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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

17 Aug

Un Livre Que J'ai Lu (176) : L'esclavage Moderne (Léon Tolstoï)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Léon Tolstoï

 Léon Tolstoï nous conte, en début d'ouvrage, les conditions de travail de porteur de colis dans une gare du chemin de fer Moscou-Kazan. Ces porteurs travaillaient 36 heures d'affilé sans prendre de repos et devaient attendre le signal de leur chef pour se restaurer. Leur travail consistait à déplacer des colis pesant plus de 100 kilos et quelle que soit la température, même si celle-ci atteignait les 20 degrés sous le zéro. De véritables bêtes de somme, nous dit Tostoï, qui bien que dévoré par ce labeur, ne s'en plaignaient pas et l'acceptaient volontiers pour pouvoir simplement se nourrir. Tolstoï conclue que ces pauvres travailleurs se condamnaient à un labeur qui n'avait jamais été vu du temps du servage. Et c'est de leur propre liberté qu'ils acceptaient de telles conditions. 

 

Cette dépense insensée de vies humaines ne s'arrêtait pas là. Léon Tolstoï nous conte ensuite le sort de ces 3000 femmes et 700 hommes qui travaillaient dans une fabrique d'étoffe de soie, peuplé de machines qui exportaient leur vacarme de manière ininterrompu. En dehors, dans ce qu'il leur restait d'existence, ces femmes se joignaient à l'immoralité et n'hésitaient pas à abandonner leur nouveau-né par peur d'être remplacé dans leur emploi. Elles ont tout sacrifié jusqu'à leur santé pour fabriquer du velours et de la soie. Mais il en est bien d'autres, hommes et femmes et parfois enfants, nous dit Tolstoï qui ont donné toute leur force vitale dans des labeurs infernaux qui faisaient respirer des poussières nocives qui pouvaient mener à la mort vers l'âge de 30 ans. L'industrie moderne a tiré profit de ces masses humaines indigentes pour extraire quelques richesses qui servaient essentiellement des vies honorées et bien installées. 

 

 Alors pourquoi Dieu a t'il permis une vie de labeur et de pauvreté aux uns et une vie de jouissance aux autres? Pour le croyant la réponse est simple, le monde est injuste et ce n'est pas dans ce monde que l'homme est censé trouver le bonheur. Le temps passé dans le monde, à l'échelle de l'éternité, est une vapeur de temps. Mais du point de vue du monde, cette vapeur de temps est primordiale parce qu' il n'y a pas d'éternité, il est donc préférable d'être riche et bien installé plutôt que pauvre et mal installé. Par contre, du point de vue du Christ, et là nous rejoignons les propos de Léon Tolstoï à la toute fin du livre, une vie riche et bien installée ne prépare pas à la vie éternelle et elle peut être même un échec irréparable au point de vue de la vérité. L'âme doit donc diriger ses efforts dans le sens de la croix parce que la croix raffine l'âme comme l'or dans le feu. Mais le monde qui veut conserver sa manière d'être, qui est la somme des essences de la cupidité et de l'avarice, a donc fondé une science qui accorde une parfaite tranquillité à ses adeptes. L'homme du monde, pour reprendre Louis Ferdinand Céline, est implacable dans son désir de réussir sur la terre, et pas au ciel. Et, pour citer Bossuet, cet homme du monde tient tout le reste dans l'indifférence et tâche de vivre à son aise, d ans une souveraine tranquillité des fléaux qui affligent le genre humain. Cette science se nomme l'économie et le monde en a fait une discipline incontournable qui a détrônée bien des branches de la réflexion humaine comme la philosophie. Ses représentants sont cités comme des hommes d'exceptions qui ont apportés à l'humanité des bienfaits et leurs portraits revitalisent les couloirs des grandes écoles comme jadis les bustes des grands philosophes. Mais en réalité l'économie n'est pas une science, c'est une idéologie de domination dont les apôtres appartiennent à cette classe qui ne veut pas renoncer à toutes ces marchandises issues d'un travail maintes fois meurtrier qui contribue à leur fabriquer une vie facile et sensuelle. L'industrie appuyée par l'économie a ainsi fait abandonner aux hommes et aux femmes une existence saine à la campagne pour une existence sans âmes dans les usines des villes. Ces hommes et ces femmes ont ainsi renoncé aux joies d'une vie paisible pour un ouvrage invariable, réglé, monotone, commandé, polluant et stressant. 

 

 Ces masses d'énergie vitale qui reproduisent, au milieu du bouquant des machines, les mêmes gestes qui tuent en elles les aspirations de l'âme, s'épuisent sous des contraintes qui augmentent en elles l'esprit d'automatisation. Cela fonctionne si bien que les puissances industrielles ont pactisé avec les forces socialistes pour que pérennisent cet effort en faveur des classes non productives bourgeoises. Il n'est plus question d'émancipation, cette manière d'être doit être conservé. Les syndicats veillent à ce que ces masses laborieuses ne meurent plus épuisées au travail. Elles sont devenues comme ce bétail qui est chargé d'offrir sa force de travail au paysan pour labourer ses champs. Ainsi, bourgeois, savants, professeurs, économistes font mine de critiquer l'esprit de la richesse mais encourage le système à maintenir une classe ouvrière pour qu'elle produisent ces marchandises qui sont des commodités et des sources de plaisir. 

