Un Livre Que J'ai Lu (157) : Sur La Télévision Suivi De L'emprise Du Journalisme (Pierre Bourdieu)
Les questions que se pose Pierre Bourdieu sur la télévision méritent d'être entendues, surtout à une époque qui a fait de la télévision un moyen de paralysie mental assez exceptionnel. Certains parleront d'hypnose collective ou de masse, d'autres de pendule d'endormissement et d'autres encore de gourou compte tenu de sa capacité de captation. Pour ma part, la télévision est devenu un aspirateur d'énergie qui vampirise les esprits en leur octroyant des pensées toutes fabriquées. Guy Debord parlait de chambre d'écho de la pensée toute faite, de la pensée sans effort. Bourdieu, ne paralyse pas l'analyse avec une énième critique, il invite son auditoire et son lecteur à matérialiser la puissance de ce phénomène qui a révolutionné notre mode de vie. Cet axe de transformation sociologique qui transfert de l'image et du son via des ondes et introjecte une multitude de données visuelles et sonores dans le téléspectateur, est devenu une sorte de caverne de Platon qui installe l'humanité dans une adoration d'elle même, un miroir de Narcisse, nous dit Bourdieu à la page 11. Toutefois notre cher sociologue condamne le rejet de la télévision, il est souhaitable, nous dit-il, de profiter de ce moyen technique qui offre la possibilité d'atteindre tout le monde (p12) pour y propager de l'information pertinente, de sorte que la télévision ne soit pas le relais d'idées médiocres. En effet si l'on tient compte de la puissance de captation de la télévision, c'est à dire de sa capacité à toucher les esprits, il est important de se demander si ce qui est dit a le mérite d'être entendu, toutefois commencer à sélectionner ce qui doit être dit de ce qui ne doit pas être dit peut mener à une formidable censure (p13).
A propos de censure, l'uniformisation de la pensée fabriquée par la télévision est un cadre stricte d'échange et de propagation de l'information, celle-ci circule sur des autoroutes délimitées par des lignes éditoriales adoubées par les pouvoirs économiques et politiques. A partir de cet encadrement idéologique, la censure est l'information qui circule au dehors de ces autoroutes. Le processus autoroutier de l'information permet de diriger l'information et de la mener vers des péages qui vont servir de filtre. Les autoroutes et leurs péages agissent comme des gestionnaires de flux, et ces flux finissent par imprimer chez le téléspectateur une certaine logique de propagation et de fonctionnement. Celui-ci finit par adopter une mécanique d'autorégulation mentale, c'est à dire qu'il devient comme ce circuit imprimé qui oriente le courant électrique vers tel ou tel composant électronique. Le téléspectateur acquiert ainsi une sorte de pensée habitude ou automatique, son cerveau est devenu comme un entrepôt Amazon plein d'étagères remplis de pensées toutes faîtes dont il va puiser pour remplir ses discussions. Cette pensée automatique qui est bien entendu nourri par les colis informatifs acheminés par ces autoroutes que l'on vient d'évoquer, mène au relativisme (p14). Le relativisme c'est le règne de la réalité subjective, le téléspectateur est en quelque sorte programmé à écarter la vérité objective, sa manière de voir devient celle de la télévision et donc celle de l'économique, c'est à dire celle de la valeur matérielle immédiate. Pour exemples la NBC est la propriété de General Electric, ABC la propriété de Disney et TF1 la propriété de Bouygues (p14). En ce sens General Electric, Disney et Bouygues exercent une certaine pression, qui reste invisible pour le téléspectateur, et ce même téléspectateur ne voit pas forcément, puisque passif, vers où ces puissances économiques l'entrainent. Il est bien évident que lorsque le pouvoir économique impose sa loi, c'est toute une vision calculatrice qui s'impose au téléspectateur. Le téléspectateur n'est alors pas forcément conscient de la manipulation opérée par ces puissances économiques puisqu'en général il délaisse la fonction de penser à la télévision.
