Un Livre Que J'ai Lu (128) : De La Modestie (Saint François de Sales)
François de Sales (ici) est un saint catholique qui a su admirablement enrichir le patrimoine intellectuel et moral de l'Eglise. Né en 1567 au château de Sales, à une vingtaine de kilomètres d'Annecy, il sera nommé prêtre en 1593 et refusera en avril 1602 d'être nommé évêque par le roi Henri IV pour ne pas quitter sa pauvre église de Genève-Annecy. Il sera tout même sacré évêque de Genève la même année. En 1608 il écrit Introduction à la vie dévote et Traité de l'amour de Dieu en 1616. Il rendra l'âme le 28 décembre 1622.
Le lecteur curieux pourra s'enrichir d'une pensée particulièrement dense et consistante et qui écrite dans un français particulièrement ascétique nous exhorte à adopter un comportement érémitique, c'est à dire austère dont on peut dire qu'il a grandement contribué à raffiner la civilisation occidentale. Le lecteur peu habitué de ce genre littéraire se verra crocheter à chaque paragraphe, car en effet l'épaisse maïeutique rend presque impénétrable la pensée de notre saint. Certains décrocheront faute d'endurance et d'autres préféreront des eaux plus claires - qui laissent du fond sableux percevoir les ombres dessinées par les vaguelettes produites à la surface par une douce brise marine. Cet ouvrage de la collection sagesse n'est pas à lire comme un manuel de vertu ou un décalogue sorti de la roche, le lecteur devra s'armer d'une grande patiente et éprouver la solitude produite par un narratif impassible qui inlassablement commande d'obéir à Dieu.
Cette obéissance à Dieu est pareille à cette pomme qui tombant de l'arbre obéit à la loi gravitationnelle. La pomme ne refuse pas de tomber, elle accepte sa destinée pour servir au mieux l'ordre naturel. Bien avant Simone Weil, François de Sales, conditionne cette obéissance au salut de l'âme. Voyez l'étudiant qui écoute son professeur parce qu'il reconnait que ses propres connaissances sont insuffisantes (p14). L'étudiant fait preuve d'humilité, il est attentif à l'enseignement du professeur et s'en remet à son autorité pour accomplir correctement ses études. Ainsi quand la nature s'exprime, elle pratique en réalité une obéissance inconditionnelle aux lois qui l'a régisse. Et c'est dans cette obéissance involontaire que la nature fourni aux hommes un cadre approprié. Toutefois il apparaît injuste que le lièvre finisse dans l'estomac du loup et que l'antilope périsse sous les morsures du lion, et il en est ainsi pour tous les herbivores. Ce principe naturel qui permet aux carnivores de subsister est l'exacte affirmation de la loi du plus fort. Quand le Christ, qui est Dieu et qui a pouvoir sur tout, obéit au sort qui lui est réservé, à savoir la mort, il n'obéit plus à la loi du plus fort, il invalide la loi du plus fort. En se faisant la victime, le Christ neutralise le mouvement de prédation du monde et par la même occasion redéfinit la culpabilité du monde. Quand le loup et le lion mangent le lièvre et l'antilope ils obéissent à leur nature prédatrice qui leur commande de tuer et quant le feu brûle une forêt, il obéit à sa nature consumériste qui lui commande de détruire. Le Christ, en obéissant à Dieu qui veut abolir par la raison la loi du plus fort, change l'axe naturel du monde et le fait tendre vers un ordre qui retient la prédation du fort. L'obéissance à cette nouvelle loi est entièrement charité car dans cette complète obéissance le Christ s'en remet à l'Esprit de Dieu qui relève ce qui est tombé et qui abaisse ce qui s'est élevé sans lui (p18). L'obéissance du Christ est une obéissance rationnelle qui s'applique en connaissance de cause parce que l'esprit de Jésus sait que Dieu est au contrôle malgré les événements qui semblent indiquer le contraire. En effet dans cet extrait de Luc, chapitre 22 verset 41, le Christ est confronté à la souffrance qui vient (ici),
"Puis il s'éloigna d'eux à la distance d'environ un jet de pierre, et, s'étant mis à genoux, il pria, disant: Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne."