 

 En somme, bourgeois et syndicats s'accordent sur le fait de changer la forme de l'esclavage sans le faire disparaître. Toutes les réformes maintiennent l'ouvrier dans l'état de dépendance et toutes les lois votées en sa faveur sont votées pour le maintenir le plus longtemps possible dans cet état de servitude volontaire. Que les nations soient libres ou pas, nous dit Tolstoï, les lois qui encadrent le travail ne servent que les intérêts de leurs dirigeants et ces lois sont encadrées par d'autres lois qui organisent la violence pour les faire respecter. Le mouvement des gilets jaunes, en France, fut réprimé sévèrement. Cet exemple récent nous montre combien l'état dit démocratique et soucieux de la liberté de son peuple, s'empare de la violence pour réprimer cette partie du peuple en souffrance. Les états modernes augmentent le mal mais le dissimule derrière des formes séduisantes que les peuples peinent à discerner. Tous les parlements de ces états modernes renforcent la puissance des compagnies, des banquiers et des grands propriétaires, afin qu'ils conservent ce lieu méthodologique de la soumission. 

 

 On peut donc constater que la violence organisée à travers les corps constitués rappelle aux classes dominées qu'elles sont sous domination. Si donc la violence organisée comme l'a bien expliqué Walter Benjamin dans une critique pour la violence (ici), permet de conserver l'esclavage moderne, elle ne peut être neutralisée qu'à travers une autre violence organisée qui viendrait de la révolution sociale. Mais la destruction de la violence organisée étatique par une autre violence organisée n'aboutirait qu'au règne de la violence. En effet cette contre violence organisée imposerait encore une fois la volonté de certains hommes à d'autres hommes. Ainsi, la violence ne fait que soumettre les hommes à d'autres hommes, et tant que cet état subsistera, l'esclavage ne cessera d'exister. C'est l'inégalité des forces qui produit la domination, c'est à dire que les uns sont mieux armés que les autres, ce qui permet aux uns d'asservir les autres ou de les tenir dans une respectueuse soumission. Et il faut ajouter que cette violence organisée par l'état ne peut se réaliser qu'en soumettant des hommes à qui l'on va donner les moyens de la violence et qui ont la même condition que ceux qu'ils doivent soumettre. Cette besogne est donc accompli par des hommes qui ont accepté de prêter leur force afin que les uns conservent la domination et que les autres acceptent d'être dominés. En somme, les classes dominées se neutralisent au profit de la classe dominante. 

 

 Cette domination est maintenu par l'ensemble des forces racketteuses politiques qui derrière la démocratie et la république dissimulent une perfide volonté de garder un pouvoir hérités de conquérants sanguinaires. Et bien que le peuple accepte cet arrangement en échange d'une organisation sociale du territoire qui offre les services nécessaires à la bonne marche de la nation, c'est encore lui qui constitue la force énergétique de cette organisation qui assurément, à plein régime, fournit davantage de richesses à la classe dirigeante qu'à lui-même. La violence organisée veille à ce que le peuple soit bien discipliné et qu'il soit l'instrument zélé de cette organisation qui finit toujours par servir au mieux les puissants. Ce qui fera dire à Nicolas Machiavel que toutes les espèces de gouvernements sont défectueuses et celles qui sont les moins mauvaises finissent quand même par pourrir. Car les hommes ont cette tendance fâcheuse à satisfaire leur amour-propre en se privilégiant eux-mêmes toutes les fois qu'ils en trouveront l'occasion. Ainsi ces gouvernants sont comme juchés sur le dos du peuple qui a consenti à les porter, et ils profitent de cet appuie confortable pour atteindre et cueillir les plus beaux fruits des arbres tout en permettant au peuple qui se condamne le dos à les porter, à se nourrir des fruits qui sont tombés des arbres.

 

 Tout l'appareil social qui protège et soutient l'ouvrier n'a fait que diminuer les traces d'une ancienne forme d'esclavage. Rares sont nos contemporains à reconnaître que l'esclavage existe toujours mais qu'il a prit une forme nouvelle où le fouet et les chaînes ont été remplacés par des structures oppressives qui se dissimulent dans le chantage au contrat social. Cette forme encadre si subtilement les individus qu'il leur ait presqu'impossible de voir les fils qui les remuent. L'effort intellectuel et l'esprit critique affuté permettent de discerner les formes oppressives dissimulées dans le confort de la vie moderne. Les loisirs et le spectacle ont plongés les masses dans des marécages nauséeux d'impuissance, et la vie passive a fait des individus des apôtres de la soumission intellectuelle. Ces masses ne sont plus que des immenses pathologies narcissiques qui enfermées dans des perceptions restreintes, ont fait des loisirs une religion domestique qui invisibilise les chaines de leur esclavage. 

Antoine Carlier Montanari

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