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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

16 Feb

Synthèse De Lecture (2) : La Mort

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu

 Nous achevons donc ici, à travers cette fiche de lecture, le thème de la mort. Pour cela nous allons nous appuyer sur les lectures successives du catéchisme de René Daumal, des cinq méditations sur la mort de François Cheng, du Sermon sur la mort de Bossuet, de la Mise en garde avant l'Enfer de Thomas More, du Petit traité de médecine légale de Michel Guerinon, d'une vie avec la mort de Michel Guénanten et Deuil et mélancolie de Freud. Aux éternels refus des uns et des autres d'aborder le sujet, le malaise qu'engendre la question est lié essentiellement au fait de l'athéisme passif et actif qui gangrène la société et les individus. Il est bon ton de se dire nihiliste, évolutionniste et toutes autres sortes de sciences qui condamnent le déisme. L'époque à anéanti la foi dans le ciel et a banni de la sphère publique la présence de Dieu, ôtant ainsi toute possibilité de vie après la mort. Pour des raison évidentes mais non avouées de despotisme idéologique, les Lumières ont baptisé l'ère de l'alternance spirituelle à travers un grand architecte aussi abstrait qu'inexistant.

 Si beaucoup éludent la question par peur de voir arriver la mort à l'improviste c'est parce que la mort apparaît comme cet encaisseur d'impôt intransigeant. Elle nous ôte ce que l'on a de plus précieux avec la légitimité qui est dû à son rang. La question mérite donc qu'on s'y intéresse et l'on se penchera un court instant sur le cortège que Flaubert décrivit à la suite de la mort du pauvre Rymbaud dans sa nouvelle Ivre et mort. Ce dernier poussé par un instinct infernal plongea dans l'ivresse avant que la mort ne vienne le prendre dans son sommeil. Dans Ivre et mort, Flaubert mêle le vin et le sang, l'ivresse et la mort. La procession funéraire de ce pauvre Rymbaud, pleine d'une chrétienté catholique et très française que l'on retrouve dans l'enterrement à Ornans de Courbet, apparaît aujourd'hui comme une tradition désuète et arriérée. A vrai dire en ce temps-là il était de coutume d'accompagner et de mener les âmes auprès du Seigneur, Rymbaud fut donc chanceux de mourir en ce temps mais son ami de beuverie Hugues, furieux de sa mort, blasphéma et injuria la croix, la mort et le prêtre. Flaubert finalisa sa nouvelle en plagiant l'histoire du bon et du mauvais larron, le premier fut Rymbaud et le dernier fut bien évidemment Hugues. 

 Dans la nouvelle suivante, les funérailles du Docteur Mathurin, Flaubert ne change pas de thème, il plonge son personnage dans une rêverie alcoolique dont la souveraine ivresse coagule son cœur avec une extrême facilité. Tandis que la vie du docteur Mathurin décroît, ses pensées séjournent au palais des morts où les illustres côtoient les imbéciles qui jadis ont fait le malheur de beaucoup d'hommes. Plus de verres, des verres de bourgogne, d'absinthe, de kirsch, de rhum, d'eau de vie et tout ce qui flambe et qui fait agonir durant le sommeil. L'ivresse démoniaque conduira le docteur Mathurin dans la tombe ou plus précisément à même la terre, près d'un arbre avec les feuilles mortes. La mort selon Flaubert, hormis la peste qui frappa Florence et qui, dans cette histoire-là, fit de la mort un châtiment céleste,  est pareil à ce triomphe de Silène qui affaisse de son poids un pauvre âne que la vie a ordonné de porter. 

 Pour René Daumal la mort doit être expérimenté. Dans son catéchisme, il joue avec elle et traverse sa frontière à l'aide d'un puissant composé chimique. L'auteur de la grande beuverie joue les Baudelaire et se prend pour le docteur Mathurin. L'angoisse du néant venant, du "plus rien du tout", l’entraîne alors éveillé dans l'état de sommeil. Si pour Flaubert l'ivresse comateuse est un moyen de parvenir à mourir sans le savoir, pour Daumal le tétrachlorure de carbone est un moyen d'y entrer consciemment sans toutefois y demeurer. Il fut alors convaincu de cet autre monde, de cette autre chose, de la supériorité du second état sur le premier. Cette conscientisation de cet au-delà dans la réalité immédiate lui occasionna une pensée supérieure comparable à une révélation. Cette dérivation expérimentale était devenu une asymptote qui tendait vers une autre existence que les grands mystiques ont perçu par des grâces spéciales. En un mot, et ce mot que le poète chatouillera toujours, est ce même mot que les anciens ont sacralisé, à savoir l'éternité.

 Pour François Cheng nous ne pouvons nous accommoder de l'idée du néant absolu, la frousse de René Daumal est évidemment légitime puisque son paternel athée, anticlérical et socialiste lui a enseigné qu'il n'y à rien à espérer au delà de la mort. Ce nihilisme va à l'encontre de cette intime conviction qu'il existe une vie après la mort. François Cheng légitime cette intuition dès le début de ses méditations sur la mort. Il cite cette célèbre sentence de Lao-zi,

      " Ce qui est provient de ce qui n'est pas, et ce qui n'est pas contient ce qui est. "