Dans cette parfaite obéissance, Jésus ne fait plus qu'un avec son Père, de sorte que cette sorte d'obéissance qui conduit à la mort est porté par l'assurance de la victoire. Ainsi le Christ en acceptant la croix qui vient à lui, montre qu'il faut s'en remettre à Dieu dans l'épreuve. Nous pouvons bien-sûr demandé à Dieu de nous délivrer de la souffrance, mais le temps de cette souffrance est comme un temps accordé par Dieu pour le glorifier (p22), car nos souffrances pleinement acceptées sont transformés par Dieu en grâce pour nous mêmes ou pour d'autres de nos frères dans le besoin. Satan se voit ainsi mis en échec quand l'âme est pleine de cette abnégation car la souffrance n'a plus d'emprise sur cette âme entièrement tournée vers Dieu. Le prix qu'accorde Dieu à la souffrance offerte rachète bien des âmes au Diable. La pleine obéissance du Christ à la croix permet à la volonté de Dieu de s'accomplir et quand elle s'accomplit à travers la croix, la grâce s'étend au détriment du mal. Saint François de Sales parle d'avancement (p31), et de l'art de s'en remettre à celui qui sait naviguer dans la tempête. Ainsi le croyant qui s'abandonne et accepte la souffrance tout en l'offrant à Dieu, annihile la puissance négative de la souffrance et la sublime en la déposant directement sur l'autel invisible de son âme. Cette charité qui dépasse toutes les autres, est une humilité montante nous dit Saint François de Sales (p31), car elle est seulement visible de Dieu. Ce qui fera dire à Padre Pio ces quelques mots qui résument parfaitement ce dont on parle (ici),
"Ainsi quand Dieu impose une croix à l'un des siens, il lui donne tellement de force que celui-ci tout en supportant l'épreuve, en ressent du soulagement. "
Ce soulagement dont parle Padre Pio provient de cette assurance que notre épreuve n'est pas vaine et qu'entre les mains de Dieu elle se transforme en grâce. Autrement dit chaque épreuve dans cette vie a un sens si on garde à l'esprit le coût de notre salut. Chaque épreuve dans le moment présent est un outil - un moyen salutaire.
Au sujet de la modestie, thème de notre ouvrage, celle-ci provient essentiellement de cet aveu que l'on ne peut rien par nous-même. Saint François de Sales la décline en quatre sortes (p33).
- La première sorte de modestie c'est la bienséance de notre maintient extérieur, c'est à dire la décence. C'est la retenue, la discrétion, la délicatesse tout en se préservant de la trivialité voire de la bestialité. Cette bienséance nous fait conserver en tout lieu en tout temps une dignité d'être qui est infiniment agréable à Dieu, car même dans le silence de la nuit cette bienséance qui demeure invisible est pourtant visible à Dieu. Et cette modestie extérieure qui se retrouve dans le maintien et la contenance a valu bon nombre de conversion sans même que la parole fut donnée. En réalité cette bienséance est une prédication muette fortement recommandée par saint Paul .
- La seconde sorte de modestie c'est la bienséance intérieure, c'est à dire ce qui éloigne de la stupidité et de la nonchalance d'esprit. Cette bienséance intérieure est soucieuse de son perfectionnement moral, elle est désireuse d'apprendre un savoir nécessaire pour se perfectionner. Cette seconde modestie encadre donc l'esprit et le range droitement dans un étui d’honnêteté - est une studiosité d'esprit, nous dit Saint François de Sales, à la page 44.
- La troisième sorte de modestie est présente dans notre conversation et dans nos paroles. Il faut éviter la vulgarité et la rusticité ainsi que le monopole de la parole qui empêche bien l'autre de parler.
- La quatrième sorte de modestie est l'extravagance vestimentaire et un manque de mesure qui vont à l'encontre de la pudeur et par extension de l'humilité. La correction de l'apparence est le signe du savoir-vivre, c'est un grand indice de la bienveillance et de la délicatesse de l'âme. A l'inverse, les tatouages et les piercings qui sont l'expression d'une profanation corporelle, traduisent une volonté de provoquer le regard de l'autre. Dans ce cas c'est la peau elle-même qui devient exubérance et qui pleine d'infection pour le regard innocent, déploie un sentiment d'originalité qui est une sorte de masque à un mal-être. Voyez par exemple ces personnes qui se dévêtissent ostensiblement quand viennent les beaux jours. Elles ne perçoivent pas l'impact de leur manque de convenance et de retenue sur la conscience collective, comme si la pudeur n'avait aucune importance. L'ardeur de l'été les fond se ramollir assez rapidement et incapables de tout maintient vestimentaire elles laissent une partie de leur intimité devenir une expression esthétique. Bien que ce comportement soit l'expression de la liberté individuelle et bien heureux qu'il en soit ainsi, au regard de ce que nous dit Saint François de Sales à propos de la façon de s'habiller (p45), elles ne préservent pas la sensibilité des autres. Voyez les personnages de Marcel Pagnol qui dans le plein été provençal restent habillés convenablement. Chacun d'eux a acquis une distinction évidente qui peut nous faire dire qu'en ce temps-là les esprits étaient beaucoup plus endurants. De même que ces militaires français des forces spéciales qui sous des températures caniculaires chassent les groupes islamistes au Sahel avec sur le dos un lourd équipement. Evidemment le maintient est une question de force mentale et le relâchement dont on parle est principalement dû au retour de l'instinct, la paresse et de la mollesse d'esprit, tout ce que la civilisation chrétienne avait corrigé. Dans ce cas précis, et outre la plage et ses baignades, la chaleur révèle en réalité les caractères faibles, apathiques et inconsistants et qui de la dignité est seulement dépendante des circonstances extérieures.
