Un Livre Que J'ai Lu (170) : Le Symbolisme de l'Apparition (Léon Bloy)
Figure maternelle incontournable, la Vierge Marie qui a fait du mot "Vierge" une dénomination universelle, est celle qui dans la Divine Comédie tourne la clé du haut Amour, lequel est nommé sur la porte des enfers pour rappeler qu'il est le créateur de celui que l'on nomme tantôt Lucifer et tantôt Satan. Cette Vierge Marie est particulièrement active en ce XIXème siècle, elle apparait à Paris, à Lourdes, à Pontmain et à la Salette. Dans cet ouvrage, Léon Bloy traduit cet ordonnancement marial qui accomplit des miracles. Il décloisonne le symbolisme chrétien pour restituer toute sa dynamique principielle, c'est à dire fondatrice. Tout commence avec cette apparition de la Vierge à la Salette qui dans l'ordre de la révélation divine constitue un curseur temporel particulier. En effet, Dieu envoie désormais sur terre une messagère qui il y a deux milles ans a mis au monde, dans un petit village de Judée, le Messie. Ses apparitions constituent un nouveau mode opératoire dans l'histoire de la Révélation tout en déterminant une dialectique spécifique qui s'incarne non pas dans un prophète mais dans une femme.
En septembre 1846, la Vierge Marie apparait sur une montagne de la Salette avec un message qui demande aux hommes de revenir à Dieu. Et revenir à Dieu suppose revenir à la croix, à la douleur et dans ce temps si lâchement sensuel que Baudelaire a décrit avec une grande lucidité, le message de la Vierge apparait comme embarrassant. Ce temps qui se détourne de la croix et progresse dans le sens de la jouissance immédiate rappelle celui de Sodome et Gomorrhe. Cette dégradation anthropologique qui s'accroit au fur et à mesure des avertissements de la Vierge, ira jusqu'à l'accomplissement des prophéties de la fin des temps. La Vierge rappelle la nécessité de la souffrance dans le plan du salut de l'humanité. Cette acceptation de la souffrance initiée par le Christ sur la croix permet à l'âme, assurément, si elle est offerte avec amour et abnégation, de participer au salut individuel comme au salut collectif. L'âme est alors en position de mettre en échec la loi de Satan qui est de lier l'esprit aux biens de ce monde qui sont éphémères. L'âme qui ne tue pas en elle la partie médiocre de l'être qui s'attache aux seuls plaisirs du monde, ne peut s'agripper à la force antigravitationnelle qui élève et qui libère. L'âme qui se complait dans la gravité terrestre et qui ne fait aucun effort pour se délester de ces poids morts qui la maintiennent au sol, s'habituent à la loi de la chair et cette chair, selon saint Paul, tend vers la mort alors que l'esprit tend vers la vie. C'est pourquoi l'enfer est la demeure des âmes pétries de chair, car l'âme qui n'a pas considéré l'esprit au dessus de la chair ne peut désirer le Ciel qui est la demeure de ce qui ne meurt pas. L'enfer c'est la seconde mort, celle de l'âme qui est enchâssé dans la chair, elle est plus proche de l'état primitif, donc des ténèbres. C'est pourquoi l'enfer est sous terre, au centre de la terre, c'est à dire au cœur de la matière. A Fatima, en 1917, la Vierge, lors de sa troisième apparition, montra aux enfants une épouvantable vision des enfers. La vision de toutes ces souffrances accumulées par les damnés en enfer est le spectacle du sort de cette humanité qui a refusé l'irruption de l'amour radical.
