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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

30 Dec

Un Livre Que J'ai Lu (141) : A Lire Au Crépuscule (Charles Dickens)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Charles Dickens

 

 Les quatre nouvelles qui composent ce petit ouvrage sont toutes extraites d'un plus grand ouvrage nommé Histoires de fantômes que Dickens a écrit entre 1840 et 1866. Il faut dire que l’auteur est particulièrement habile pour mettre en scène esprits et autres spectres et qui en bon anglais féru de Shakespeare a repris de Hamlet l’esprit du père qui pour venger sa mort, rendit compte à son fils du complot qui fut mis en œuvre pour le mener à la tombe.

 Cet autre esprit de vengeance qui habite la seconde nouvelle est particulièrement aiguisé, si bien qu'il peut constituer une illustration de ce que l'esprit criminogène peut accomplir. Cesare Lombroso, professeur italien de médecine légale  au XIXème siècle (ici), qui a lancé l'ère scientifique de la criminologie, a défini cinq catégories de criminels, les criminels nés, aliénés, passionnels, par habitude et les occasionnels. En 1965, le projet de recherche en psychologie criminelle du Bellevue Hospital de New York, conclue que la personnalité et le caractère surpassent largement les diagnostiques de psychose ou de défiance que l'on peut faire.  

 Ainsi, dans cette seconde nouvelle nommée "La chambre de la mariée", un homme, poussé par la cupidité, va, avec une extrême patience, et pour se venger d’une femme qui se joua de lui, ôter la vie de celle qu'il prétend aimer (p44). Ainsi, notre assassin qui fut pendu et rendu esprit comme on l’entend quand on parle de fantôme ou de spectre, est dans ce récit le fil conducteur entre le monde des hommes et celui des esprits, et le lecteur en conviendra quand il abordera ces passages qui parlent de ces étranges filaments de feu qui sortent des yeux (p43, p62).

 Toutefois, aussi assidu qu’il soit, le lecteur ne pourra échapper à cette brume narrative constituée d'esprits et de spectres et que Dickens a spécifiquement élaboré grâce à une architecture phraséologique presque ordinaire mais qui en dedans est rudement bien ficelé. Bien des résistances ont ainsi été déployées pour perturber l'attention du lecteur et en particulier en insécurisant les frontières entre les temporalités d'historicité individuelles et ce à cause des sauts temporels que Dickens impose au lecteur afin de ne pas trop lui faciliter la tâche. Cette désorientation narrative se remarque à travers quelques expressions temporelles singulières telles que remonter sa montre, aux pages 39 et 51, et l'horloge de la mort, aux pages 47 et 55. Curieuse expression que cette horloge de la mort mais qui permet à Dickens de rappeler la sentence universelle par laquelle seulement le monde des esprits devient envisageable. A la page 40, cette autre remarque du narrateur ajoute de l’incompréhension (ici, en haut), “- mais je vois beaucoup de gens qui ne me voient pas.”. Dickens en insistant sur le verbe voir, et qui est usité 4 fois dans le dialogue qui précède ce passage, joue avec la perception du lecteur, lequel est contraint de réétalonner l'axe du réel.

 Cette désorientation s'achève ou continue là où Dickens, à la toute fin du récit, enracine l'idée du réel dans cette partie de phrase ou culmine l'idée de la tangibilité pour ne pas dire du sensible (ici, au milieu) “ dans le vieux salon bien réel et concret de cette auberge bien réelle et concrète”. Les termes “réel” et “concret” sont donc ainsi employés deux fois chacun, offrant ainsi au lecteur un point d’ancrage indiscutable. Ce qui étrangement est souligné par cette interrogation ou exclamation mise entre parenthèse (ici, en bas), “(Mr Idle n'allait tout de même pas en contester l'existence?!)”, et où la préposition “en” relie le mot “existence” à ce fameux réel que l'on vient d'évoquer. Quant aux deux signes de ponctuation accolés l'un à l'autre, ils conjuguent deux réactions, celle de l'interrogation et celle de l'exclamation ou les deux en même temps afin, je suppose, de sur formuler l’étonnement après que Mr Idle fut surprit en train de dormir. En effet les termes « endormis, fermé l’œil, somnoler, assoupi, sommeil et endormait. » enrichissent l’idée du rêve et donc de l’hallucination, plaçant ainsi le lecteur dans l’équivoque.

