Synthèse HENRI BERGSON
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Après la lecture de ces quatre livres de Bergson une synthèse s'impose. En effet, sa pensée, parfois complexe, a besoin d'être vulgarisé. Il est vrai que celle-ci provient d'une intuition géniale qui dans son déploiement dépasse outrageusement l'immobilité de la pensée matérialiste. Bergson a su élaborer un raisonnement pertinent et convaincant pour distinguer la vie de l'esprit de l'activité cérébrale. La relation entre les deux est fondamentale surtout dans une époque où l'athéisme prospère comme une gangrène. Effectivement, pour les athées la question de l'immortalité de l'âme ne se pose pas, pour eux la vie de l'esprit est entièrement celle de l'activité cérébrale. Avec Bergson, la relation est plus subtile, il distingue l'une de l'autre en avançant l'idée que la vie de l'esprit déborde de l'activité cérébrale. Ce débordement qui est le terme le plus approprié pour quantifié la vie mentale prend sa source dans le fait que la matière est mise en mouvement sous l'unique impulsion de l'esprit. Lequel est le point de départ de la transformation de la matière. On peut dire que cet axe de développement dit beaucoup plus qu'il n'y parait.
L'esprit met donc en mouvement le corps, il lui ordonne d'agir en vue d'un objectif bien précis. La matière est donc directement soumise à la volonté de l'esprit. L'esprit qui est invisible et impalpable agit sur la matière qui est visible et palpable. Le point de départ est l'esprit qui est invisible et le point d'arrivé est la matière qui est visible. Ce lien quasi mystérieux, est le prémice de toute compréhension entre le spirituel et le matériel. C'est donc en nous-même que se produit le contact du spirituel avec le matériel. Le rapport de l'esprit à la matière est rapide, naturel et spontané. Tout se produit à partir d'impulsions venant de l'esprit. On peut parler de coordination instantannée. Et cette connexion est une révolution dans le processus universel de la matière, celle-ci est désormais en proie à des changements radicaux. L'esprit réorganise à sa guise la matière. L'univers est désormais sous influence de l'intelligence humaine.
Penser la vérité, c'est penser selon la vie cérébrale et la vie mentale. La vie cérébrale c'est la vie du cerveau. Le cerveau, selon Bergson, a cette fonction première de maintenir notre attention fixée sur la vie immédiate, sur le réel. Il nous rappelle toujours à la réalité des choses pour que l'on ne s'écarte pas des conditions objectives de survie de la vie biologique. Mais la vie mentale, nous dit Bergson, c'est à dire l'esprit, déborde le cerveau de toutes parts, on peut parler de volonté d'être par delà la matière, de volonté d'indépendance. La vie mentale tend vers une survivance autonome, vers une survivance purement spirituelle. Ainsi il existe une unité purement biologique, à savoir le cerveau et une unité purement spirituelle, à savoir l'esprit ou l'âme. Par conséquent penser selon la vie cérébrale, c'est penser les choses de manière scientifique et penser selon la vie mentale c'est penser les choses de manière métaphysique. L'intuition selon Bergson, c'est descendre au plus profond de nous-même pour impulser une poussée qui nous renverra à la surface. L'intuition philosophique est cette poussée. C'est une respiration mentale qui synchronise l'intelligence au mystère de la vie. Il faut donc penser la vérité en joignant la vue de l'esprit à la vue cérébrale, c'est coaliser la métaphysique, la philosophie et la science. Quand la science parle à la métaphysique, il y a véritablement fécondation.
Toute la réalité observable est ordonnée et réglée avec une précision parfaite. On parle de réglage fin. C'est pourquoi, l'univers ne peut être le produit du désordre et de l'incohérence. La cause de cette organisation ne peut donc être aléatoire. La piéta de Michel-Ange et la Joconde de Léonard de Vinci sont les oeuvres non pas d'esprits instables et fous mais d'esprits rigoureux et savants. L'univers qui est infiniment plus complexe que les deux oeuvres que l'on vient de citer, ne peut être la conséquence du désordonné. Il faut donc nécessairement une intelligence supérieure à l'oeuvre. On peut parler d'inférence, c'est à dire une théorie déductive à partir d'une réalité observable. La vérité c'est que le réglage fin de l'univers nécessite, pour le comprendre, une sacrée dose d'intelligence. Et plus il faut d'intelligence à l'homme pour comprendre les lois qui régissent l'univers, plus il s'éloigne de l'idée que le désordre et l'incohérence sont à l'origine de cette savante organisation.
