Un Livre Que J'ai Lu (220) : Saint Jude (Liz Trotta)
/image%2F0992081%2F20250311%2Fob_21f9df_couverture.jpg)
L'auteur s'est penché sur ce saint dont on ne sait pas grand chose mais qui en ces temps incertains, est devenue une figure incontournable pour les désespérés. En effet, pour les catholiques comme pour les non-catholiques, et surtout aux Etats-unis, le saint est particulièrement apprécié. Saint Jude (ici) est surnommé le saint de l'impossible. Il exauce tout, et dans cette Amérique gangrénée par la drogue, la pauvreté, le chômage, la violence, les divorces, les faillites, le cancer, le sida et la pornographie, il intervient et résout tous les problèmes, même les plus insolubles. C'est sa marque de reconnaisance et les américains l'ont très bien compris. Le saint est arrivé en Amérique au XIXe siècle avec la venue d'une multitude d'européens chargés de rêves et d'espoir (p173). Au regard des immenses difficultées rencontrés dans le nouveau monde, la dévotion à saint Jude s'est largement répandue. Les nombreux miracles constatés n'ont pu être étouffés, le bouche à oreille a parfaitement fonctionné.
Dans l'Eglise catholique les saints sont des hommes, des femmes et même des enfants qui se sont donnés corps et âme au Christ. Ce sont des modèles d'exemplarité dans la foi. De ce fait, transpire en eux la grâce de Dieu qui se traduit toujours par des miracles. C'est pourquoi les catholiques demandent leur intercession dans les épreuves. Les saints prouvent que la sainteté est atteignable et qu'elle n'est pas simplement un état d'être idéalisé. L'ouvrage de Liz Trotta remonte aux origines de notre saint et témoigne de cette vivacité spirituelle qui anime beaucoup d'hommes et de femmes de notre époque empêtrés dans des difficultés parfois insurmontables et dont le dernier espoir est tout tourné vers l'apôtre le plus méconnu du Christ.
.
"C'est Jude qui remplit les caisses, et on le sait", affirme un prêtre à Washington. Son action dépasse tout, parce que sa dévotion est importante. Il exauce tout si l'on confie ses problèmes avec une foi sincère. Saint Jude déplace les montagnes, redéfini les lois naturelles et offre des opportunités là où tout a échoué. Son action s'adresse avant tout aux âmes abîmées par les malheurs. Quant aux intellectuels et autres athées endurcis par l'orgueil, seule l'épreuve la plus extrême est en mesure de les mettre en route spirituellement. En effet, quand à leur tour, ils sont écrasés par des drames alors l'idée de Dieu devient possible, surtout si au préalable ils ont eu vent des miracles opérés par le saint. C'est pourquoi il ne faut pas voir le malheur avec le regard du monde car le regard du monde est incapable de comprendre le mécanisme spirituel intégré au malheur. Le malheur, effectivement, ôte le voile de l'orgueil, lequel fait oublier qu'on est beaucoup plus infirme qu'on ne saurait le comprendre. Ainsi le malheur réoriente moralement l'individu et redéfini ses priorités. La croix est donc le symbole du malheur universel, et cette croix, selon l'enseignement du Christ, mène directement à Dieu. On ne compte plus les cas de personnes qui ayant tout perdu retrouvent la foi en Dieu. Ce que confirme ce vieil adage (ici),
" C'est quand l'homme est réduit à la dernière extrémité que Dieu a une chance. "
Aux Etats-unis, dans les journaux les plus sérieux, on retrouve aux pages consacrées aux petites annonces, des messages remerciants le saint d'avoir exaucé des prières (p53). On peut citer le New York Post, le Times, le New York Times, le San Francisco Chronicle, ou encore l'International Herald Tribune. Son action a été si efficace que les miraculés ne peuvent s'empêcher de le faire savoir. Chacun y va de son histoire, du drame qui a pu être évité, d'un emploi retrouvé, jusqu'à la guérison d'une maladie compliquée. Pompiers, cadres, acteurs, danseurs, journalistes, techniciens, ingénieurs, femmes de ménage, chefs d'entreprises, bref tout le monde vient chercher du réconfort auprès du saint. Pour exemple, un monsieur et ses trois petits-enfants se rendent à l'église chaque jour pour y prier une neuvaine en l'honneur du saint. Le fils et la belle fille de ce monsieur étant drogués, leurs enfants ont été placés en famille d'accueil. Bien entendu le monsieur espère adopter ses trois petits-enfants mais le tribunal oppose sytématiquement un refus. Au cinquième jour de la neuvaine, le juge annule toutes les décisions précédentes et accorde au monsieur la garde tant demandée de ses trois petits-enfants (p65).
