Un Livre Que J'ai Lu (111) : Joyeux Noël!
Ce petit ouvrage, bien que peu intimidant, comporte 3 poèmes et 8 nouvelles sur le thème de Noël. Après la lecture, et parmi tous les auteurs choisi par l'éditeur, l'un d'entre eux s'est avéré très critique. En effet, Blaise Cendrars, dans sa nouvelle intitulée "Noël à Rio", en profite pour condamner le progrès technique. En effet dans cette histoire l'auteur a pris en grippe les hommes et leurs inventions mécaniques. Comme pour Herman Melville, Cendrars pense que le progrès technique n'est qu'un horizon sanglant qui promet une mort savante. La mort est donc le personnage principal de cette histoire et bien qu'elle ne devrait pas être convié en cette période précise, l'auteur nous rappelle, à travers elle, que le simple fait d'exister est un véritable bonheur.
Outre ce curieux mélange qui tient d'avantage de la boutade que du sarcasme, un autre auteur, celui-là français, à savoir Sylvain Tesson, semble tout aussi empreint de provocation. En terre chrétienne, plus précisément en Bretagne, Pierre, un voisin de notre auteur qui ironiquement n'avait de chrétien que le nom, était de ceux, et il sont nombreux de nos jours, qui ne croyait en rien. La chute de cette histoire va dans le sens qui convient au merveilleux tout en s'éloignant du miraculeux. Allez comprendre, notre auteur est bien de son temps, vous n'aurez donc pas droit à une histoire de Noël traditionnelle bordée de piété et de sacré. Toutefois, une lecture prudente pourrait nous mener à comprendre que notre auteur, qui par ailleurs aimait à se promener sur les toits des grandes cathédrales françaises et qui après une chute qui l'immobilisa dans un lit d’hôpital, grimpa quotidiennement, pour les besoins de sa rééducation, les 450 marches de l'escalier de Notre-Dame de Paris, formule une critique à l'égard de l'Eglise en lui reprochant, à travers la réaction du prêtre, son manque de bonhomie devant le merveilleux. Quoi qu'il en soit, notre stégophile, autrement dit notre alpiniste, a accompli comme Pétrarque en son temps (ici) l'escalade du Mont Ventoux et qui bienheureux d'une telle aventure la conta dans un livre dont le titre,"Sur les chemins noirs", évoque ces mêmes ténèbres naturelles qui traquèrent Marlow dans sa quête africaine.
C'est donc du côté du russe que le miracle opère. Anton Tchekhov travaille avec une humanité plus pieuse et plus authentique. Son histoire, "A Noël", nous ramène à la famille et à la douleur de l'avoir quitté. Tchekhov, comme on l'a vu dans de précédentes lectures, nous ramène toujours aux femmes, à ces femmes qui portent en elles la Mère de celui qui est fêté à Noël, et qu'elle nomment la Reine des Cieux. Cette révérence du russe est si belle à lire que la seule autre nouvelle, dans ce livre qui s'en approche, est celle de Guy de Maupassant. L'auteur de Bel-ami convie à la table du Seigneur, le soir de Noël, devant la Sainte Hostie entre les mains immobiles du prêtre, une âme possédée par le diable. En songeant à ce qui advint par la suite, et connaissant la pensée de Guy de Maupassant à propos de la religion, on peut penser que la providence fut bien à l'oeuvre à l'endroit où il écrivit cette nouvelle. Quoi qu'il en soit si Maupassant rend ainsi grâce à Dieu, dans la nouvelle suivante, "Un souvenir de Noël", Truman Capote pousse aussi le regard au ciel. Étonnant peut-être pour celui qui connait l'écrivain américain dont la plume est aussi noire que son encre. Du moins, dans cette nouvelle, l'infortune et la mort sont deux sœurs qui forment un monstre bicéphale et avec qui le Ciel s'est entretenu pour y conduire les âmes.
