pour votre génération, j’y vois une manière de vivre presque automatisée, imprégnée entièrement d’émotion et d’instinct, qui, quand elle se rend en classe apprend des nobles esprits leur grande sagesse, et qui, quand elle en sort, ne sait en tirer aucun profit. Cependant, il y a des fois quand vous sortez, peut-être même de nombreuses fois, vos êtres, ou plutôt une partie importante de vos êtres, se trouvent en admiration et se mettent certainement à vibrer quand vous croisez les chefs d’œuvres du passé accrochés dans vos nombreux musées. Je serai peut-être même étonné de vous voir absorbés ou encore précipités devant des scènes religieuses si adroitement représentées. Et de toute cette peinture et de toute cette sculpture, manœuvre en vous tout le génie humain, alors plus aisément vous formez vos esprits à devenir meilleur. En ce sens, ce qui a été accompli prodigieusement, avale tout doute sur la foi de leurs auteurs, sans réserve l’admiration s’élève comme un feu nouveau! Il y a là un panache du genre humain, en majesté trônent les Tintoret, Titien, Michel-Ange, Raphaël, De Vinci, Rembrandt et j’en passe. Il y a là une formation d’une extraordinaire ampleur et qui forme en profondeur et en chacun de nous un nouvel espace où se ploie la beauté. Leur foi, une fois lancée élance les marbres et les palais, instruit les foules et les princes, élèvent les cités et les nations. Ainsi, en héritiers, vous ne pouvez pas tout balayer, surtout de la manière que vous le faîte aujourd’hui, avec insolence, sans tâcher de savoir pourquoi on a instruit de telles lois, si tenté que ces lois manient la vertu et la prudence, chose que Nietzche a considéré pour ne pas devenir comme des bêtes.
Antoine Carlier Montanari (commentaire suite à l'article paru dans le Figaro du 31/03/2013, intitulé:" La jeunesse allemande veut en finir avec les interdits chrétiens " )