Un Livre Que J'ai Lu (145) : L'homme Est Un Roseau Pensant (Blaise Pascal)
C’est précisément avec cette pensée de Pascal (ici, en haut) que je vais commencer cette fiche de lecture,
« Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. Aussi qui ne la voit excepté de jeunes gens qui sont tous dans le bruit, dans le divertissement et dans la pensée de l’avenir ? Mais ôtez leur divertissement, vous les verrez se sécher d’ennui. Ils sentent alors leur néant sans le connaître, car c’est bien être malheureux que d’être dans une tristesse insupportable aussitôt qu’on est réduit à se considérer, et à n’en être point diverti. » (Fragment 33)
A cette pensée, ajoutez cette autre pensée (ici, en bas) située dans le chapitré dédié au divertissement (p68),
« Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher le divertissement et l’occupation au-dehors, qui vient de leur ressentiment de leurs misères continuelles. » (Fragment 126)
Ces quelques lignes témoignent du dérivatif que constitue le divertissement, en effet il devient pour l’homme un moyen de quitter cet état de repos qui devient insupportable par l’ennui qu’il engendre (p72). L’introspection que génère le repos révèle la présence du soi profond, c’est-à-dire l’âme et c’est dans ce face à face avec ce silence de l’intériorité que l’être côtoie son néant. Le divertissement apparait alors comme le moyen d’éviter ce face à face et empêche de songer à soi-même (p74). Le divertissement propose une satisfaction des sens, lesquels, selon saint-Augustin, animent l’être comme le vent qui à travers les branches caresse l'arbre en jouant avec ses feuilles. Ce dernier égayé par la liberté de son mouvement, est flatté et oublie qu’il ne peut rien par lui-même, mais dès que le vent cesse, il retrouve alors la passivité qu’exerce sa nature. Les jeunes gens sont donc pour Pascal, et cela est encore plus visible aujourd'hui, particulièrement disposés à fuir le silence de leur être. Ils sont en réalité, quand ils sont dans le divertissement, aussi flatté que l'arbre dont les branches sont agitées par le vent. Ils sont dans le bruit, la musique et toutes sortes de situations festives dans lesquelles ils s'expriment avec véhémence et ardeur, c'est là le moyen pour eux de ne pas affronter le vide de leur être.
Le divertissement produit un effet trompeur qui pousse l’être dans une opinion avantageuse de sa suffisance (p26), il est flatté d’être occupé et se glorifie de cette puissance extérieure qui en réalité le détourne de la méditation ou de la prière. Les charmes de la nouveauté, nous dit Pascal, ont le même pouvoir. La mode qui est l’idéologie de la nouveauté, est un déguisement auréolé de gloire qui frappe l’imagination pour crever les yeux de la raison. Nous pouvons alors dire que les effets trompeurs du divertissement remplissent l'être de telle sorte qu'ils en éloignent tout le sentiment de sa propre misère et de son propre néant et avec lesquels on ne veut rien avoir à faire pour ne pas avoir à se poser les vrais questions. Ce tumulte causé par le divertissement est une sédition intérieure qui ôte à l'être toute espérance en Dieu.
La conversation intérieure voilà le ressort principal de l’être. Dans cet état d’intériorisation s’installe un dialogue entre la conscience et la partie médiocre de l’être, c’est en quelque sorte l’affrontement de deux personnalités où la conscience joue le rôle de la raison qui corrige les désirs déréglés. Dans la piété, c’est-à-dire dans l’état de prière, le dialogue avec Dieu est initié, l’être transfert sa vitalité dans le divin tandis que le divin introjecte sa nature supérieure. Si la nature de ce divin est corrompu, alors le dialogue est corrompu et ce divin introjecte dans l’être sa nature imparfaite. C’est pourquoi il faut s’assurer que le divin auquel on s’adresse soit de nature bénéfique, et cette nature bénéfique implique nécessairement l’amour inconditionnel. Dans ce cas précis, la piété devient une force de liaison avec l’amour et l’être se voit totalement dirigé vers l’amour lui-même. Par conséquent l’être respire dans un mouvement qui ressemble à celui de la marée montante et descendante afin de respirer Dieu qu’on sait être la vérité (p49, p65). Cette soumission de la raison nous rend intelligible notre néant et par conséquent nous fait désirer ce Dieu qui est seul capable de le remplir. Et Pascal ajoute, en citant saint Jean qui cite Jésus Christ (p77), « Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne vient au Père que par moi. » Il est donc non seulement impossible mais inutile de connaître Dieu sans Jésus-Christ, nous dit Pascal à la page 102, parce que Jésus Christ est cette demeure parfaite de Dieu. Il nous ait donc demandé de devenir comme le Christ, c’est-à-dire des demeures parfaites de Dieu.
Voyez cette bonne partie de notre vie que l’on passe dans le sommeil (p62), et qui nous fait entrer dans une sorte de néant de nous-mêmes et sauf si ce néant est comblé par quelques rêves ou quelques songes, il vit bien en nous lorsque notre conscience s’endort. Ainsi le divertissement, sous bien des aspects, est à peu près aussi efficace que le sommeil, il nous enferme dans ce néant qui ne veut pas de la vérité. Cette partie de la vie qui dort n’est donc qu’un écoulement du temps dédié au mieux aux songes et aux rêves et à quelques fantômes ou spectres qui n’ont d’autres fonctions que de nous divertir ou de nous faire réfléchir selon que l’on soit disponible à la vérité. En ce sens, vivre pour certains, c’est rêver tout éveillé. Le divertissement nous remplit de choses qui nous jettent au-dehors de nous (p78) de sorte que nous devenons aussi morts que la lune qui tourne autour de la terre et qui au lieu de refléter la lumière du grand soleil, nous tournons notre face vers les ténèbres du grand univers.