Pierre Bourdieu insiste donc sur les disfonctionnements structurels de la télévision, c'est à dire les manières de subtiliser l'essentielle de l'information avec des pratiques d'ingénierie manipulatrices (p18). Les journalistes sont donc entrainés à organiser le perçu en sélectionnant ce qui doit être vu. Autrement dit les journalistes entendent faire voir les choses d'une certaine manière et non d'une autre parce que cette autre manière ne sert pas les intérêts des puissances économiques qui financent la télévision. Pour cela ils organisent les flux informatifs en vue d'amplifier la dramaturgie de certains évènements qui bien pilotés fabriquent ce que l'on appelle le scandale. Les mots sont donc savamment choisis afin d'influencer l'image, le but étant de produire de l'extraordinaire et du spectaculaire afin de capter l'attention du téléspectateur. Les mots vont alors amplifier le caractère extraordinaire de l'image, ils vont créer les conditions de l'étonnement pour produire chez le téléspectateur une adhésion par la curiosité. Ce point de chauffe permet de maintenir la connexion avec le téléspectateur, lequel est alors comme ce métal rougeoyant qui va être formé par le marteau que tient les mains du forgeron.
Ce point de transformation est un stade de surchauffe émotionnelle qui permet de capter et de conserver la pensée immédiate du téléspectateur, c'est à dire sa mémoire vive. La télévision impose sa mise en scène, elle impose donc ses principes de vision du monde nous dit Bourdieu à la page 22. Ce qui veut dire que pour qu'un évènement soit communicable il doit passer par des protocoles strictes de couverture visuelle et sonore avec une intensité communicative qui permet de maintenir l'excitation du téléspectateur. Une grande efficacité passe par le voyeurisme, le témoignage intime et la violence. Ces choix de perception attisent la curiosité malsaine et entretiennent l'idée que la télévision est toujours au cœur des situations, qu'elle est comme un dieu qui voit tout. Alors le téléspectateur devient comme un adepte qui a le privilège de tout voir et de tout entendre. Il se félicite de posséder une fenêtre qui voit l'intimité du monde et qui lui permet de communier mentalement et collectivement avec ce même monde. A tel point que le téléspectateur n'arrive plus à voir et à comprendre le monde sans le prisme de la télévision, l'écran est comme devenu son véritable regard. Voyez ces touristes qui incapables d'admirer par eux-mêmes les toiles de maitres dans les musées, les photographient parce qu'ils sont entrainés à ne voir les choses qu'à travers un écran! Voyez également les adeptes des réseaux sociaux qui veulent tous augmenter leur nombre d'abonnés et n'hésitent pas à satisfaire les bas instincts et le mensonge pour en obtenir davantage. Voyez comme ils ont adoptés les principes de la télévision, qu'il se sont soumis à la foule, au nombre et qui à force de céder à l'audimat, cèdent à tout. La télévision a donc fini par faire adopter son point de vue.
Les journalistes fabriquent donc leurs clés de compréhension des évènements et lorsqu'ils divergent pour des raisons de parti-pris politique, ils s'épient, se lisent et s'analysent. Cela produit, nous dit Bourdieu, un formidable effet de clôture (p25). Ce cercle vicieux de l'information est un enfermement mental collectif qui orchestre l'information. En effet cette rivalité mimétique engendre une chambre de transmission narcissique de l'information. Les journalistes estiment être les seuls légitimes à traiter et à propager l'information, en somme ils sont devenus des divinités de l'information et parfois même des oracles. Ce statut permet à la finance qui possède les grands médias de recouvrir son information d'une aura de respectabilité tout en conférant à de l'information mensongère un reflet d'authenticité.