 Par ailleurs, dans la première nouvelle, "A lire au crépuscule", on retrouve ces sortes d'accroches à travers cette pensée du narrateur que Dickens use pour troubler son lecteur (ici, tout en bas),

"Mais je ne suis absolument pas fou; et, comme je ne suis absolument pas prêt non plus à accorder à ce fantôme une existence réelle en dehors de ma propre imagination, je pense qu'il s'agit là d'un avertissement : je dois être malade et il vaudrait mieux que je me fasse saigner. " (p31)

Le narrateur est ébranlé, l'usage du mot “fou” rend bien compte du trouble psychologique qui est le sien. L'apparition l'a visiblement déboussolé au point d'en renier l'existence, le mot "réelle" vient d'ailleurs confirmer la chose puisqu'il est accolé au mot “imagination” pour effacer l'existence objective du fantôme. Ces glissements de perception permettent à Dickens d'amplifier les effets du surnaturel sur la psyché tout en portant des coups sévères à la prétendue rationalité de l'homme. Ce qui poussera le narrateur à accuser la maladie pour ne pas avoir à penser que le fantôme est bien réel. A cette analyse syntaxique il faut ajouter l'usage régulier de parenthèses que Dickens incrémente comme des espaces narratifs qui en se superposant au narratif central, laisse penser qu'une autre voix intervient dans le récit, comme si elle fut celle d'un esprit. Par ailleurs l'usage répété du pronom personnel "je", pas moins de sept fois si l'on tient compte de l'autre pronom personnel "me" et du déterminant possessif "ma", force l'esprit du lecteur à adopter le point de vue du narrateur. Cette insistance est dans ce cas précis d'une remarquable efficacité puisqu'il déloge l'idée d'une possible hallucination causée par un trouble biologique, et que le narrateur recommande de soigner par une saignée, laquelle ne représente pas un remède efficace, le jugement du narrateur est donc remis en question. En effet, le verbe "saigner" , et c'est peut-être là toute l'ironie dickensienne, fait référence à une certaine croyance médicale qui peut s'apparenter à de la superstition.  

 Pour en revenir à notre criminel qui finira pendu, et s’il faut le placer dans l’une des cinq catégories définies par Cesare Lombroso, en considérant que le fait de tuer ne lui pose pas de cas de conscience, je conviendrais que la première catégorie, à savoir les criminels-né, me parait la plus adéquat. Cependant ce choix n'est pas motivé par une savante connaissance des profils criminogènes, certainement Cesare Lombroso lui-même réfuterai ce choix mais quoiqu'il en soit il faut tout de même dire que dans cette histoire-là une femme ne fut pas pour peu de chose dans le fait qu'il soit devenu assassin (p44). Sans vouloir énerver les féministes, je rappellerai cette fameuse sentence de John Milton extraite du paradis perdu, qui dit (ici, en haut),

« Mais je vois toujours que le malheur de l’homme tient de la même cause ; il commence à la femme. »

 Sans insister sur cet aspect-là et du fait que la nouvelle parle de mariée, Charles Dickens a peut-être transféré dans ce récit une part autobiographique concernant la relation mouvementé avec sa femme et acté par un divorce en 1858. Et le lecteur pourra apprécier, aux pages 44 et 45,  à propos de cette jeune mariée, une confidence peut-être inconsciente de sa part (ici, en bas),

" Il l'avait haïe à chaque minute depuis qu'il avait renoué avec elle, et avait attendu l'heure de sa revanche."

 

  Cette histoire de meurtre peut également être mise en perspective avec la dernière nouvelle de l’ouvrage, à savoir « Le procès pour meurtre ». En effet, le procès en question est celui d’un assassin qui n'ignorait pas que dans la salle de tribunal se trouvait l’esprit de la victime. Ce dernier, visible du narrateur fit tout ce qu’il put pour que l’assassin soit reconnu coupable. De la sorte, Charles Dickens poursuit l’idée que la providence agit parmi les hommes. Dans cette histoire-là, le lecteur doit bien comprendre, qu’au regard des témoins qui témoignèrent en faveur du criminel, la justice n’aurait pas pu être honoré si elle avait dépendu des hommes et seulement des hommes. Naturellement, pour Charles Dickens, tous ces esprits révèlent l'existence de l'au-delà et si l'auteur du Cantique de Noël consacre autant de pages à des spectres, des revenants et des apparitions, c'est que la chose mérite véritablement notre attention - et en inspectant particulièrement le titre de la troisième nouvelle et par extension la nouvelle elle-même, Dickens révèle ou trahit, par l'usage spécifique de l'adjectif "authentiques" présent dans le titre, les convictions qui sont les siennes à propos des esprits. En réalité, Charles Dickens peint des situations avec je ne sais quoi d'éternel afin de mener ses lecteurs aux choses invisibles.

Antoine Carlier Montanari

 

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