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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

09 Feb

Un Livre Que J'aime (113) : L'histoire Comme Système (José Ortega y Gasset)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu

 

 L’homme se définit par ses convictions et ses croyances nous dit José Ortega y Gasset, et qui contrairement au monde animal, le fait évoluer comportementalement. Cette évolution comportementale que l'histoire retrace et que les sociologues étudient afin de déterminer les tendances grégaires des hommes, est spécifiquement lié à la liberté humaine. Ainsi des successions d'événements provoqués par l’homme sur l’homme et sur son environnement ne peuvent être véritablement comprises qu’au regard des idées qui motivent l’homme. Ce processus est tracé par les historiens afin de définir, à travers les changements les plus décisifs opérés par l’homme, les tendances psycho-historiques de l’humanité. Il existe donc des stades d’évolution comportementale qui fait qu’un homme qui a vécu au XXème siècle, n’a pas exactement les mêmes croyances et convictions que son ancêtre qui a vécu au premier siècle mais qui a tout de même gardé en lui des programmations comportementales et linguistiques qui rappellent qu'il n'est pas l'origine de lui-même. Cet homme du XXème siècle est donc l'addition de l'homme du XIXème siècle, de l'homme du XVIIIème siècle, de l'homme du XVIIème siècle et ainsi de suite jusqu'au passé le plus lointain retrouvé.

 L’homme s’enrichi de poésie, de science, de mythes, de connaissances, de prières et d’émotions qui fleurissent et enrichissent son jardin intérieur pour le mener finalement à traverser la vie afin de la modifier s'il en est tenté. Cette empreinte varie donc en fonction des croyances et des convictions, l’homme de foi et l’homme de raison ont tous deux une foi dans quelque chose, l’un en Dieu et l’autre dans la raison. Aussi, nous dit l’auteur, José Ortega y Gasset, la raison physico-mathématique qui habite l’homme de raison, est une nouvelle foi, une nouvelle croyance dans le monde (p18). Ainsi cette nouvelle foi qui est né au XVème siècle, à la Renaissance, redéfinit l’homme tout en redéfinissant son histoire. Ce changement a fait passer l’homme dans l’incertitude, l’incertitude de Dieu, l’incertitude de sa paternité et donc de ses origines. Ce changement va bouleverser sa manière d’exister et sa manière de penser, au point d’affirmer, par opposition à Dieu, qu’il n’y a pas de vérité (p29). Cette carence de vérité absolue va irrémédiablement entraîner l’homme dans une nouvelle histoire et une nouvelle réalité, celle non plus du Ciel et de l’enfer, mais celle du monde et du cosmos. Mais la science en tant que telle nous dit l’auteur, n’a rien de précis à dire (p24) puisque elle s’est désolidarisé de la raison divine où l’homme trouvait en Dieu un fondement parfait à son existence. Désormais orphelin de toute entité parfaite, l’homme biologique avec sa raison physico-mathématique devient alors incompétente pour parler de sacré. Le phylum hébraïque selon Claude Tresmontant avec  la raison expérimentale ou encore la révélation au sens spinosiste, ne sont pas du tout pris en compte. C'est désormais l'ère de la raison kantienne, la raison dépouillée de l'expérience.

 Ce passage de la foi à la raison pure, à la raison kantienne, de l’époque chrétienne à l’époque rationnelle, c’est le système dont parle José Ortega y Gasset (p41). L’homme occidental rationnel est avant tout un héritier de l’homme occidental chrétien, lequel est l’héritier de l’homme de l’antiquité grecque. Si donc le grec a inspiré le chrétien et le chrétien a enfanté le rationaliste, il en est autrement pour le musulman ou le chinois. L’homme rationaliste athée avant d’être un rationaliste athée était un grec puis un chrétien, en ce sens la destinée grecque et la destinée chrétienne gravitent toujours, et malgré les changements radicaux, au-dessus du rationaliste athée sans que celui-ci ne s’en rende véritablement compte. Il pense que la rupture avec le passé lui a ôté toutes les programmations précédentes, qu’il est totalement reprogrammé et reconfiguré sans les apports grecs et chrétiens. Ce n’est pas le cas, le système que définit José Ortega y Gasset, reconfigure l'héritage des grecs et des chrétiens à l'intérieur même du rationaliste athée. Ce dernier, en effet, existe sous cette forme particulière et pas une autre parce qu'il draine en lui un " avoir été " qui précisément a engendré ce qu'il est maintenant (p61). Ce que nous avons été, préétabli en nous, dans le présent, dans notre immédiateté, un passé vivant qui se mesure de la même manière que les couches de terre qui se superposent sous un vignoble et qui par addition fournissent à la vigne des particularités spécifiques que l'on ne retrouve pas ailleurs et qui font qu'un vin de bordeaux est un vin de bordeaux et qu'un vin de Champagne est un vin de Champagne. 