Tout d'abord il faut convenir que les journalistes dont on parle fabriquent de l'information sur l'information. L'information originelle est fournie par l'AFP, et c'est sur ce matériau de base que les journalistes appliquent des filtres idéologiques qui orientent l'information originelle. Il faut donc capter l'attention du téléspectateur, et les filtres travaillent dans le sens d'une digestion active de l'information qui fait croitre l'audimat. La fameuse loi du marché règne en maitre chez les journalistes, l'audimat est dans tous les cerveaux (p28). Il est le verdict absolu, c'est le jugement dernier des journalistes. La logique commerciale a pris le pas sur la logique de l'objectivité qualitative. Le plus grand nombre, à l'image de la démocratie, fait état du qualitatif voire de la vérité. Cette mentalité audimat est donc animée et amplifiée par le rapport concurrentiel qui exige d'avoir à traiter l'information en premier. Le scoop (p29, p85) est donc un vecteur d'efficacité qui place le journaliste et par extension son média dans une position de vainqueur, ce qui attire le téléspectateur qui voit là un facteur qualitatif. La vitesse est donc un facteur primordial pour déjouer la concurrence (p86), une chaine de télévision doit se nourrir perpétuellement de ce que l'on nomme "Breaking News", en français "Premières nouvelles". Cet accélérateur de l'information accroit la pensée rapide et le commentaire à chaud, les intervenants doivent donc parler vite et parler clairement. Le processus d'intégration à cette réception de l'information nouvelle exige du téléspectateur l'adoption des "idées reçues" et des "lieux communs", lesquels permettent une introjection instantanée de l'information et non freiné par un codage complexe susceptible de retarder la compréhension immédiate. C'est la pensée toute faite dénoncé par Charles Péguy ou la pensée non difficultueuse dénoncé par Henri Bergson, la télévision exige d'avaler sans mâcher. Tout cela mène à la transmission de connaissances cristallisées d'insignifiances qui dressent le téléspectateur pour le soumettre à la société de l'aliénation, c'est à dire la société de la consommation, celle-là même qui finance la télévision.
Bourdieu parlait d'effet de clôture ou de fermeture (p26), cet effet se retrouve également dans des débats où de fausses contradictions sont théâtralisées pour faire croire au téléspectateur que la liberté d'expression est toujours en vigueur (p32). Cette théâtralisation des faux contraires n'est pas perçu par le spectateur qui bien à l'aise dans son fauteuil ne voit que l'apparent duel des mots et d'expressions de langage. De même le présentateur qui dirige le débat joue de quelques astuces verbales pour produire de l'excitation et de l'impatience afin d'élever le niveau d'agressivité. Des techniques de perturbation psychologique permettent de monter la température du débat pour piéger tel ou tel intervenant afin de le décrédibiliser (p35). Ces stratégies de déstabilisation facilitent l'exaspération ou la satisfaction. Le présentateur a donc des outils de communication pour favoriser ou défavoriser tel ou tel débatteur. Ce qui pose un problème de déontologie journalistique, cette inégalité de traitement peut faire basculer l'opinion dans un sens ou dans l'autre. Une autre méthode consiste à choisir des personnes dans la rue qui ne parviennent pas à dire correctement ce qu'ils pensent, quand ce qu'ils pensent va à l'encontre de la pensée journalistique. Or bien des journalistes usent de cette ruse pour décrédibiliser telle ou telle idée.
A cela il faut souligner le niveau d'inculture de certains journalistes, qui, selon Bourdieu, devient dangereux (p49). Ces mêmes journalistes peuvent changer, par leur manière incomplète de voir les choses, notre manière de penser les choses. Et parfois pour ne pas dire bien souvent, l'irrationnalité et la bêtise sont spontanées, l'instinct du présentateur ou du journaliste prend le dessus. Ces mêmes journalistes peuvent donc, sans s'en rendre compte, tenir des propos parfaitement incohérents tout en étant adoubé par la télévision comme de petits directeurs de conscience, bénéficiant ainsi d'une considération disproportionnée au regard de leur niveau intellectuel (p53). Ces journalistes qui bénéficient d'un certain prestige offert par l'aura de la télévision, se permettent des jugements à l'emporte pièce sur des sujets véritablement complexes. On assiste ainsi à la naissance de véritables petits tribunaux moralisateurs qui établissent des nouveaux codes comportementaux. La télévision devient alors un moyen de progressisme absolu et permet aux branches radicales de la modernité de propager ses idées dans chaque foyer. C'est une forme redoutable de promotion à grande échelle. Au fond la télévision progressiste réveille la part pulsionnelle du spectateur qui tend au voyeurisme et à l'exhibitionnisme (p55). A ce jeu la captation du téléspectateur est facile et la méthode est employée pour gonfler rapidement l'audimat. La conséquence à cette inflation pulsionnelle est la télé-réalité, ce qui a engendré une véritable dégradation anthropologique, pour reprendre les mots du cinéaste italien Pier Paolo Pasolini. Les participants de la télé-réalité sont les enfants de ces parents adeptes de cette télévision pulsionnelle et les fils de cette télévision pulsionnelle.