Léon Bloy fait remarquer que la souffrance du Christ s'exerce dans l'amour alors que celle des damnés s'exerce dans la haine. Cette douleur acceptée pleinement pour le salut des âmes est l'acte divinement perfectionné qui met en échec la loi de Satan. On retrouve sur la statue de la Vierge de la Salette qui pleure (ici, à gauche), entre ses bras, le crucifix (ici, à droite) sur lequel, sont soudés, aux deux extrémités de la partie horizontale, un marteau et des tenailles, c'est à dire les instruments de la crucifixion. Ce crucifiement doit être compris sous l'angle géométrique, c'est à dire l'axe vertical formé par le montant de la croix est, pourrait on dire, l'axe élévateur de la poutre horizontale. La croix forme donc une sorte de chariot élévateur de l'âme. Le marteau, d'abord, nous dit Bloy, enfonce les clous dans l'extrémité de chacun des membres du corps meurtri du Christ. Il s'abat et frappe continuellement, offrant aux oreilles de la Vierge ce terrible bruit qui vient affoler les battements de son Coeur. Les tenailles, ensuite, ôtent à la croix ce que le marteau avait enfoncé, permettant ainsi au corps effroyablement meurtri du Christ d'être séparé de cette croix qu'il a tant aimé - devenant ainsi ce fruit nouveau vidé de son jus et que chaque chrétien doit accueillir sur sa langue lors de la sainte messe. Ce fruit enlevé du bois de la croix est ce nouveau fruit que Dieu veut qu'on mange contrairement à celui qu'il avait défendu de prendre à Adam et Eve, sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Jésus et Marie représentent respectivement le nouvel Adam et la nouvelle Eve et le serpent qui avait tenté Eve dans l'Eden, finira sous le talon de la Vierge (ici). Il faut préciser que toute l'activité artistique de l'Eglise catholique nous a exposé ce fruit qui dans les bras de sa Mère, que l'on sait bien nourri du lait maternel, resplendit de cet écarlate breuvage qui coule dans ses veines. Bloy rappelle, à ce propos, les eaux du Nil changées en sang, préfiguration des noces de Cana où la Vierge fut la coopératrice principale de ce miracle. La croix c'est donc l'arbre du calvaire, le nouvel arbre de vie qui offre aux hommes ce fruit descendu de la croix et qui le troisième jour resplendit à nouveau dans une chair transfiguré par le Père.
Il faut comprendre l'importance du rôle de la Vierge dans le processus de rédemption de l'humanité. Les grandes apparitions mariales comme par exemples Guadalupe, Lourdes, Fatima, Garabandal et Medugorje témoignent des derniers temps du monde. Les mots du vénérable Louis-Marie Grignon de Montfort, évoqués par Léon Bloy, sont assez explicites (ici):
"Il est de science certaine que lorsque ce monde vieillissant ira vers la fin, d'innombrables prodiges, des visions spirituelles, des révélations célestes, de sublimes et fréquentes consolations feront éclater par toute la terre le pouvoir bienfaisant de la Mère du Seigneur."
Un certain prince de l'Eglise, le cardinal Fornari, avoua, à propos des apparitions de la Salette, que si le ciel emploie de tels moyens, c'est que le mal doit être bien grand. Mais avec la Vierge, Dieu ne parle plus aux hommes avec puissance et autorité, il parle avec compassion et miséricorde. La Vierge est une mère tendre et compatissante, c'est la Mère du magnifique Amour, celle qui tourne la clé du haut Amour pour y ouvrir les vannes de la grâce. A travers Marie, Dieu applique un nouveau plan rédempteur qui consiste à montrer l'Amour sous sa forme la plus maternelle. Bloy nous dit que la Sainte Vierge est, de toutes les créatures humaines, Celle qui adhère le plus fortement à Dieu. La Salette est une démonstration de cet élan salvateur qui jusqu'au bout du calvaire offrit à Dieu ses larmes et sa souffrance. Lesquels devinrent douleur supplémentaire pour le Christ déjà à bout de force avec sa croix qu'il porta jusqu'au sommet du Golgotha. Ensemble, comme une même chair, le Fils et la Mère se sont abandonnés entièrement au Père qui dans cette histoire prit chacune des gouttes de sang de son Fils et chacune des larmes de sa Mère pour le seul salut de toute l'humanité.
