Un Livre Que J'ai Lu (92) : Le Professeur à La Mode (Hugues Rebell)
L’auteur, qui naquit à Nantes en 1867 et qui mourut à l’âge de 37 ans à Paris, en 1905, était considéré comme un auteur pygocole dont la pensée politique rejoignait celle de Charles Maurras et du nationalisme intégral par opposition à la république et au socialisme (p7). Cet amoureux des livres précieux mourut donc d’une péritonite après avoir été ruiné. Aristocrate raffiné et excessif, il n’eut donc pas le temps de finir son œuvre littéraire mais laissa tout de même quelques ouvrages de bonnes tenues.
Dans celui-ci, Le professeur à la mode, l’auteur nous conte l’histoire d’Hortensius, homme de lettre (p12) qui n’avait, pour l’anecdote, guerre de mémoire concernant Bossuet et pouvait qualifier La Rochefoucauld de « raté » (p14). Son jugement sur les modernes, en son temps à lui, n’était guère plus rassurant tant il était perclus en la matière. Il se cantonna donc à des sources plus sûres à travers Leconte de Lisle, le poète et Victor Cherbuliez, le romancier (p15), car la mort leur avait garanti la postérité. Bien évidemment l’auteur, à travers Hortensius, étrille avec les mots tout un profil sociologique. Un décadent, mondain et pédant qui savait jouir des femmes tout en se promettant de devenir chrétien pour satisfaire à la morale de son temps. Nous retiendrons, pour clore cette première nouvelle, que l'auteur s'est peut-être inspiré de cet autre Hortensius qui fut au temps de la Rome antique, un orateur, un avocat et même un homme politique et qui préféra finalement profiter de la vie en épicurien. En somme, Hortensius est, sous ce rapport, une composante autobiographique de notre auteur.
Dans la seconde nouvelle, Gringalette, Hugues Rebell met en scène un clown et deux fillettes avec lesquelles il va souligner les effets négatifs que peut entraîner la rivalité mimétique. En effet, cette rivalité mimétique va causer la mort de l’une des fillettes, et la seule description de cette mort atroce, aux pages 56, 57 et 58, témoignera crûment de cette cruauté propre aux enfants. Le bellicisme inconscient et la curiosité irréfléchie de l'enfance peuvent aboutir à des méchancetés que l'on aurait cru incapable à cet âge d'homme. On peut parler ici de fable morale. Sans dévoiler le revers pervers que suscite le désir de vengeance, l’auteur met en évidence la cruauté chez l’enfant afin de rappeler que derrière l’innocence se cache déjà les instincts belliqueux.
Sans m’éloigner du sujet mais pour faciliter la compréhension de ce phénomène, la peinture de Fernand Pelez, les Saltimbanques (ici), peut servir d’illustration à cette nouvelle de Hugues Rebell. En effet, quand on y regarde de plus près, la toile est chargée d’une certaine goguenardise dont Hugues Rebell se sert également à sa manière pour railler la méchanceté des enfants. Les enfants de Fernand Pelez, à gauche sur la peinture, cachent, derrière leur apparente tranquillité, une certaine dose de perfidie et de malice que l’on devine à travers leur attitude nonchalante. Le rapport au cirque entraîne inévitablement le spectateur à se rapprocher de l’espièglerie et de la farce. Le peintre a donc manifestement transcrit cette insensibilité si commune à cette nature afin d'accentuer le caractère burlesque de sa fresque. En général, les enfants semblent être incapables de ressentir de la compassion et peuvent observer avec la plus grande des froideurs, la souffrance s'exercer sur autrui. A ce propos, Gringalette après avoir appris que sa rivale Juzaine est morte par sa faute, elle dit au clown qui pleure la petite fille,
" - Maintenant qu'Elle n'est plus là, veux-tu que je sois ta fille et m'aimer un peu? "
En revenant à la peinture de Fernand Pelez, les enfants sont disposés de telle manière que le peintre semble avoir suggéré une mise aux enchères, laquelle est subtilement soulignée par le pancarte où est inscrit en gros et en gras le nombre 30 que porte la plus grande des jeunes filles. Certains pourront y voir une illustration bien avant l'heure de La monnaie vivante de Pierre Klossowski où le fantasme est ce moyen d'emprise efficace qui corrompt la nature humaine. Cette corruption de la nature humaine est ici provoquée par cette procession d'enfants dont l'étalage, comme sur un marché, engendre une émotion voluptueuse qui provoque l'envie de consommer par le moyen de la monnaie. Le prix du marché, suggéré par le chiffre 30 sur la pancarte, devient le baromètre de la volupté et du fantasme, faisant ainsi des enfants des objets vivants à acheter pour consommer. Ainsi le corps est devenue cette machine à rêver monnayable et qui se traduit par la carrière du vice. Hugues Rebell, à ce propos, à propos de la jeune Juzaine, dans un extrait de la page 45, ne cache pas cette volupté à l'oeuvre,
" on apercevait que les fesses grassouillettes, un peu foncée par la clarté du tulle qui les environnait, saillantes, tendues malgré elles, et si bien en chair, si serrées par la frayeur que la fente s'en distinguait à peine sous le maillot collant et rosé. On eût dit, sous les larges feuilles d'un arbuste des tropiques, un beau fruit, à peine mûr, mais qui ravit déjà les yeux. Mlle Cusani contemplait avec un visible plaisir ces grâces secrètes que Juzaine n'avait jamais laissé deviner une seconde, ..."
Quand à la toile de Fernand Pelez, indéniablement le peintre a illustré la comédie humaine, non sans une certaine dérision et qui est présente ostensiblement, comme on a pu le constater précédemment, dans l'expression désenchantée des enfants alors qu'ils sont sur la scène d'un cirque dont la fonction est toute destinée à divertir le spectateur. Cette contradiction est la même que l'on retrouve dans la nouvelle de Hugues Rebell où le clown finit par pleurer au lieu de faire rire. Cette tristesse du clown est un symbole fort de la tragédie humaine, en ce sens le clown est un masque vivant du sérieux de l'existence, à savoir la mort qui vient.
Antoine Carlier Montanari