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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

19 Dec

Un Livre Que J'ai Lu (139) : La Maison Hanté, Contes de Noël (Charles Dickens)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Charles Dickens

 De Charles Dickens on connait fort bien ce roman qui narre les mésaventures d’un certain vieillard nommé Ebenezer Scrooge et qui ne voulant de bien que l'argent, recevra la visite de la providence qui sous la forme d'esprits aura pour tâche de sauver son âme en le détournant de sa cupidité. « A Christmas Carol » (ici) fait donc partie de ces œuvres qui doivent absolument être lue et digérées durant toute une vie. En effet dans ce roman paru en décembre 1843, qui tient davantage de la fable morale, Charles Dickens immerge le lecteur dans un surnaturel bien compris. La main du maitre ne tremble pas quand il s’agit de confronter les hommes à leur destinée et dans « La maison hantée », que nous allons commenter, il ne déroge pas à cette règle en rappelant bien que la mort vers laquelle nous marchons tous – devient, comme l’affirmait Bossuet, la seule affaire qui compte. 

 Dans cette histoire, la maison en question, bien qu’abandonnée et hantée puis achetée va devenir le lieu d’un étrange manège d’esprits, qui les uns derrières les autres, vont témoigner, chacun à leur tour, d'intrigues et d'évènements dont Dickens et ses amis ont le secret. Il faut préciser que cinq autres plumes ont participé à l’écriture de cet ouvrage. Le narrateur qui est l’heureux ou le malheureux propriétaire de cette maison, s’y installe en compagnie de sa sœur qui n’est pas mariée ainsi que d’une poignée de domestiques qui assureront les tâches nécessaires pour que cette demeure retrouve et conserve la distinction qui fut la sienne. Ainsi à l'approche de Noël, quand tout fut mis en œuvre pour honorer comme il se doit un tel évènement, la petite assemblée formés d'amis et de quelques membres de la famille, autour de la table où trônait en son centre un majestueux gâteau que les flammes d'un bon feu venait dorer - s'apprêtaient à discourir de quelques étranges phénomènes repérés dans la maison. Dans cet esprit, Charles Dickens et ses amis, nous content alors ce que d'esprits compte cette demeure et qui dans six chambres ont peint chacun une scène que le lecteur est invité à découvrir en gardant à l'esprit que Noël est cet esprit qui les domine tous. Bien entendu, selon la norme narrative de notre auteur, ces six esprits rappellent ces 3 autres esprits que Ebenezer Scrooge rencontra avant de se réconcilier avec les hommes. Certes cette variété d'esprits tronçonne en quelque sorte le récit général mais forme à l'intérieur de l'esprit des chambres de compréhension qui chacune à leur manière génère une expérience d'être qui amène le lecteur à chercher le chainon manquant qui relie ces expériences d'être au récit central. 

 Commençons donc par le premier esprit, celui de la chambre de l’Horloge, qui conte l’histoire de cette jeune femme nommée Stella, et qui pour se marier doit user de cet art si familier à la femme. A ce propos, Charles Dickens n'est pas avare concernant cette discipline que la femme chéri. En effet, à la manière des grands auteurs français du XIXème siècle, Charles Dickens ou l'un de ses amis, cartographie la ruse féminine avec une précision et une justesse qui frôlent l’impertinence. J’ai donc extrait pour cette fiche de lecture les phrases les plus révélatrices pour se rendre compte de la lucidité de l'auteur sur la question (ici),

  • «  Or, votre seule chance de vous marier dépend du moment où ils deviennent pressants. Alors vous devez paraître timide, silencieuse, perdre votre gaieté et les éviter à demi, en semblant presque effrayée et très effarouchée de leur changement. Un peu de mélancolie mène beaucoup plus loin que la plus grande gaieté car, si un homme peut s’imaginer que vous pouvez vivre un seul instant sans lui, il ne vous accordera pas une seconde pensée. Je pourrais citer une demi-douzaine de partis avantageux que vous avez perdus en riant au mauvais moment. Mortifier l’amour-propre d’un homme, Stella, c’est faire une blessure que vous ne pourrez jamais guérir.» (p43)

