Un Livre Que J'ai Lu (212) : L'étrange Contrée (Ernest Hemingway)
Précédemment, la jeune Sarah dans "La fille du fermier" de Jim Harrison" (ici), était tombée amoureuse d'un professeur bien plus âgée qu'elle. Dans notre histoire, Ernest Hemingway narre une relation amoureuse entre un écrivain et sa belle-fille. Dans ces deux histoires américaines, la jeune femme pour ne pas dire l'adolescente est un fruit non défendu. Jim Harrison et Ernest Hemingway, sans grande finesse, tripotent ce fruit avec toute l'excitabilité de l'homme moderne. Nul doute que pour le lecteur ordinaire, ces récits que l'on qualifiera de feuilletons, apparaîtront comme la forme achévée de la littérature. Ce théâtre de marionnettes aux couleurs médiocres et indélicates ne dit et ne dévoile absolument rien. Ce qui caractérise cette littérature est l'accent criard du trivial ou s'incruste des séquences pulsionnelles et des secousses hormiques aussi détaillées qu'inélégantes. Cette école charnelle est la forme complimenteuse de la pornographie et peu à peu, elle a fait de sa vision du monde un hygiénisme de référence. C'est une ingénierie de l'esprit du mal, qui comme le disait un certain Baudelaire, ne tarde pas à emporter la tête dès lors qu'on lui a livré un cheveu (1).
Le lecteur ordinaire y trouvera son compte. Ne connaissant rien ou peu à la grande littérature et vierge assurément de la lecture des grands textes, ces feuilletons agirons sur lui comme des doses de hachisch. Léon Tolstoï dans "Le Diable" (ici), savait nommer les choses pour les relier à ce qui nous est supérieur. Léon Tolstoï a véritablement pris le taureau par les cornes. Il a joué avec l'instinct lubrique de l'homme et avec l'ivresse que procure le corps de la femme. Il a joué au chat et à la souris, forçant l'infidélité à répandre toute son alchimie perverse. C'est quelque chose d'infâme et d'agréable à la fois. La morale réajuste tout malgré la chute finale. Le pauvre Irténiev est envoûté par la belle paysanne. Pour reprendre un certain Charles Baudelaire (2), ce pauvre homme s'est attaché au plaisir, c'est à dire au présent et il nous fait l'effet d'un homme roulant sur une pente et qui voulant se raccrocher aux arbustes, les arracherait et les emporterait dans sa chute. Combien ce sort est infiniment terrible sous la plume de Tolstoï. Ô maudite soif de la femme qu'a tu fais du coeur de l'homme, voilà une sentence que Tosltoï aurait pu ajouter, mais s'il l'avait fait, il aurait alors emprunté à la fameuse Divine Comédie une de ses plus belles tournures. Pour revenir à nos deux nouvellistes américains, malheureusement, l'hygiénisme dans lequel ils prospèrent est un marécage nauséeux d'impuissance.
Dans la nouvelle d'Hemingway, la relation qu'entretient l'écrivain avec une très jeune femme est un scandale. L'auteur du "Vieil homme et la mer" est d'une clarté froide sur la question de l'inceste, il ne moralise pas, et c'est peut-être mieux ainsi. Cette relation est curieuse et n'aboutit pas vraiment à grand chose si ce n'est que chacun des amants veut obtenir de l'autre ce qu'il désire, surtout la demoiselle qui se voue corps et âme à son bien-aimé. Quoi qu'il en soit, l'étrange contrée dont parle Hemingway n'est pas une région lointaine et méconnue des Etats-unis, mais bel et bien ce que Jules Barbey d'Aurevilly désigna sous le vocable "Le rideau cramoisi" (ici). Nous ne ferons pas un dessin de cet endroit que la femme exploite pour prendre l'avantage sur l'homme et qui offre assurément un certain goût de l'infini. Toute cette histoire, comme nous l'avons déjà dit, se fixe au niveau de la plus basse réalité. Ces deux marionnettes s'agitent sans dominer la scène. Certainement, qu'entre les mains d'un certain Léon Bloy, ces deux êtres auraient perdu l'équilibre. On pourra peut-être se satisfaire, pour illustrer cette relation, de cette question de Charles Baudelaire (ici),
"Pourquoi l'homme d'esprit aime les filles plus que les femmes du monde, malgré qu'elles soient également bêtes ?"
Antoine Carlier Montanari