Un Livre Que J'ai Lu (150) : Cette Mauvaise Réputation (Guy Debord)
Pour l’auteur de la société du spectacle il fallait remettre les points sur les « i ». En effet dans ce petit ouvrage, écrit épistolairement, comme il en a l’habitude, Guy Debord répond aux critiques de journalistes et d'intellectuels qui l’ont défini comme un influenceur silencieux et non moins secret. Pour rappel, l’auteur a été très sévère à l’encontre du Capital et de ses formes hallucinogènes. Le philosophe Roger-Pol Droit, via le journal Le Monde, lui reproche de brouiller les pistes et de semer des silences dans le creux des phrases, sans laisser de traces. Debord ne se dégonfle pas, il qualifie ce Roger-Pol Droit de grossier maspérisateur, c'est à dire de personne qui omet volontairement des passages d'ouvrages, on reconnait-là toute la sagacité verbale de Debord qui empreinte à ce mot tout le charme de son obsolescence. Claude Roy, dans son livre "L'étonnement du voyageur", paru en 1991 chez Gallimard, dit de Debord qu'il est allègrement mégalomane et qui ne se contentant pas d'être simplement difficile est tout bonnement macaronique, c'est à dire tarabiscoté. Debord, pour réponse, propose entre guillemets les mots vieil et imbécile qu'un point d'interrogation vient démocratiser. André Clavel, pour L’Evénement du jeudi, affirme que Guy Debord entretien de machiavéliques énigmes autour de sa personne. Joseph Mouton, pour la revue Art press, n’hésite pas à le qualifier de fou, au même titre que son célèbre ouvrage, ajoutant qu’il est une intelligence paranoïaque. Le journal Libération, déjà bien rouge, reprend les mots du Times, dont le titre est tout aussi rouge, qui révèlent que Guy Debord avait été recruté par la C.I.A. Dégoutant journal chargé de sang et de mensonge rétorque Debord. La revue Critique qualifie le style de Debord de froid et de distant, et distant de manière hautaine. Pour l’écrivain Morgan Sportès, dans les Lettres françaises, Debord doit-être empaillé et momifié en le pléiadisant, c’est-à-dire en le livrant. Pour le journal La Croix, Guy Debord est un prophète malgré lui, au fond c’est un esprit religieux. Debord précise qu’il faut comprendre faux prophète. Une nouvelle fois dans L’Evénement du jeudi, Régis Debray se compare à Debord, au damne de Debord qui le qualifie d’ambitieux ridicule qui a couru vers tout. Toujours dans L’Evénement du jeudi, Polac avoue que Debord l’a déçu parce qu’il est devenu consommable et même anodin parce que dépassé. Debord répond qui l’a dans le … voir page 92. Dans le Point, Jean-François Revel cloisonne la dialectique de Debord à du jargon de la scolastique médiévale, c’est-à-dire démodé. Charles Dantzig dans le journal pamphlétaire français, l’Idiot international, considère que la société du spectacle, l’ouvrage qui a rendu célèbre Debord, ne veut rien dire, ajoutant qu’il ne donne jamais de définition de ce fameux spectacle, en somme ce n’est pas clair. Mais pour Debord, Charles Dantzig croit être un expert dans la littérature et l’édition, c’est pour cela qu’il le surnomme loustic et tête de mort, et quand on la regarde, la tête de Dantzig, Debord n’a pas forcément tort. Finalement tous ces journalistes et ces penseurs de gauche accusent Debord d'être un révolutionnaire incompréhensible qui fait un cinéma tout aussi incompréhensible, au fond ils lui reprochent d'avoir fait échoué son navire marchand.
Quoi qu’il en soit cette mauvaise réputation dont parle Debord est essentiellement dû à ce qu’il manifeste une pensée abstrus voire énigmatique et qui, de la part de ceux qui la commente, et on parle ici de journalistes, n’est pas réellement comprise. La pensée de Debord échappe à bien des intellectuels et qui, souvent de gauche, s’effritent sur un argumentaire abstrait et non moins hermétique. Debord est un alchimiste spectaculaire du verbe et un stratège syntagmatique qui assène des vérités trempées de marxisme et dont l’oracle fait la critique de la logique marchande qui telle une religion fait de l’homme un adorateur de ses propres créations. Le fétichisme de la marchandise, comme le souligne Debord (p111), est le centre même du monde existant, faisant de la société une sphère de productivité primitive polythéiste. Chacun adorant le dieu qui lui convient à travers la logique de la marchandise qui fait de l’objet une divinité dès que la valeur monétaire y appose son sceau. En effet l’objet acquiert une sorte d’auréole de gloire qui est amplifié par le spectacle de sa propre nature et qui dans l’œil du spectateur le fait rayonner d’un prestige que ce même spectateur s’empresse d’obtenir pour recouvrir son existence d’une sorte de préciosité. Le spectacle c’est le réel fantasmé, l’image de la vie rêvée et qui piège le moi que structurent les mensonges de l’orgueil, dans une fiction hypnotique.
L’esthétique négative de Debord, qui peut aller jusqu’à la néantisation (p59), et ce sont là ses propres mots, ne fait qu’annoncer la déliquescence d’un monde exhibitionniste dans lequel l’humanité s'est structurée. Ce spectacle de la fin est remplacé par un spectacle de la fin illusoire où le spectacle miroir des écrans singe les prévisions apocalyptiques grâce à une imagerie hyper-pixélisée qui déséduque les individus et par extension les masses et la démocratie. En fait la culture historique réelle a été remplacée par une culture historique parallèle où dragons et trolls nourrissent l'imagination à la manière d'une drogue hallucinogène. On ménage ainsi le rêve du grand public pour qu'il ne s'intéresse pas aux vrais grands problèmes, voyez par exemple, alors que la pandémie fait rage au dehors, l'extraordinaire assujetissement volontaire des foyers à la machine-spectacle NETFLIX. Combien d'individus savourent les joies du confinement devant leur petit écran tandis que des millions de leur frère en l'humanité, paralysés dans des couloirs d'hôpitaux, espèrent que leur propre rythme cardiaque ne se fossilise pas en une ligne sonore sur le moniteur. A ce stade d'exposition au spectacle, le développement de ghettos mentaux, pour paraphraser Pier Paolo Pasolini, anticipe probablement l'Apocalypse.
Antoine Carlier Montanari