Si Dieu est donc cet objet infini et immuable (p81), il doit nous remplir en dedans et nous devons nous exercer à l’y maintenir pour qu’il puisse y répandre le véritable bien qui est celui de l’amour perpétuel. Si donc nous faisons de notre corps la demeure du Seigneur, le divertissement nous parait alors comme une force antigravitationnelle qui nous fait quitter cette demeure qui est le temple de Dieu, ce que rappelle la lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (ici, en haut),
« Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-mêmes ? »
Pascal précise que la félicité est d'être en Dieu et que le mal est d'en être séparé (p86). Ainsi tout ce qui nous en sépare, comme le divertissement et la concupiscence lorsque ils sont employés pour eux-mêmes, nous mènent dans un cul de sac. En effet, la religion qui prône le véritable bien doit nous écarter des artifices qui, nous dit Baudelaire dans ses fleurs du mal, bercent longuement notre esprit enchanté, et le riche métal de notre volonté. Ce savant chimiste, nous dit encore le poète, est nommé Satan trismégiste, il est ce que Pascal redoute quand il parle de divertissement. Le lecteur profane, pensant à une fable, devra toutefois mesurer cette autre vers de Baudelaire (ici, au milieu),
" C'est le diable qui tient les fils qui nous remuent!
Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
Chaque jour vers l'enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur à travers des ténèbres qui puent."
Ainsi les Mahométans, nous dit Pascal, à la page 87, ont porté les plaisirs de la chair jusque dans l'éternité, ils ne constituent donc pas cette religion qui enseigne les remèdes contre les plaisirs de ce monde (p86). A ce propos, reprenons les mots de saint Paul Apôtre aux Corinthiens (ici, en bas),
"Fuyez l'impudicité. Quelque autre péché qu'un homme commette, ce péché est hors du corps; mais celui qui se livre à l'impudicité pèche contre son propre corps."
Les plaisirs et les divertissements sont souvent maîtres de la raison, nous dit Pascal, et c'est souvent par les charmes de leurs douceurs qu'ils le deviennent aussi bien par leur force (p87, p88). La force voilà donc un autre thème cher à Pascal.
La force comme la concupiscence sont, nous dit Pascal, les sources de toutes nos actions (p48). A partir de ce constat la force devient ce matériau d'obéissance absolu qui fait plier la volonté. En ce sens la justice qui doit punir le méchant qui a usé de la force pour faire le mal, doit user également de la force pour contraindre ce même méchant à ne plus user de la force. Ainsi la force sans la justice est tyrannique et la justice sans la force est impuissante (p50). C'est pourquoi le droit de l'épée qui est la force en action, donne un véritable droit à celui qui l'a manie avec habileté. Cependant le Christ qui a péri par l'épée, par la force romaine, n'a pas résisté à cette force injuste, il a obéit à cette force inique en opposant et en offrant simplement son innocence pure et parfaite pour confondre moralement cette force. En effet quiconque use de la force contre l'innocent se retrouve dans une position morale intenable puisque sa force est pure domination et pur orgueil. Le Christ qui est tout puissant, se refuse d'user de sa force divine qui est redoutablement puissante afin de ne pas devenir cette force injuste. Comme il est tout puissant et que l'homme est faible devant sa force divine, il préfère ne pas en user pour ne pas devenir ce qu'il condamne. Ses paroles reprises par Matthieu en témoigne lorsque Pierre, au moment de l'arrestation de Jésus use de son épée contre un soldat (ici),
"Alors Jésus lui dit : Remets ton épée à sa place; car tous ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. Penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me donnerait à l'instant plus de douze légions d'anges? "
Pour compléter cette analyse, le livre de Epictète sur le contentement intérieur (ici), nous rapprochera de l'idée que la seule voie pour trouver le bonheur est de renoncer à ce qui ne dépend pas de nous tout en nous abandonnant à la divinité. Epictète précise également que les objets extérieurs, comme les loisirs et les voyages nous assujettissent à autrui et au lieu de nous apporter le bonheur nous en éloigne puisque le bonheur est lié à l'usage de la vérité. Si l'être fait usage du mal et même sans le savoir, irrémédiablement il se dirige dans un bourbier dont il ne pourra pas se défaire puisqu'il est incapable de distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais. L'homme trouve tantôt bon ce qui est mauvais et tantôt mauvais ce qui est bon, il est plein de ces désirs déréglés qui dérèglent en réalité l'idée même du bonheur car tantôt pour cet homme, le bonheur se trouve dans des plaisirs immédiats et tantôt dans des choses sans importances. Etre ainsi dans l'erreur c'est être comme cet explorateur qui a perdu sa boussole et sa carte et qui étant incapable d'atteindre son objectif, revient bredouille de sa quête. Un autre ouvrage "Le bonheur dépend de l'âme seule" de Cicéron (ici) et qui a déjà bénéficié d'une fiche de lecture, nous rappellera que les accidents de la vie, si nombreux et si graves et qui surgissent de manière hasardeuses, doivent nous faire réfléchir sur la notion de bonheur. Il est donc impératif de comprendre que si être heureux dépend de cette foule de maux, il ne peut y avoir de bonheur. Cicéron précise donc que la vie heureuse dépend de la vertu et la vertu a une force suffisante pour vivre accompagné des maux tout en ne se séparant pas de l'idée du bonheur, laquelle demeure avec une si grande attache que le mal n'a plus du tout la même force d'emprise.
Antoine Carlier Montanari