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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

04 Jul

Un Livre Que J'ai Lu (155) : Charles Péguy -Un Enfant Contre Le Monde Moderne (MatThieu Giroux)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #CHARLES PEGUY

 

 Ce petit ouvrage de Matthieu Giroux est une merveilleuse synthèse de l’esprit qui anima un des plus grands écrivains français et qui tomba pour la France au champ d’honneur le 5 septembre 1914. Cette balle en plein front qui le mena aux célestes demeures fit trace d'un stigmate profond qui oxygéna son âme et l'auréola auprès des hommes comme un chrétien qui est mort comme le Christ. Et avant de mourir, il eut ces mots que le Christ a dit en son cœur, « Oh mon Dieu, mes enfants… », ce qui fera dire à Romain Rolland, « Il les adore comme des Jésus, il leur sacrifie même les saints » (p11). Porter sur le monde le regard d’un enfant, voilà ce que nous rappelle Matthieu Giroux à propos de Charles Péguy (p13). L’auteur, journaliste et libraire, évoque cette qualité d’être que le Christ a recommandé pour entrer dans le royaume de son Père. Le type d’enfant dont parle le Christ n’est pas celui qui existe aujourd’hui, c’est-à-dire irascible, capricieux, méchant et parfois violent, mais il est plutôt curieux, sage, calme et enthousiaste pour le travail tout en étant soucieux de faire plaisir. C’est ce type d’enfant que l’on parle, cet enfant a pour modèle l’adulte qui travaille, et pour le jeune Péguy l’adulte en question a pris les traits de sa grand-mère et de sa mère, des femmes de l’ancienne France qui ont entretenu un savoir-vivre fondé sur la famille, le travail et le devoir, un savoir-vivre très éloigné de celui du monde moderne (p15).

 Ce sens du devoir et du labeur constitue la manière d’être des gens sérieux. Les millions d’artisans, de paysans et d’ouvriers qui ont fait la France, l’ont faite à la manière du Christ quand il fut apprenti dans l'atelier de son père Joseph (p19), c’est-à-dire avec humilité et silence. C’est de cette France silencieuse que Péguy se réclame, la même qui encense chaque 25 décembre l’enfant Jésus dans sa mangeoire et qui devenu adolescent apprendra à donner forme au bois pour qu’il serve honorablement les hommes lors de leurs tâches quotidiennes. En travaillant ainsi la matière, le Christ a acquis des habitudes de geste qui selon Bergson constitue la « mémoire habitude » (p22). Cette « mémoire habitude » peut automatiser une âme et si cette âme ne veille pas à maintenir vivace la spontanéité et l'émerveillement, elle se flétrie et devient aussi inerte que les choses du monde, c’est-à-dire que l’âme finit par ne faire plus qu’un avec ces mêmes choses. Cette mécanisation dépossède l’âme de sa propre vivacité et l’a fait mourir au monde qui s’impose autant de fois que l'âme cède. Ces âmes sont des âmes finies nous dit Matthieu Giroux, à la page 23. C'est pourquoi le Christ quitte l'habitude que lui a offert son ouvrage pour s'atteler à celui de son Père qui est aux cieux, il s'émancipe de la matière pour entrer pleinement dans le spirituel. 

 Selon Péguy, la pensée qui s’ancre dans la pensée toute faite, désire rendre moins pénible le fait de penser, c’est-à-dire qu'elle évite de penser difficultueusement les choses. Ce dessèchement de la pensée se reconnait également au fait de l’absence d’émerveillement, de saisissement et d’admiration que provoquent pour les sens les choses belles et bonnes. L’émerveillement est tari et n’inspire plus le regard, ce qui rend impossible le renouvellement du regard, autrement dit c’est un regard qui n’est plus capable de redécouvrir ce qu’il a déjà vu (p24). C’est donc avec un regard d’enfant qu’il faut observer le monde et le génie, nous dit Péguy, est une imitation de l’enfance (p25) en ce sens qu'elle n'est pas accoutumé et apprivoisé par le monde. L’enfance est cette humanité qui découvre et qui s’émerveille de ce qu’elle découvre, elle est cet acte premier de l’humanité qui avance en captant de manière intacte le monde qui est à sa disposition. Au contraire, l’esprit moderne pour Péguy, fait la promotion de ce qui est dernier, c’est-à-dire nouveau dans le sens qu’il périme ce qui est premier.