 L’expérience c’est à dire une connaissance conservée par la mémoire (p62), et qui accumulée sous forme de passé vivant dans le présent, est à même et en fonction de la situation vécue être à nouveau expérimenté ou au contraire refoulée pour être remplacé par une nouvelle situation. En effet une situation parce que déjà expérimentée (p65) et déjà analysé et jugée en appelle une autre en fonction de la positivité ou la négativité du jugement. Pour dire simplement les choses, un traumatisme entraîne un changement de comportement par rapport à l’objet ayant provoqué le traumatisme. Un individu, au sortir de la guerre, fait ensuite tout pour ne plus connaître la guerre. La guerre ayant entraîné chez lui un désir ardent de la paix. Au contraire, celui qui n’a pas enduré la guerre n’a pas forcément le désir ardent de la paix. Ainsi le peuple qui a déjà expérimenté la tyrannie ne désire plus l’éprouver et le peuple qui expérimente la démocratie molle est en mesure de désirer la tyrannie pour retrouver l'autorité. C’est donc en fonction des types d’expériences que se décident les futures situations. Le système dont parle José Ortega y Gasset est le mouvement de la pensée par le vécu et ce vécu qui devient le fait historique est une programmation qui joue le rôle de principe de précaution. Ainsi un homme ou une nation fait telle chose de telle manière et pas de telle autre manière parce que avant il ou elle a fait telle chose de telle autre manière (p68). Le déjà expérimenté est une programmation qui en appelle une autre, inexorablement nous dit José Ortega y Gasset, l’homme s’abstient d’être ce qu’il a été (p70). A la première expérience d’être succède une deuxième expérience d’être puis une troisième expérience d’être jusqu’à « X » expérience d’être. Ainsi la dernière expérience d’être est forgée par la seconde et la première expérience d’être. On va donc user d'un exemple concret et le schématiser dans ce tableau (ici). L'exemple choisi est la FRANCE,

 
 Ce tableau définit succinctement les principales périodes qui ont construit la France. Nous avons établi 4 expériences d'être. A chacune d'elle correspond l'influence historique (deuxième colonne), puis le système philosophique qui y est rattaché (troisième colonne) et en quatrième colonne nous avons les personnages emblématiques de chacune de ces expériences d'être. La cinquième expérience d'être (dernière ligne) est l'expérience d'être de la France actuellement. Elle correspond à la somme des quatre premières expériences d'être établies dans le tableau. Ainsi nous avons,

  • en première expérience d'être, l'influence de l'empire romain qui va apporter à la Gaulle divisée l'idée de l'administration centralisée et l'hyper organisation.
  • en deuxième expérience d'être, avec le baptême de Clovis en 496, la France va devenir la fille aînée de l'Eglise. Cette conversion va faire de la France une terre d'ordres spirituels voués à propager la miséricorde et l'amour inconditionnel prônés par le Christ lui-même.
  • en troisième expérience d'être l'influence italienne de la Renaissance sous François premier principalement, va incrémenter la philosophie grecque à la pensée chrétienne. Cette union de la raison et de la foi va faire entrer la France dans l'ère de la pensée cartésienne.
  • tout naturellement en quatrième expérience d'être, les Lumières vont séculariser les idées chrétiennes.
  • ainsi la cinquième expérience d'être est la combinaison des 4 expériences d'être précédentes. Ainsi la démocratie comme régime politique et les droits de l'homme ont été enfantés par l'addition de différentes influences spécifiques.