Si la science est une discipline incontournable pour comprendre les lois de l'univers elle ne suffit pourtant pas pour déterminer la vérité. La science tourne l'esprit vers la matière. Elle traduit le réel en chiffres et en équation, elle fabrique des définitions mathématiques à des faits d'expérience. La science est froide, elle ne possède pas les qualités de la métaphysique et de la philosophie qui elles tournent l'esprit vers l'esprit. La poussée intérieure dont parle Bergson, c'est revenir à la vie mentale. Et cette intériorisation est difficile car il faut chercher en soi la vie spirituelle. C'est pourquoi la plupart des individus sont en dehors d'eux-mêmes parce que c'est plus simple, plus immédiat. L'activité cérébrale les fixe à la matière qui est l'extériorité. Hors de soi l'effort d'apprendre est naturel car il correspond à notre nature instinctive tandis qu'en dedans de soi l'effort est pénible. Chercher en nous-même, cela ne va pas de soi car le cerveau nous ramène sans cesse vers l'extérieur, vers la matière. C'est une attraction permanente vers ce qui nous entoure. Penser selon la science, c'est penser physiquement, c'est penser avec les yeux de la chair, c'est penser selon des principes déterminés, des systèmes et des modèles immobiles. Mais penser selon la métaphysique, c'est penser de manière fluide. C'est voir au delà du voir de la chair. Aux dires de Bergson, la vie intérieure c'est la vie en mouvement, elle colle à la durée et embrasse les fluctuations permanentes des forces qui travaillent en toutes choses, elle touche l'essence intime de ces mêmes choses.
Pour aller dans ce sens on peut se rapporter à l'un des plus grands chefs-doeuvre du septième art, à savoir "2001, l'Odyssée de l'espace", de Stanley Kubrick (ici). En effet, ce film propose une vision mystico-scientifique de la place de l'homme dans l'univers. Assurément, il y a dans cette odyssée une amertume enivrante. Le long métrage offre des rapports allégoriques puissants et audacieux qui indubitablement font appels à la philosophie et à la métaphysique. Véritablement, Stanley Kubrick dépasse la vision scientifique. Il offre à cette impensable vastitude qu'est l'univers, une expression lyrique où s'incrémente un symbolisme temporel atomistique presque incompréhensible. C'est vrai, il manie une sorte de sorcellerie évocatoire qui nous mène dans une ivresse spirituelle et ésotérique. Assurément, c'est en dedans de soi qu'il faut trouver un sens à cette énigme visuelle et sonore aussi vertigineuse que mystérieuse. A des journaliste, Stanley Kubrick, dira (ici),
"J'ai eu l'intention de faire de mon film une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur au niveau le plus intérieur de sa conscience juste comme fait la musique. Vous avez la liberté de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique de ce film."
On retrouve dans ces propos l'intériorisation bergsonnienne. La comparaison avec la musique est pertinente. En effet, elle illustre la fluidité, la durée et le mouvement qui constituent la poussée intérieure. Vers la fin du long métrage, on peut admirer une scène où le personnage principal nommé David, semble voyager intérieurement à la vitesse de la lumière (ici). C'est une sorte de saut temporel. Peut-être faut-il comprendre que c'est la vie intérieure en mouvement qui nous est présenté. Ce passage est presque indéchiffrable pour le spectateur. Il faut donc chercher en soi, exercer une poussée intérieure qui nous amènera à déduire l'explication la plus plausible. Un lien immémoriel et mystérieux existe entre l'homme et l'infini indiscernable. On ne peut se contenter de la pensée froidement scientifique pour définir la formidable pulsion d'énergie qui a donné la vie. Le film de Stanley Kubrick offre, en ce sens, une admirable contemplation de l'esprit et de la matière, c'est à dire de l'homme et de l'univers.
L'intuition bergsonnienne sur la question de l'esprit et de la matière dépasse la vision matérialiste en ce sens qu'elle extrait de l'objet observé une puissance de possibililté incroyable. C'est pourquoi, en son temps, les conférences de Bergson était prisées. Il offrait à son public des modélisations mentales fonctionnelles et convaincantes. Affirmer que l'esprit déborde de l'activité cérébrale c'est dire que l'esprit est une entité indépendante. Le cerveau est la demeure terrestre de l'esprit ou de l'âme. Il nous fixe au monde matériel aussi sûrement que le clou planté dans la planche. En ce sens, on peut comprendre la volonté d'émancipation de l'esprit quand celui-ci fait appelle aux paradis artificiels pour s'extraire du réel. En effet, l'usage des drogues et alcools, par leurs effets secondaires, nous détache de la réalité. L'activité cérébrale, peut-on dire, n'est plus en mesure d'imposer sa volonté. Les conditions terrestres ne sont plus aussi prégnantes, l'esprit savoure ce détachement. Les exigences de la vie cérébrale sont ainsi rendues muettes. A l'inverse, quand l'esprit est en communion avec l'activité cérébrale et qu'il s'affaire aux exigences de la vie biologiques en obtenant de la matière exactement ce qu'il veut, alors il éprouve de la joie. C'est le signe précis, nous dit Bergson, que notre destination est atteinte.
Antoine Carlier Montanari