C'est une toute autre affaire dans laquelle nous conduit l'autre auteur américain Francis Scott Fitzgerald. En effet point de transcendance, il faut dire que l'auteur s'est amusé avec le titre de sa nouvelle, à savoir "Pat Hobby croit au Père Noël", afin de tromper son monde. Ce sarcasme n'a, pour ma part, aucun mérite. Fitzgerald, de ce point de vue est aussi cynique que le fameux personnage de Charles Dickens d'avant sa conversion. A propos de Charles Dickens, sa nouvelle intitulée "Un arbre de Noël" , nous plonge délicieusement au cœur de ce triomphe hivernal occidental. A vrai dire le tracé littéraire de Dickens évoque quelque peu celui d'un certain Marcel Proust, il n'y a qu'à lire Journées de lecture (ici) pour s'en rendre compte. Son style savamment cadenassé comme modelé par une eau légère et capricieuse, obéit absolument à l'élégance afin de composer des images presque aussi réelles que les peintures colorées de Norman Rockwell et où le rouge et le vert jouent le cérémonial qui est exigé d'eux en cette période. Il faut dire que l'auteur du célèbre roman "Christmas Carol" n'est pas de ceux qui traite de Noël occasionnellement, chacune des descriptions qu'il couche sur le papier frémit de cet authentique esprit de Noël, et parmi toutes les nouvelles sur le sujet et sélectionnées dans ce petit livre, la sienne est véritablement la plus thaumaturgique. En effet, la présence du Christ, dans un long paragraphe, revigore la nouvelle et qui de façon presque inattendu offre au lecteur un moment de grâce. Cette séquence réinterprète la totalité de la nouvelle en conférant à l'arbre de Noël, soigneusement décoré, les mêmes propriétés que la croix de bois du Christ et qui devint ce nouvel arbre de vie dont le fruit sanglant remplace celui de l'arbre qui chassa de l'Eden l'humanité. Si Charles Baudelaire, en observant la toile de Delacroix, associa le bois de sapin toujours vert de la barque de Virgile et de Dante, à la forêt des suicidés au chant XIII de l'Enfer, il comprit également que le peintre français avait su faire du rouge et du vert une flamboyante alchimie qui enlumina son tableau comme une incandescente ténèbres.
A propos de sapin, le poème de Guillaume Apollinaire les concernant, fait d'eux des grands poètes destinés à briller plus que des planètes. Notre poète qui doit-être fait de ce même bois, a ôté toute ponctuation à ses vers afin, je suppose, qu'aucune de ces inclusions ne viennent saccader la ligne déjà bien sinueuse de son chant. Il faut bien dire que Apollinaire jouent avec les octosyllabes et les heptasyllabes pour éliminer quelques variations qui freineraient la fluidité de sa prose. Concernant les deux autres poèmes présent dans cet ouvrage, "Noël sceptique" de Jules Laforgue, composé uniquement d'alexandrins, fait figure de trouble fête. Le poète français qui fut un grand pessimiste narre ici son propre exil que les cloches dans la nuit sermonnent comme des point d'exclamation. Ceux-là il en use, pas moins de 6 viennent s'esclaffer comme des corbeaux perchés sur un arbre. Quand au troisième poème, qui baptise ce petit ouvrage, il est signé d'un certain Clément Marot qui fut le poète officiel de la cour de François premier. Intitulé "Du jour de Noël", ce poème est composé d'une majorité d'octosyllabes et sa forme toute singulière, dévouée à orner des mots qui encensent la Vierge et son Fils, dessine une étrange trinité. Voilà qui ravira les amoureux de notre bonne vieille langue qui bien que maltraitée de nos jours fut tout de même celle qui nourrit un bon nombre de poètes et d'écrivains et qui parmi les ossements enrichissent une terre dont la vitalité est pareille à celle qui reçu sur la Golgotha le sang de celui qui naquit d'une Vierge.
Dans la prochaine fiche de lecture nous aborderons un autre livre sur le thème de Noël. L'ouvrage (ici) est composé de 9 nouvelles dont 4 ont été écrites par Alphonse Allais. Cet élégant petit ouvrage parementé d'une très belle illustration et qui par son feuillage rappelle une certaine tradition classique, est tout bonnement agréable à lire. A vrai dire et sans m'attarder, nous analyserons précisément la nouvelle d'un certain Pierre de Coubertin et nous verrons, grâce à une lecture psychanalytique, comment cet auteur a dissimulé quelques arrières pensées. Quoi qu'il en soit nous verrons combien le thème de Noël a inspiré un bon nombre d'auteurs et qui malgré leurs convictions et leurs croyances s'accordent tous à reconnaître cette fête comme un temps de réconciliation universel.
Antoine Carlier Montanari