Mais c'est par la France, fille ainée de l'Eglise, que la Vierge instruit cette humanité qui est en train d'abandonner la foi dans le Ciel. C'est une époque transitoire que le poète allemand Heinrich Heine, en ce même siècle des apparitions de la Salette, relata dans ses lettres sur l'Allemagne en soulignant que les masses cessaient de porter leur misère terrestre avec la patience du christianisme pour aspirer à la félicité sur cette terre. Et selon Louis Ferdinand Céline, ces mêmes masses sont implacables dans leur désir de réussir sur la terre, et pas au ciel. Dans cet abandon de la foi dans le Ciel qui sévit en Europe, la Vierge descend sur terre pour prévenir les hommes de la mauvaise route qu'ils empruntent. La Salette, Lourdes et Pontmain sont autant de bornes d'avertissement qui prolongent la Révélation divine. Ces trois stations forment le piédestal à trois marche de cette nouvelle évangélisation. Cette triple affirmation nous dit Léon Bloy s'est déployé en l'espace de trente trois années, et comme on le sait, elles se réfèrent à l'âge où le Christ s'est fixé sur la croix. Le bois de cette croix salvatrice c'est aussi le bois de cette arche qui demeura sur les eaux avec en son sein un couple de chaque espèce animale. On peut y voir l'image des élus entrant dans le royaume des cieux et peut-être même, cette image qu'offre la protection de la Vierge aux enfants de Dieu. En effet, cette seconde image apparait clairement si l'on décide d'assimiler cette immense coque en bois au saint manteau de la Vierge ou même à son Coeur immaculé qui sous un certain aspect peut être apparenté à cette autre coque en noix faites de deux parties semblables et qui s'ouvre pour y offrir son fruit. Bien entendu ce ventre rond de la Vierge qui renfermait le fruit nouveau descendu du Ciel, n'est pas fait de bois mais lorsque l'enfant naquit, il fut immédiatement accueilli dans cette arche de chair que formait les bras de sa mère et qui pour son repos fut déposé dans cette mangeoire faite de bois et rempli de paille. Et cette mangeoire qui faisait office de berceau évoque à son tour, en miniature, cette arche qui accueilli en son sein la vie humaine et animale et dont les mouvements de l'eau berça avec la même attention que celle exercée par les bras d'une mère.
Le bois est cette matière collé au Christ, de l'apprentissage du métier de charpentier à la croix du Golgotha, le bois est alors devenu cette colonne vertébrale du monde qui le maintient par la grâce qui s'y est incrusté. Le bois de la croix s'humecta du sang du Christ et l'arche s'humecta de l'eau du ciel, et la Vierge qui est cette nouvelle arche, pleura à la Salette comme au temps où couché dans ses bras, demeurait son Fils qui avait été détaché de l'arbre sanglant. Déjà commençait la guérison qui mènerait à la résurrection. Les larmes de la Mère coulèrent sur le corps meurtri du Fils qui se préparait déjà à infliger dans le cœur des ténèbres, une sacré défaite à celui qui a refusé d'obéir à Dieu. Conformément au plan divin, celui qui trône dans les enfers sera piétiné par celle qui a entièrement obéi à l'appel de Dieu. A lourdes, cette Mère nourrie de ces mêmes larmes, l'eau de cette source qui guérie les malades. Cet hymne sublime, nous dit Bloy, réceptionne tous les morts, toutes les injustices, toutes les souffrances. Avec la Vierge, Dieu déroule silencieusement et avec tendresse, son cœur et ses bras. C'est à travers ce visage d'une mère endolori, que Dieu expose toute sa compassion. Le flux irrésistible de larmes qui coule sur le visage de sa Mère, provient d'un cœur aussi immaculé que salutaire. Ce cœur dont les battements rythment la grâce que Dieu envoie aux hommes est collé à celui de son Fils qui d'une manière absolue et inconditionnelle s'offre aux hommes.
Cet ouvrage devrait s'adresser au lecteur farouchement athée, qui n'a aucune connaissance des faits religieux et encore moins de l'histoire religieuse et des aspects théologiques qui constituent l'éthos chrétien. Le symbolisme de l'apparition est une vision ésotérique élevée du christianisme qui pioche aux versets de la Bible des visions incendiaires de la spiritualité hébraïque. Le catholicisme est la forme terrestre aboutie du Verbe dans l'ordre social des hommes puisqu'il centralise la relation à la Mère. Cette relation est pleine et entière, elle est radicale en ce sens que le Fils fait la Mère et qu'il fait de sa Mère la Mère de Dieu. Le rapport d'amour à la mère qui va l'accompagner jusqu'à la mort sur la croix, au pied même de la croix et qui va déborder jusqu'à Jean qui est l'image de l'humanité, fait de la Vierge ce vaisseau amiral de la grâce après que Pierre fut ordonné pécheur d'hommes et qu'il eut reçu les clés du royaume des cieux.
Antoine Carlier Montanari