Un autre exemple tout aussi édifiant, celui de Manny Villafranca. Ce chef d'entreprise de 31 ans n'arrive pas à trouver des financements pour fabriquer des pacemakers à longue durée de fonctionnement. Il est au chômage avec de grosses dettes, une maison sur-hypothéquée et un fils à l'Hôpital. Ayant prit connaissance dans une église de l'efficacité de saint Jude, il entreprend une neuvaine et se rend à la messe quotidiennement. Quelques semaines plus tard, un investisseur vient frapper à sa porte. Sa femme était alors enceinte et pour remercier le saint, il nomma son fils Jude. Mais le petit Jude naquit avec des problèmes de santé qui nécessitaient des opérations. Alors les prières incessantes et les huit opérations permirent au nouveau-né de guérir. Manny Villafranca remercia une nouvelle fois saint Jude en baptisant l'une de ses entreprises "Saint Jude Medical Inc." (p36).
L'Hôpital Saint Jude pour enfants, à Memphis, dans le Tennessee (ici, en haut), est né d'une autre belle histoire. En effet, dans les années 1950, Danny Thomas (ici, en bas) était un acteur et producteur de télévision américain. Il était profondément croyant et vouait une grande dévotion à saint Jude. Alors qu’il traversait une période difficile dans sa carrière et sa vie financière, Danny Thomas a prié saint Jude, lui demandant de l’aider à réussir dans le monde du spectacle. En échange, il a promis qu’il ferait quelque chose de significatif pour rendre hommage au saint. Lorsque sa carrière a décollé et qu'il est devenu une star, il a tenu sa promesse et a décidé de fonder un hôpital pour enfants, qui offrirait des soins gratuits aux enfants atteints de maladies graves, notamment le cancer. Cet Hôpital, le St. Jude Children's Research Hospital, est devenu l’un des centres les plus avancés pour la recherche et le traitement du cancer infantile et d'autres maladies graves. Et aucun enfant n'est refusé pour des raisons financières. De nos jours l'hôpital continue de mener des recherches contre les maladies infantiles.
La dévotion à saint Jude ne cesse de croître et ne faiblit pas, comme le confirme le père Éric Carpine, qui officie à l'église Saint-François de New York. Dans cette mégapole, où se concentrent plus de tragédies que nulle part ailleurs, de nombreuses âmes se tournent silencieusement vers lui. La méthode judéenne consiste à prier avec la certitude que rien n'est impossible à Dieu. L'expérience judéenne est celle de la patience et de l'espérance en toutes circonstances, surtout dans les situations les plus désespérées. New York est à la fois le cœur du dynamisme financier américain et le foyer d'une énergie spirituelle incroyable, façonnée par les nombreux perdants du rêve américain. Saint Jude dépasse les attentes et relève ceux qui sont tombés. Cette main tendue du Ciel joue un rôle majeur dans la réussite de l'Amérique. Les Américains ne sont pas frileux envers Dieu : ils ont le cœur ouvert et n'hésitent pas à demander Son aide pour réussir. Cet élan spirituel n'est pas étranger à l'insolent triomphe de cette nation, dont les présidents, je le rappelle, prêtent serment sur la Bible avant d'entrer en fonction.