La télévision a donc ce pouvoir de consécration et même de sacralisation, elle donne une forme de reconnaissance ou même de dégradation en fonction de ce qu'elle estime ou de ce qu'elle n'estime pas. Tous cherchent sa bénédiction, et beaucoup préfèrent être dans cette lumière de surreprésentation qui agit comme un adoubement suprême, on peut même parler d'ennoblissement qui entre directement en compétition avec le véritable jugement des pairs. Ce qui entraine un déclassement du véritable spécialiste. En réalité la télévision offre un arbitrage prodigieux qui fait enfler très rapidement la notoriété, elle a ce pouvoir de visibilité universelle qui décrédibilise toute autre forme de représentativité. Ce qui produit la mise en avant d'un certain nombre d'intellectuels médiocres, de ceux, principalement qui n'ont pas les bénéfices d'un capital spécifique, c'est à dire une reconnaissance sérieuse de leur milieu de production. Ceux-là sont donc contraints de chercher ailleurs la consécration et tout naturellement la télévision apparait comme un moyen alternatif (p73). A l'inverse, les plus reconnus sont beaucoup plus enclin à résister à la reconnaissance télévisuelle (p71). Il existe donc une nouvelle forme de reconnaissance, celle de la télévision qui est celle du plus grand nombre (p84). Cette reconnaissance tend à remplacer celle du petit nombre, c'est à dire celle des pairs et des sages. En somme la télévision est une forme de démocratie qui par son audimat valorise ce qu'elle produit.
Le lecteur assidu aura remarqué que l'analyse de Bourdieu est régulièrement ponctué par un mot que les libéraux et les marxistes affectionnent particulièrement. Ce mot, à savoir "concurrence" résume en quelque sorte l'esprit du texte. En effet, Bourdieu éructe contre le Capital qui de manière magistrale, s'est matérialisé par ses forces commerciales dans cette télévision qui malheureusement poursuit désormais le même but que les marchés boursiers. Cette concurrence ne recherche pas la qualité, bien que se soit parfois le cas, mais bel et bien la consécration par le nombre (p88). Deux autres termes, à savoir "audimat" et "scoop", s'ajustent à chaque fois que notre sociologue aborde les motivations des journalistes. En effet, Bourdieu nous explique comment ces deux mots sont devenus les jugements derniers des journalistes. L'audimat et le scoop contribuent fortement à la visibilité médiatique, ils sont l'alpha et l'oméga et sont devenus, pour une très grande majorité de journalistes, des directeurs de conscience. Quoi qu'il en soit la lecture de ce petit ouvrage ne fera que conforter l'idée que la télévision et le journalisme sont bien corrompus par le pouvoir économique. A l'heure actuelle, au regard des effets secondaires des vaccins du Covid 19 et du nombre de morts qu'ils engendrent, aucun grands médias n'y accordent réflexion. On peut véritablement parler de partialité journalistique. Cette étrange unanimité me fait penser à cette citation de Mark Twain qui doit-être absolument entendue et prise en compte (ici),
"A chaque fois que vous vous retrouvez à penser comme la majorité des gens, faites une pause, et réfléchissez..."
Antoine Carlier Montanari