 

  • « Mon oncle, dit-elle en relevant les yeux pour un moment et en rougissant, prétend que les femmes sont peut-être moins honnêtes que les hommes, parce que ne pouvant faire les choses par la force, elles les font par la ruse. » (p54)
     
  • « Mais grand-père m’a aussi montré un verset de la Bible, qui m’a paru terrible. Ecoutez : « Je trouve plus amère que la mort la femme dont le cœur ne renferme que pièges et filets, et dont les mains sont comme des liens : celui qui plait à Dieu lui échappera, mais le pécheur sera pris par elle. » » (p54)
  • « Jusqu’ici femme et tromperie ont toujours été inséparablement liées dans mon esprit, … » (p55)

 On peut se demander comment de tels propos peuvent trouver place dans un ouvrage qui parle d’esprits et de maison hantée. Si l’on considère la puissance de séduction des femmes qui par leur beauté magnétisent les hommes jusqu’à les engourdir,  il est intéressant de noter que cette manière d’être de la femme se rapproche de l’envoûtement. Finalement, en faisant l’apprentissage d’une telle discipline, la femme en satisfaisant ainsi à sa nature, pratique ce que certains n'hésitent pas à qualifier de métier pour ne pas dire de sacerdoce. C’est pourquoi la femme qui se destine à la séduction, et qui plein de cette ruse évoquée plus haut, n’est pas sans relation avec le monde des esprits, car celle-ci a cette faculté, comme le démon, de posséder les hommes jusqu'à les dévorer de l'intérieur. Dans le Diable de Tolstoï (ici), la chose est entendue et l’auteur russe montre cet envoûtement à l’œuvre avec la belle paysanne Stépanida qui réveilla les pulsions du brave Irténiev. Ce pouvoir incandescent de la femme que les grecs ont magnifiquement illustrée à travers la gorgone Méduse est traduit dans le chef d’œuvre de Milton par cette phrase (ici)


« Mais je vois toujours que le malheur de l’homme tient de la même cause ; il commence à la femme. »


 Cherchant donc mari pour convenir à l’usage, Stella, sous les conseils de sa sœur ainée Barbara, se tourne vers un certain monsieur Fraser dont le fils Martin semble avoir les dispositions requises pour une telle union. L’approche de la demoiselle, afin que ce dernier s’intéresse à elle, consiste à attirer son attention avec une finasserie toute féminine. En effet, sachant que Martin Fraser possédait le seul télescope qu’il y ait dans le pays, Stella fait mine de s’intéresser à l’objet en question afin de lier contact. Bien ignorant des artifices de la femme (p46), Martin Fraser décide de satisfaire à la demande de la demoiselle. Au regard du prénom de notre demoiselle on ne peut pas être étonné de la chose, toutefois sous l’angle psychanalytique, ce passage traduit le rapport hormique, c’est-à-dire libidinal en devenir de nos deux tourtereaux. L’image est forte, Martin présente lui-même son fameux télescope (p49) dont la forme s’apparente à une longue-vue et plus si l’on a un peu d’imagination. A la page 55 la chose est entendue, les mots de Stella sont assez évocateurs, en effet l’image de l’étreinte est clairement suggérée pour ne pas dire dessinée (ici)


« Et comme Martin Fraser s’avançait pour voir si le télescope était bien apprêté pour moi, je reculai. »


 Quoiqu’il en soit cette connotation érotique peut rappeler, pour le lecteur infatigable, celle que Pierre de  Coubertin a enchâssé, peut-être fortuitement, dans sa nouvelle « Les réflexions du bonhomme de Noël » (ici), laquelle, pour le lecteur curieux, fut commentée en début d'année 2020.