 En guise de synthèse, pour comprendre le français actuel, il faut comprendre ce qu'est l'être romanisé, l'être chrétien, l'être rationaliste et ainsi de suite. Le français actuel est composé des différents français du passé, et ces différents  français du passé sont présent en lui. Si les expériences d’être avaient été différentes, la cinquième expérience d’être n’aurait pas été la même, autrement dit les droits de l’homme et la démocratie sont les conséquences ou les résultantes de ces expériences d’être spécifiques que sont l’influence de l’empire romain, la christianisation de la Gaulle, la période de la Renaissance et celle des Lumières. Si maintenant on prend comme exemple un pays musulman, comme ses expériences d’être sont différentes, sa dernière expérience d’être sera différente de celle que l’on vient d’évoquer. C’est donc en éprouvant différentes expériences d’être qu’on définit telle ou telle expérience d’être à venir, c’est en cela que l’expérience d'être mauvaise entraîne une expérience d'être qui ôte le côté désagréable de l'expérience d'être déjà vécue. L’homme vit donc en vue du passé, ce qui le distingue de la nature animale, laquelle n’a de sens que dans sa nature tandis que l’homme n’a de sens que par son histoire (p71). En ce sens l’homme est un être variable, qui progresse à cause de la variabilité des lois qu’il instaure. Ce caractère progressif de l’homme donne un sens à l’histoire de l’humanité. Et tout comme le serpent abandonne sa peau pour en prendre une autre, l’homme se détache d’une expérience d’être pour entrer dans une autre expérience d’être dont la nature tend à être différente des précédentes tout en prenant des précédentes ses bienfaits.

 De même pour comprendre Napoléon, il faut comprendre César, il faut comprendre Alexandre le Grand et il faut comprendre l'Iliade d'Homère. En effet c'est à la lecture de l'Iliade et des faits d'arme d'Achille qu'Alexandre le Grand puisa son inspiration et c'est à la lecture des exploits d'Alexandre le Grand que César nourrit son ambition et que Napoléon, à cheval sur le monde, modela sur le laurier romain son admiration. Le pont entre Achille et Napoléon est fait, Homère en contant les exploits d'Achille ignorait qu'il allait enfanter des puissants. Les mots homériques ont alors pétri le monde de force, laquelle je le rappelle fut puiser au fleuve des enfers quand Achille y fut plonger par sa mère pour devenir invincible. A l'image du précédent exemple, on va par l'intermédiaire de ce second tableau (ici), tracer cette généalogie de la force que l'on vient d'évoquer.

 Ainsi la première expérience d'être, à savoir l'Iliade d'Homère, va générer la deuxième expérience d'être, à savoir Alexandre le Grand, laquelle va générer la troisième expérience d'être, à savoir Jules César, et qui à son tour va engendrer la quatrième expérience d'être, à savoir Napoléon Bonaparte. Ce phylum, c'est à dire cet embranchement spécifique n'a de spécifique que la force. A l'inverse ceux qui se revendiquent du Christ, comme Mère Térésa, Jean-Paul II et Martin Luther King pour ne citer que ceux-là, appartiennent à un phylum qui n'a de spécifique que l'amour inconditionnel. On peut dire, pour résumer ce tableau, que Napoléon est un Achille imprégné d'Alexandre le Grand et de Jules César. 

 En conclusion, l'homme actuel n'est pas un éternel Adam (p75), au contraire le serpent d'il y a 10 000 ans est le même qu'aujourd'hui. La condition changeante de l'homme, au fur et à mesure des âges, l'amène à un devenir qui au regard du christianisme doit le restaurer dans son expérience première d'être, c'est à dire dans sa version parfaite. Aussi le système dont parle José Ortega y Gasset est une suite d'expériences humaines dont l’enchaînement forme une combinaison spécifique qui doit l'amener à l'âge de la maturité et cette maturité ne peut être atteinte que par une révélation divine qui fait intervenir des programmes de perfectionnement moral. Sans cette révélation, la seule chose qui reste à l'homme est sa raison physico-mathématique dont la nature est aussi glacée que désillusionnée (p88).

Antoine Carlier Montanari

 

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