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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

13 Jun

Un Livre Que J'ai Lu (173) : Dialogue de L'arbre (Paul Valéry)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Paul Valéry

 

Qui connait la pensée de saint Augustin sur l'arbre et la liberté, relayé par le fameux Bossuet dans son sermon sur la mort, pourra apprécier cette nouvelle qui puisant à l'antiquité son verbe et sa pensée, relate un débat intellectuel sur un arbre. Ce dialogue qui oppose un berger nommé Tityre et un certain Lucrèce, dont la poésie et la philosophie ont nourri bien des esprits, enchantera l'oreille du lecteur tant la prose employée par nos deux esprits, est savoureusement déployée par un Paul Valéry inspiré. En effet, Tityre, que Valéry a repéché dans l'œuvre de Virgile, médite sur le hêtre sous lequel il a pris ombrage. Lucrèce - poussé par le feu du jour vers cet hêtre qui forme par son feuillage un îlot de fraicheur - questionne le vieux berger qui est bien disposé à partager les bienfaits de son arbre. La prose de Tityre fléchit l'esprit de Lucrèce qui plein d'admiration écoute avec attention les propos de ce berger que les mots de Valéry rendent aussi poétiques que pertinents. Et, parfois, la fougue et la chaleur enracinent dans le verbe de ces deux poètes, quelques métaphores érotiques qui se juchent sournoisement et sans mot dire, dans l'esprit avec cette même hardiesse pimentée qui gangrène ces fleurs de cet autre poète qui jugea nécessaire d'encrer sur des feuilles de papier ces appas qui vaporisent le riche métal de notre volonté. Il semble que Valéry joue avec cet arbre dont les membres tendus, sont selon Tityre, durs comme de la pierre. L'arbre insidieux, ajoute Tityre, qui dans l'ombre insinue sa vivace substance en mille filaments, avoue lui rappeler l'amour. C'est là que tout bascule, la métaphore laisse place au verbe clair. Tityre se dégage de la définition charnelle donnée à l'amour par Lucrèce.

L'arbre est une image de l'amour spirituel, il grandit, se fortifie, se déploie, se ramifie et s'élève vers le ciel. Notons au passage l'usage de deux métaphores qui en disent long sur l'inconscient de nos deux personnages. C'est essentiel, dans ces éléments de langage que nous allons évoquer, se dessine un antagonisme moral. En effet, à la page 15, en parlant des feuilles de l'arbre, Tityre use de l'expression "son peuple ailé" et à la page 24, en parlant de la nuit étoilée, Lucrèce use de l'expression "tout un bétail d'astres". Pour l'esprit alerte la contradiction est flagrante. Dans le premier cas Tityre élève la matière végétale, assimilant en quelque sorte les feuilles de l'arbre à des anges. Dans le second cas Lucrèce dévalue les étoiles, les réduisant à la condition animale. Ces deux expressions, "son peuple ailé" et "tout un bétail d'astres", se charpentent de la même manière, c'est pourquoi on peut les comparer. Dans le cas de Tityre, l'usage de l'adjectif ailé élève le nom peuple et dans le cas de Lucrèce, l'usage du nom bétail affaisse le nom astres. Plus loin, Tityre évoque le paradis perdu et son arbre de la connaissance du bien et du mal. Il est à noter que Tityre, à la page 37, use une nouvelle fois du mot "ailées" pour qualifier non pas les feuilles de l'arbre mais les germes des plantes. Ces deux configurations métaphoriques peuvent donc servir à définir l'orientation morale de nos deux personnages. La chose se manifeste plus franchement lorsque Paul Valéry enracine Lucrèce dans le rôle de l'athée et Tityre dans celui du croyant. Lucrèce assume cette sentence prononcé par Tityre, AU COMMENCEMENT ETAIT LA FABLE. Expression écrite en majuscule dans le texte. Lucrèce récidive à la page 43, quand cyniquement il brocarde l'inspiration divine. Le mot final sera pour Tityre, donc pour Paul Valéry. Tytire avoue ne pas tout comprendre des mots savants de Lucrèce, et en bon berger, soucieux de son troupeau, il laisse Lucrèce avec son savoir en lui recommandant de prendre garde à la fraîcheur du soir. Sans doute que Paul Valéry, à travers Lucrèce qui disserte sur le pourquoi du comment du monde avec cette verve antique à moitié biaisé par un matérialisme emprunt d'une spiritualité déréglée, apostrophe la pensée moderne de son époque. Paul Valéry aura tout de même choisi, pour s'opposer à son Lucrèce, un berger qui rappellera peut-être cet autre berger qui fut crucifié sur une croix et que Léon Bloy désigna comme le nouvel arbre de vie. 

Antoine Carlier Montanari

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