Un Livre Que J'ai lu (217) : L'uniformisation du monde (Stefan Zweig)
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Ce petit ouvrage est paru en 1925. Stefan Zweig constate déjà les effets de la mondialisation sur les comportements. Le plein essor de l'activité industrielle est le facteur principal de la standardisation de la vie. L'industrialisation et la technicisation, c'est à dire le mouvement mécanisé de la production, a globalement engendré une nouvelle manière de vivre. L'homme occidental est sous l'emprise du rythme de la machine, il est en quelque sorte articulé selon le mode de production industriel. Tout s'automatise, tout se normalise et tout s'uniformise. C'est la réification du monde et l'abandon progressif du mode de vie traditionnel. La foi dans le Ciel n'est plus la mesure de toutes choses. L'homme s'enchasse dans la matière pour devenir le mannequin vivant de la marchandise.
Cette uniformisation impacte désormais toutes les contrées du monde, y compris les plus reculées, et il n'est pas rare de voir quelques indigènes de tribus isolées revêtir t-shirt et casquette. Tout tend donc vers la standardisation. Du nord au sud, de l'est à l'ouest, la vie devient le jouet de la société moderne. Les populations sont soumises aux mêmes goûts que Stefan Zweig qualifie de "moutonniers". L'individu perd sa singularité pour suivre le monde extérieur, son intériorité ou son être intérieur n'est plus, il est en retrait, étouffé par les forces capitalistiques. Stefan Zweig parle de monotonie tant tout tend à être même. Ce monstrueux mouvement qui vient de l'Amérique et qui s'est étendu en Europe créait une terrible vague d'uniformité.
L'individu est ainsi encouragé à chercher le plaisir sans effort, à abaisser son exigence morale. Il ne s'aperçoit pas, écrit Stefan Zweig, qu'il est poussé vers le vide spirituel. Il n'y a aucune résistance contre ce courant d'uniformité qui réduit l'individu à devenir ce que la mode du moment exalte. De nos jours, par exemple, la mode racaille et le tatouage représentent des comportements symptomatiques de l'asservissement mental. Ces deux types de comportement montrent à quel point la liberté de l'individu est limitée aux pratiques du moment. La mode racaille et le tatouage sont des formes superficielles de rébellion que le Capital encourage pour consumer l'individu dans une résistance stupite, vaine et impuissante au monde. Ce déracinement culturel reconditionne la vie. L'individu est poussé à consommer de l'incertitude et des objets idéologiques angoissants.
Stefan Zweig n'échappe donc pas à la critique du monde moderne. Déjà bien analysé par René Guénon (ici), la modernité a véritablement fait basculer l'humanité dans une ère post chrétienne où la notion de l'utile masque la pure notion du vrai. Carl Gustave Jung, dans "Présent et avenir" (ici), et que l'on commentera prochainement, développe, outre la relation de l'inconscient avec le conscient, le rapport conflictuel entre l'Etat et la religion. Cet axe de compréhension complète l'analyse de Stefan Zweig, en effet Carl Gustav Jung affirme que l'individu se transforme en une fonction de l'état, il devient un rouage fonctionnel de ce même Etat. N'ayant plus d'expérience intérieure transcendante comme la piété et l'oraison, l'individu est mené tranquillement, selon Jung, sur la route qui mène à sa propre atomisation. C'est donc une certaine manière d'être qui disparaît et pour reprendre Pier Paolo Pasolini, cette nouvelle manière d'être n'est plus qu'un tressautement de marionnettes.
Antoine Carlier Montanari