 L’esprit moderne c’est donc la préférence de ce qui nait et qui meurt aussitôt, l’esprit moderne ne s’émerveille que dans ce qui est neuf parce que ce qui est neuf a ce privilège inné d'être vierge et innocent et l’incarnation parfaite de cet esprit moderne, nous dit Péguy, se nomme Ernest Renan (ici). Parce que Renan est le père d’une nouvelle vision du monde qui vient se substituer au christianisme (p31). Cette nouvelle vision du monde qui s'établit sur l'idée que la science est un dieu qui vaut mieux que celui qui fut élevé sur une croix au mont Golgotha, périme le passé. Cette nouvelle vision du monde s'admire dans ses propres capacités techniques, elle concrétise l'indépendance et l'autonomie spirituelle, à savoir l'athéisme. Cette nouvelle vision du monde que le poète Heinrich Heine appela le communisme, est pour Renan, la science. Celle-ci est une religion qui ne dit pas son nom, et combien, poètes et penseurs l'ont dénigrée, comme le polymathe John Ruskin qui disait d'elle qu'elle est vulgaire...par son arrogance et son matérialisme. Cette religion va en quelque sorte spiritualiser l’état laïque (p34), en lui offrant des capacités inédites d'expansion et la promesse non pas de la félicité au Ciel mais sur cette terre. En ce sens, nous dit Péguy, le monde moderne est voué à sacrifier les puissances spirituelles anciennes et à adopter le point de vue stricte de la logique marchande. En effet le monde ancien mariait les puissances temporelles et les puissances spirituelles, de sorte que tout était possible, le monde tournait et vivait et il échappait à toute solidification, nous dit Péguy à la page 38. Ce monde n’est plus, il a adopté le point de vue de l’économie et de la science et se développe en faisant de l’argent un maitre sans limitation ni mesure (p40). Ce monde est donc voué au renouvellement apparent de lui-même par les choses qu'il produit, c'est à dire que le mouvement de la nouveauté engendre l'illusion du changement du monde, en réalité ce n'est que le produit marchand qui évolue, les individus ne changent jamais, ils se sont engagés dans un cycle fossilisant de la mise à jour permanente. Leur esprit est capté par le remplacement de la marchandise et ce seul changement épargne l'individu du changement réel, à savoir la transformation spirituelle que l'âme a besoin pour trouver le salut. C’est donc la première fois dans l’histoire du monde que les puissances matérielles bougent d’un même mouvement et valsent autour de l’argent comme si ce fut un dieu et ce dieu est désormais seul devant Dieu. Ce monde moderne que Péguy qualifie d’ordre mort, est desséché et apparait comme irréversible puisqu’il est un dieu concret qui est en mesure de résoudre presque toutes les problématiques. Selon Marcel Proust, ce même monde donne des armes vulgaires mais invincibles. Ces mots qu'il fait dire à ce personnage nommé Violante - qui dans la nouvelle qui porte son nom est mise en scène comme un objet de luxe - sont révélateurs de la puissance d'attraction du monde sur les esprits. Nous verrons à ce propos, dans la toute prochaine fiche de lecture (ici), comment le très mondain Marcel Proust met en scène la splendeur du monde qui quand elle est revêtue permet de devenir un glorieux point de mire pour le reste du monde.

 L’homme moderne n’a plus en lui cet enfant baptisé qui plait tant à Dieu, ni de cette adolescente qui rendit à la France son roi. Le monde moderne nous apprend à être malin et à vivre sans cette chrétienté qui avait fait du peuple français, un peuple supérieurement courageux et révolté (p79). Le monde moderne a banni de l’enfance la chrétienté, cette chrétienté qui imbibait la petite Jeanne, la petite Bernadette et les enfants de la Salette. Aujourd’hui l’enfance est laide, dégradée et vulgaire, elle est le terrain de jeu du diable qui en remuant les fils qui la bouge lui ôte toute son innocence. Le monde moderne est cette grotte d'Alibaba ou cette lampe d'Aladin qui enferme toutes sortes de prodiges qui fascinent autant les hommes que les ombres projetées dans la fameuse caverne de Platon. L'incapacité de l'homme moderne à détacher son regard de ses remuantes créations provient de ce vieillissement de la rétine qui ne peut plus atteindre le réel faute d'être habitué et figé dans la nouveauté, cet homme moderne ne réalise pas que ces images en mouvement ne prouvent que le mensonge en mouvement. En somme l'homme moderne n'intègre pasdans son esprit la possibilité que la modernité est une fuite en avant qui construit une nouvelle humanité dépossédée de sa paternité divine. 

Antoine Carlier Montanari

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