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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

02 Nov

Un Livre Que J'ai Lu (106) A Quoi rêvent les garçons (Mark Twain)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Mark Twain

 Le bateau à vapeur comme la locomotive à vapeur représente, pour n’importe quel garçon de cette époque, un idéal de souveraineté. La machine est cette force motrice et virile qui fait désirer être un homme, et plus que tout, elle est un symbole de liberté et d’émancipation et qui comme ce cheval sauvage qui fut dompté pour y être monté, élève à l'esprit de conquête. Mark Twain, qui se souvient de ses rêves de gosse, nous plonge ici, dans l’univers de la marine fluviale américaine. Le fleuve Mississippi sert donc de chemin initiatique pour le jeune Samuel Clemens alias Mark Twain. 

 S’il n’est pas utile de résumer ici les aventures de notre petit homme, il est peut-être bon d’aborder le texte sous un angle nouveau. Disons que pour le grand lecteur, l’apprentissage de notre jeune marin peut s’apparenter à la quête de Marlow sur le fleuve Congo. La référence au Cœur des ténèbres de Joseph Conrad (ici) n’est peut-être pas si déraisonnable que cela. En effet, Mark Twain, dans un long paragraphe, aux pages 54 et 55, aborde la question de la navigation durant la nuit avec un vocabulaire aussi sombre que fantasmagorique. On recense 4 fois le mot « nuit », 3 fois le mot « brouillard » et trois fois le mot « ombre ». Aussi, le lecteur assidu du Coeur des ténèbres aura bien remarqué que le mot "ombre" est maintes fois usité par Joseph Conrad, si souvent d'ailleurs qu'il aurait pu servir de titre à l'ouvrage.  Pour en revenir au vocabulaire usité par Mark Twain, on peut ajouter les mots « frayeur »,  « sinistres » et « noire ». Quant au mot « fleuve » s'il est répété 3 fois dans ce paragraphe, il est accompagné d'un vocabulaire circonstancier dont la présence permet de réaffirmer l'omniprésence du fleuve. En effet, les mots « rive » et « berge » respectivement usités 2 et 3 fois, rappellent également le caractère sanglé du Mississippi. De plus cette phrase que l'on retrouve dans ce même paragraphe, « Ces brouillards vous emmêleraient les idées de l’homme le plus expérimenté qui ait jamais vécu. », nous plonge étrangement dans ces ténèbres évoquées plus haut et à ces premiers âges si chers à Joseph Conrad. Quelques pages plus loin, à la page 70, une autre phrase, bien plus mystérieuse,vient nous rappeler cette ambiance si propre au Cœur des ténèbres, 

« Avec le temps, la surface de l’eau devint pour moi un livre merveilleux, un livre écrit dans une langue inintelligible pour le passager inculte, mais qui me parlait sans retenue, me confiait ses secrets les plus chers aussi clairement que si elle les exprimait à haute voix. »

 Pour qui connait le Cœur des ténèbres, le rapport à la vérité est essentiel. Joseph Conrad oppose les ténèbres de l’esprit à la vérité flamboyante qui se trouve dans les ténèbres réelles. Dans cette phrase, le rapport à l’initiation est sans équivoque. Si Mark Twain use, tout comme Joseph Conrad, de l’idée que la vérité s’acquiert dans l’approfondissement des ténèbres naturelles et dans la connaissance du péché originel, le fleuve est pour les deux auteurs le chemin qui mènent à ces ténèbres. Mais cette traversée comme le fut celle de Virgile et Dante aux enfers, exige de connaître les ténèbres pour ne pas s’y perdre. Les enfers sont comme un labyrinthe, la vérité s'y trouve profondément dissimulée, c’est pourquoi il est nécessaire d'avoir un guide. Le pilote chevronné est pour le jeune Samuel Clemens ce guide qui plonge dans les ténèbres naturelles du Mississippi dont l'engouffrement sombre rend compte du visage originel et enchanteur du monde. Mark Twain à la page 72, nous le laisse entrevoir d'une manière presque lovecraftienne,

« Je demeurai cloué sur place, comme envoûté, absorbant cette beauté dans une extase silencieuse. »

Il est possible que Mark Twain, ait intentionnellement allongé quelques phrases afin de souligner l'étendue du fleuve Mississippi. Aux pages 71 et 72, par exemple, il a charpenté une phrase à l'aide de 120 mots et ponctué de 8 virgules et 5 points-virgules. De même, à la page 73, on retrouve une autre phrase possédant pas moins de 186 mots et ponctuée de 15 virgules et 6 points-virgules. Cette phrase illustre une portion du Mississippi où l'eau huileuse averti le pilote qu'un dangereux haut-fond est en train de se former. Aux pages 74 et 75, une autre phrase tout aussi illustrative des méandres qui dessinent le fleuve, comporte quant à elle pas moins de 152 mots et ponctuée de 10 virgules et 3 points-virgules. Cette éducation de la distance par le temps, propre à beaucoup d'écrivains classique, a une valeur rythmique quasi proustienne. Bien évidemment on ne peut pas dire que la prose et le style de Mark Twain soient de nature à transcender son sujet, toutefois les descriptifs qu'il a fait de ce fleuve géant qu'est le Mississippi ont participé à bâtir l'aura folklorique de ce coté de l'Amérique et à façonner l'idiosyncrasie de toute cette région.

 La fin de ce petit ouvrage n'en est pas moins révélateur de cet obscurcissement de l'âme humaine et de la cécité provoquée par les ténèbres, du moins jusqu'à ce que le regard s'y habitue. Le somnambule à la barre du bateau, le noir fantôme comme le souligne Mark Twain à la page 93, et qui dans les ténèbres de la nuit conduit le plus habilement possible le navire, renvoie à cette dialectique conradienne, si bien d'ailleurs que ce guide nocturne est comme ce Kurtz qui dans le Coeur des ténèbres, a remonté jusqu'au tout début du monde.

Antoine Carlier Montanari

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