Ces quatre sortes de modestie nous mortifient au quotidien et nous rapproche de Dieu d'une manière agréable parce qu'elles exigent de nous une correction permanente. Ces quatre modesties qui soutiennent notre âme durant sa traversée terrestre conduisent à la perfection (p56). Et comme il est agréable à Dieu de se miroiter dans l'âme qui se mortifie, l'âme en retour reçoit de Dieu l'assurance de lui plaire, et cette certitude apporte à l'âme ce soulagement évoqué par Padre Pio. Voyez comment dans le monde de l'entreprise un nombre non négligeable de personnes désirent plaire à leur supérieurs pour bénéficier de quelques avantages. Le fait de faire plaisir à la hiérarchie procure une satisfaction qui nourri un besoin de reconnaissance évident. A cette échelle combien d'entre-eux obéissent aveuglément jusqu'à défendre des opinions qui sont contraires à les leurs ? Combien encore produisent un grand zèle dans la tâche qui leur a été confié, pensant que ce supplément de soi peut leur permettre d'obtenir bien des faveurs supplémentaires. Cette obéissance portée parfois par un grand dévouement et une ferveur quasi religieuse, est la démonstration que l'homme a bien compris les bénéfices que l'on peut en tirer. C'est pourquoi il est demandé au chrétien d'apprendre à obéir intelligemment de manière à jouir de la grâce qui en découle. Ces moments d'obéissance nous entraînent au grand fléchissement exigé pour le salut de l'âme.
A propos de l'humilité, autre vertu théologale, Saint François de Sales la divise en cinq degrés (p67), (ici)
- Le premier degré c'est la connaissance de notre propre misère, de notre propre infirmité. Cette connaissance de nous-même est révélé par ce passage de l'imitation à Jésus Christ,
"De vous-même vous tendez toujours au néant; un rien vous ébranle, un rien vous abat, un rien vous trouble et vous décourage. Qu'avez-vous donc dont vous puissiez vous glorifier? et que de motifs au contraire pour vous méprisez vous-même! Car vous êtes beaucoup plus infirme que vous ne sauriez le comprendre."
- Le second degré c'est la reconnaissance et l'affirmation réelle de notre néant.
- Le troisième degré c'est de reconnaître les défauts qui sont découverts par les autres.
- Le quatrième degré c'est de se réjouir du mépris puisque nous savons que nous ne sommes rien.
- Le cinquième degré, le plus parfait des cinq degrés, c'est la recherche et le désir du mépris qui en réalité nous éloigne des faveurs du monde mais nous rapproche de l'amour de Dieu
Après la modestie et l'humilité, la simplicité est cette vertu purement chrétienne (p73). Jeanne d'Arc à son procès témoigna de cette simplicité en répondant à ses juges avec une candeur déroutante. De même les enfants sont souvent choisis par la Vierge parce que leur simplicité est en mesure de confondre les esprits savants. La simplicité est opposée à l'astuce et aux artifices savants de l'intellect qui sont propres à l'adulte. En effet quand les enfants de la Salette, de Fatima et de Garabandal affirmèrent avoir vu la Vierge, les adultes étaient dans l'incapacité de prouver que c'était une supercherie tant la supercherie requiert une force d'esprit que l'esprit d'un enfant est incapable de produire et de maintenir. Il plait donc à Dieu que l'homme se comporte avec la même simplicité de l'enfant, comme le confirme le Christ (ici),
"Si vous n'êtes faits simples comme petits enfants, vous n'entrerez point au Royaume de mon Père. "
(Matthieu 18.3)
La simplicité dont on parle se tient à distance des jeux funèbres de l'esprit et n'est pas parasité par les orgueilleuses connaissances acquises qui plongent l'âme dans le cynisme. Car en cultivant l'amour de nos propres opinions, nous prenons le risque de ne plus écouter que soi-même tout en ignorant que l'on perd de l'autre bien des réflexions qui pourraient s'avérer utiles. Si il est naturel d'être sujet à ses opinions (p99), cela devient imperfection quand l'opinion de l'autre est ignoré dans ce qu'elle a de plus censé. La lecture est donc le moyen d’éprouver notre ignorance et de faire preuve d'humilité face à la vérité. Car bien qu'on trouve un certain nombre de grands lecteurs faire preuve d'une grande assurance, on trouve également un certain nombre de personnes qui ne lisant jamais développe une aussi grande assurance. C'est ce que l'on nomme l'effet Dunning-Kruger, c'est à dire que l'ignorance de notre ignorance engendre une confiance en soi irraisonnable tant elle est construite sur l'imagination. Au contraire la confiance en soi développée par la diminution tendancielle de notre ignorance s'avère juste. Ce qui fera dire à Darwin,
"L'ignorance engendre plus souvent la confiance que la connaissance."