 Le second esprit, celui de la double chambre, nous conte l’histoire de l’esprit de la fièvre qui par un jeu habile de sensations coince le lecteur dans une réalité qui n’en n’est pas une. La lecture du rêve d’un homme ridicule de Dostoïevski (ici), qui fut écrit en 1877, soit 18 plus tard que l’ouvrage de Dickens, est un écho ultérieur à l’esprit de cette double chambre. Cette fièvre qui accompagne le narrateur est un fil d’Ariane qui mène du rêve à la réalité, elle produit à la fois sur le narrateur et sur le lecteur une indétermination qui à la toute fin du récit se révèle être la clé de compréhension à toute cette histoire. Sans doute que le procédé usité par Dickens et Dostoïevski et outre qu'il trouble la perception du lecteur, incite la mémoire de ce même lecteur à chercher des repères dans un imaginaire littéraire labyrinthique où l'inconscience et la conscience se mêlent sans jamais se parler. Sans m’attarder sur ce mécanisme narratif qui fut magistralement déployé par Christopher Nolan  dans son long métrage « Inception », il faut tout de même préciser, pour ceux qui ont vu le film,  que la fièvre est en quelque sorte l’image avant l’heure de la fameuse toupie. 

 Le troisième esprit, celui de la chambre des tableaux, nous conte une histoire de religieuses. Dans ce chapitre, fort catholique, Charles Dickens, en écho précurseur d'un certain Marcel Proust quand il parle de Pâques, évoque avec insistance cette fleur qui symbolise la Vierge Marie. Quiconque a lu Vacances de Pâques (ici) verra donc dans l'aubépine fleurit cette nature virginale qui mit au monde un enfant-Dieu. Avec cet idéal littéraire qui, avec une rare élégance stylistique, a offert une vision nouvelle des hautes œuvres du catholicisme, on cesse d'être un lecteur ordinaire pour acquérir cette part de l'esprit français qui discerne avec virtuosité et qui depuis Châteaubriand, Balzac et Baudelaire a été sérieusement affiné. Concernant Charles Dickens, étrangement, comme s'il fut un peu français, il tresse avec ses aubépines et ses lys une sorte de couronne d'exception à la Vierge qui dans ce récit fait apparaître la miséricorde de Dieu là où les âmes ont lamentablement échouées. Dickens conscient de cet amour qu'il couche sur le papier, va jusqu'à faire intervenir en personne la Vierge comme si elle fut l'un de ces esprits qu'il met en scène régulièrement afin de détourner les hommes des mauvais sentiers. Car celle dont on parle et qui selon Dante est celle qui fit tourner la clé du haut-amour, est ici invitée par Charles Dickens à prendre la parole, chose commune pour la Vierge qui depuis que son fils qui est le Messie, lui a offert le titre de mère de l'humanité, ne cesse de parler aux hommes. Léon Bloy (ici) a largement relaté ce que l'on nomme le mystère marial et qui pour le profane n'est qu'un phénomène illusoire et qualifié comme tel par son jugement à cause de l'a priori kantien qui constitue bien malgré-lui sa programmation mentale. Quoiqu'il en soit, Dickens semble épargné de ce biais cognitif, sans vergogne il parsème son récit des titres honorifiques habituellement accordés à la Vierge, on retrouve ainsi, 

"Notre-Dame des Aubépines (p99), Reine nouvellement née (p101), la sainte Mère de Dieu (p101), la Reine des Cieux (p103), Douce Marie! Mère de miséricorde (p108)"

 Sans doute que cette litanie ajoute du mérite à Dickens qui dans cette histoire-là, bien à l'aise avec cette lexicologie, saisit comme s'il fut lui-même catholique, cette atmosphère si singulière que l'auteur du temps perdu ponctua avec une lucidité quasi canonique. Bien que je me répète à propos de Marcel Proust, parce que j'y trouve l'aboutissement de la langue et la maîtrise de l'impression du temps qui passe comme lui-même l'avait déclaré à propos de Flaubert dans sa critique stylistique -les quelques pages de Charles Dickens sur la Vierge à travers l'aubépine, n'en sont pas moins presqu'aussi bien écrites avec en plus ce trait d'union curieusement établit avec la France à la page 98. Pour aller dans ce sens, il y a assurément entre la Vierge et la France quelque chose d'intime et de mystérieux que Michelet rapporta dans son portait de Jeanne d'Arc (ici).