Le cœur de l'ouvrage est consacré à l'histoire de saint Jude, malgré le peu d'éléments solides retraçant son existence. Les seules traces historiques sérieuses nous sont apportées par un certain Eusèbe, historien du IVᵉ siècle (p. 100). Ce fameux historien, soutien inconditionnel de Constantin Ier, empereur romain qui, par ses réformes, favorisa largement l'essor du christianisme, conte l'histoire du roi Abgar, guéri de la lèpre par Jude. Eusèbe raconte que le roi, ayant entendu parler des nombreux miracles attribués au Christ, lui adressa une humble requête pour le soulager du mal qui le faisait souffrir (p. 101). La réponse du Christ, orale, fut mise par écrit par un certain Ananias. Le Christ affirma qu'il enverrait un disciple dès son retour auprès de son Père. Et ce disciple fut Jude. Certes, cette histoire est considérée par les érudits comme un récit inventé. Liz Trotta affirme toutefois qu'elle contient certainement un noyau de vérité (p. 103), car la légende du roi Abgar guéri par Jude demeure tenace et s'est ancrée dans les consciences comme si elle était la vérité. Quoi qu'il en soit, cette légende ne fait que refléter tous les miracles associés au saint.
À Rome, il existe des vestiges matériels, nous dit l’auteur (p. 120). Trouver ces reliques est ainsi devenu, pour Liz Trotta, un enjeu d’orgueil professionnel. Elle rappelle que, peu après le couronnement de Charlemagne à Rome, le jour de Noël de l'an 800, le pape Léon III offrit au nouvel empereur des reliques de plusieurs apôtres, dont celles de saint Jude. Charlemagne, ardent collectionneur de reliques, emporta ces dernières à Toulouse, où elles furent déposées dans la basilique Saint-Sernin (ici). Au XIXᵉ siècle, selon Monseigneur Paul Guérin, chambellan du pape Léon XIII, la tête de saint Jude s’y trouvait encore (p. 164). On peut noter que la statue du saint est toujours présente et qu’un grand nombre de fidèles vient s’y recueillir. Et ils ont tellement touchés sa main droite qui se porte sur le médaillon du Christ, qu'elle en est usée. En 1994, le pape Jean-Paul II offrit, en cadeau à l’Église apostolique arménienne, des reliques de saint Jude et de saint Barthélémy. Les Arméniens revendiquent être la plus ancienne Église chrétienne. Ce don des reliques des deux apôtres visait à renforcer les liens entre les deux Églises par la reconnaissance mutuelle de leurs origines apostoliques : l’Église catholique, fondée sur saint Pierre et saint Paul, et l’Église d’Arménie, sur saint Jude Thaddée et saint Barthélémy (p. 155).
On ne peut achever ces repères historiques sans évoquer le chef-d'œuvre de Léonard de Vinci. En effet, La Cène (ici) apporte un éclairage sur notre saint. Jude y est représenté aux côtés de Simon et mathieu, à l'extrémité droite du Christ. Mathieu, vêtu d’une toge bleue, le visage tourné vers Jude et Simon, dirige ses mains vers le Christ, qui vient d’annoncer qu’il sera trahi. Judas est celui qui le trahira, tandis que Jude, qui porte le même nom, exprime une consternation silencieuse. Malgré sa dégradation, l’œuvre révèle avec force l’opposition entre la quiétude du Christ et l’agitation des apôtres.Le Christ, parfaitement centré, est auréolé d’une triple ouverture symbolisant la Trinité. Si l’on porte le regard sur Jude, entouré de Simon et Mathieu, on découvre une sorte de petit théâtre à part entière. Cette scène dans La Cène, presque invisible tant le Christ capte tous les regards, décrit un dialogue à trois où Jude, vieillissant, semble faire écho à ce fameux autoportrait présumé de Léonard de Vinci (ici).Toutefois, malgré les efforts de l’art, saint Jude, comme l’écrit Liz Trotta, demeure insaisissable (p. 178).
Antoine Carlier Montanari