La lecture est donc l'aveu que l'opinion de l'autre est importante et que s'en nourrir dans la perspective d'y trouver quelques mesures de la vérité est un exercice salutaire. Toutefois il ne faudrait pas se servir de la lecture comme une solution d’opiniâtreté absolu et qui nous enfermerait dans des convictions fausses, c'est pourquoi il est important, par honnêteté intellectuelle, de lire des ouvrages qui sont en contradiction avec notre pensée. A ce propos Saint François de Sales précise que lorsque l'amour de sa propre opinion s'attache à des choses de la foi, il peut nous faire tomber dans l'hérésie (p118). Pour exemple observez l’opiniâtreté des musulmans à propos du Coran. Quand on analyse le degré de confiance accordé par les musulmans à Mahomet, sachant qu'aucun témoin direct n'a pu attester des faits surnaturels survenus au prophète, on remarque le peu d’honnêteté intellectuelle de leur part quand dans un même temps ils balaient allègrement les nombreuses apparitions mariales suivis des nombreux miracles opérés sur de nombreux témoins et qui se sont déroulés un peu partout dans le monde à travers les siècles. Pourquoi ces mêmes musulmans qui croient dans la parole d'un seul homme qui passait son temps à guerroyer et à commercer, rejettent les messages célestes donnés par la Vierge Marie à des enfants, c'est à dire à des êtres innocents et spontanés? A aucun instant ils émettent la possibilité que cet homme qui avait des femmes esclaves ait pu fomenter tout cela pour ses propres intérêts - mais ils pensent que des enfants qui n'ont pas les facultés mentales pour élaborer un plan machiavélique, mentent intégralement. L’honnêteté intellectuelle préconiserait d'abord une étude sérieuse sur les apparitions mariales, ce qui aurait pour conséquence d'annuler les opinions préconçues. Les musulmans comme beaucoup d'autres personnes s'enferment dans leur propre opinion et ne prennent pas, comme le préconise Claude Tresmontant, le temps du discernement. L'humilité voudrait que l'on estime les choses selon l'intelligence qui s'exerce honnêtement et non selon la stricte idée que l'on se fait des choses. Quand on voit l'importance qu'accordent, à juste titre, certains hommes au phénomène OVNI, on pourrait exiger qu'ils exercent une même curiosité sur les faits miraculeux observés dans le monde catholique et qui analysés avec discernement se montreront bien plus exceptionnels et saisissants que les quelques vidéos et photos d'objets non identifiés. Quoi qu'il en soit, croire n'est pas savoir, il faut donc forger la foi avec la raison raisonnante pour que la foi ne devienne pas un facteur de perdition.
Ainsi les musulmans réputés pour leur zèle envers Allah, doivent éprouver leurs certitudes jusqu'au doute pour vérifier la solidité de leur foi. De même le chrétien qui tient pour essentiel la parole du Christ qui dit, "Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au Père que par moi." (Jean 14.6) se doit d'imiter en acte la patiente, la bonté, l'amour, la miséricorde et la gentillesse du Christ afin qu'il éprouve dans sa chair la vérité. Assurément cet enseignement réforme le cœur et immole l'amour-propre, l'enseignement de notre saint exige cette diminution de l’ego comme l'avait opéré Jean le Baptiste quand il donne cette parole à ses disciples à propos du Christ ,
"Il faut qu'il croisse, et que je diminue."
(Jean 3.30)
Antoine Carlier Montanari