 Je ne m'attarderais pas sur le quatrième esprit pour ne pas alourdir cette fiche de lecture et bien qu'on puisse dire, à propos de ce récit que le vocabulaire usité par Charles Dickens évoque quelque peu l'univers conradien, c'est à dire ténébreux et maritime, il n'en demeure pas moins que notre auteur anglais, insulaire de nature, retrouve ici son instinct d'explorateur en allant fouiller du côté d'un continent en proie à des guerres d'appropriation territoriales. Le lecteur attentif de Conrad retrouvera cette science des ténèbres que Dickens alimente avec un lexique enflammé et avec lequel l'eau de la mer fait l'effet d'un miroir incendiaire comme si Dickens avait voulu amplifier l'idée du lac qui en enfer est fait de flammes. Quoiqu'il en soit le lecteur assistera à la mort à venir du narrateur dont les mots qui narreront ce terrible évènement s'aligneront en constituant un suspens assez tenace. Quand au cinquième esprit - celui de la chambre du maître B. qui parle de calife, de vizir, de commandeur des croyants, de mahométans polygames, d'enfants de l'islam et enfin de sérail - Charles Dickens décrit comment les femmes de ce même sérail accordent leur faveur à ce chien de vizir (p151), chose, par ailleurs bien développé par un certain Malek Chebel dans son livre "L'inconscient de l'islam" (ici) et que l'on commentera très prochainement. 

 Nous allons donc achever cette fiche de lecture avec le dernier esprit, celui de la chambre du coin. Bien que très court, à peine 4 pages, ce récit offre l'occasion à Charles Dickens de conclure en bon chrétien. Non sans étonnement pour le lecteur dickensien, le petit paragraphe qui finalise ce dernier récit prouve que Dickens est un écrivain enraciné qui affirme sans détour sa vision chrétienne. L'obéissance absolue à cet idéal vieux de plusieurs siècles peut compliquer la compréhension du lecteur d'aujourd'hui qui bien à l'aise dans son athéisme n'est pas armé culturellement pour saisir convenablement toute la sensibilité de notre auteur. Bien que fort discipliné pour maintenir la providence à son silence habituel, Dickens et de façon toute spontanée, presque indisciplinée, surprend le lecteur avec ce tout dernier paragraphe dont la texture résonne comme un aphorisme qui aurait tout d'un épitaphe. Voyez par vous même (ici),

"Finalement je recueillis ce bienfaisant enseignement chrétien de mon séjour dans la maison hantée, que je communique de tout mon cœur à mes lecteurs : que la foi est une grande vertu dont il faut user mais non abuser, que nous devons croire au grand récit de Noël du nouveau testament et à nul autre. "

 Pareille phrase n'est plus pensable aujourd'hui, les auteurs habituellement lus n'ont évidemment plus cette disposition d'âme et encore moins des convictions qui sur le papier pourraient apparaitre contraire à la pensée en vigueur dans l'édition dominante. Charles Dickens en dévoilant ainsi sa filiation avec le passé, ce lourd matériaux pour la plupart de nos contemporains, laisse de lui volontairement cette part qui a fait tant de génies, de Dante à Balzac, de Chateaubriand à Baudelaire et de Proust à Girard. 

Si on ne saurait reconnaitre de Charles Dickens ou de ses amis, la plume qui décida du sort de chaque esprit, je peux dire qu'en adossant un certain nombre d'ouvrages à cette fiche de lecture, j'ai convié moi-même autant d'esprits que Dickens et ses amis en convièrent dans leur histoire. Il faut dire que ceux que j'ai conviés pour vous - à savoir selon l'ordre d'apparition, Charles Dickens lui-même, Léon Tolstoï, Pierre de Coubertin, Fédor Dostoïevski, Marcel Proust, Léon Bloy, Jules Michelet et enfin Malek Chebel - seront autant d'amis à vos côtés qu'ils le sont pour moi car de leurs esprits couchés sur le papier j'ai bien entendu gardé quelques précieuses parts dont je me félicite d'avoir conservé pour  faire la joie de mon esprit et surtout pour le bien de mon âme. 

Antoine Carlier Montanari

 

 

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