 Si donc le tout provient du rien, on est naturellement orienté à penser que l'on va retourner à ce rien. Évidemment l'angoisse provient de cette faculté de ressentir intensément le non-être à travers le néant. Le nihiliste est simplement incapable de réaliser la puissance du mal et sa capacité de triompher, tout comme le ptérodactyle de Mark Twain qui ne pu prendre conscience de l'anéantissement de son espèces et de bien d'autres. Le nihiliste est aussi aveugle que le ptérodactyle, jusqu'au jour où n'ayant plus la santé ni le confort il s'aperçoit à travers son propre néant ce que signifie véritablement le néant. Les richesses matérielles affectent sa perception de la mort et abaisse sa lucidité existentielle. On peut dire que les formidables espérances de Dante et de Milton et plus encore la fulgurante métaphysique Baudelairienne sont relégués à des divagations névrotiques dont les vers sont encore étudiés tout en extirpant le sens chrétien qui est le leur. Cette annulation du spirituel chrétien est, pour le nihiliste, un moyen d'éviter l'affrontement avec le Faust de Goethe dont le romantisme a rouvert la conscience palpable des enfers. La damnation de Faust et toutes ses variations scéniques ont réveillées un peu trop dangereusement des notions jusque là étouffées par les Lumières de la révolution. Le Méphistophélès élégant et charmant qui se présente à Faust est certes une agréable image du démon mais cette vision romantique a la perversité du double langage auquel correspondra, à la fin des temps, la figure de l'Antéchrist. Mais s'il est vrai, nous dit François Cheng, que le christianisme a rehaussé la compréhension et la pratique de l'amour, le levier de cette rehausse est la croix où la mort du Christ apparaît comme une législation de salut public. De même la mort de Léonidas aux Thermopyles est l'aveu de cette virilité flamboyante où la vertu est défendu au prix de la vie. Mourir devient alors un moyen d'exemplarité lorsque le référentiel accepte de perdre ce qu'il a de plus cher au profit d'une idée qui lui est supérieure. La mort est donc ce juge arbitre qui permet de distinguer de l'authenticité d'un amour, ce dernier doit être aussi fort que la mort pour être authentique.

 L'idée donc de la mort nous fait saisir la présence de l'âme, laquelle s'émeut de se voir réaliser par l'esprit à travers la conscience. Cette résonance concentre et renouvelle la vitalité spirituelle et l'être est alors aspiré dans le divin avec un souffle quasi surnaturel. Cette béatitude révèle un ordre supérieur aux caractéristiques incomparables, les notions de tendresse, de consolation, de don et de beauté surpassent tout ce que nous connaissons ici bas. C'est enfin pour cet ensemble harmonieux que l'être chemine désormais vers une félicité himalayenne où s'accomplit à l'extrême l'amitié et l'amour.

 Si un instant nous nous tournons vers les murs lézardés de quelques églises aux fresques antiques, que nous songeons à la statuaire grec et aux nymphéas de Monet tout en admirant en esprit la déposition de Pontormo dont Pasolini reforma en chair et en os devant sa caméra, sans oublier non plus, pour que l'oreille s'émeuve honorablement le Dido et Énée de Purcell où non loin de là attendent sagement les rêveries et les arabesques de Debussy que quelque vers de Baudelaire seront admirablement accompagner, nous aurons à travers ces quelques échantillons imparfaits une idée vague mais en devenir de ce qui nous attend là-haut. Et bien forcé de constater, qu'a l'opposé de ces œuvres admirables, l'effrayante machinerie technologique que les hommes ont su éleverasservissent au mieux l'humanité, et qui comme cette coque lugubre de Charon qui traverse l’Achéron pour y faire mourir les âmes, fait d'avantage prospérer la chair que l'esprit.

 Non seulement les mots de Dostoïevski sur la négation de Dieu ont pris vie depuis à travers le nihilisme nietzschéen et sartrien mais l'anéantissement de la foi rendit toute chose permise. L'industrialisation de la vie et l'organisation de la mort précoce fit entrer l'humanité dans une fin des temps commencée à Verdun et poursuivi à Auschwitz.

Pour François Cheng l'idée de Dieu est donc nécessaire et cette idée nous grandit dans un univers où les proportions nous ridiculisent. Cette pensée il l'a joint au grand Zhuang-zi dont la plume évoqua celui qui d'En-haut a fait toutes choses. Envisager ainsi Dieu, de l'autre côté du monde terrestre fait également déboucher tout l'orient dans une circularité divine dont le Tao va matérialiser avec la dynamique de l'Un dont Plotin reprendra l'expression. Ce principe actif et circulaire fait rejoindre l'alpha et l'oméga, le début et la fin, la vie et la mort. Aussi, pour François Cheng le Christ est ce matériau qui constitue ce cercle pour le rendre visible à tous. Cette ingéniosité divine rendu seulement possible par la mort et la résurrection, demeure ouverte en son centre pour tous ceux et toutes celles désirant obtenir la vie éternelle.

 Car s'il faut bien admettre que les hommes, à tord, évite de parler et de penser la mort, il n'y a hélas plus de ces Bossuet en chaire dont les prédications moralistes permettaient au moins de ne pas mourir en état d'ignorance absolu comme c'est le cas aujourd'hui. Si Bossuet prêchait devant le roi et ses sujets, il prêchait avant tout devant des chrétiens convaincus, de nos jours les moralistes sont des hommes politiques, des artistes et même des journalistes déchristianisés dont l'auditoire est tout aussi déchristianisé et qui, dans une grande proportion, est malheureusement incapable de reconnaître, s'il se trouvait en face, le célèbre Jean le Baptiste du maître italien qui dessina l'homme de Vitruve. L'homme moderne est donc privé de ces apôtres de la bonne mort dont les mots assistaient les plus pauvres spirituellement et qui, à force de sentences et de bon sens, leur obtenait fort probablement le salut éternel. Ainsi il faudrait peut-être appelé ami celui qui plutôt vous enseigne les voies du Ciel et ennemi celui qui vous en écarte. Car même si celui que vous jugez être votre ennemi est, par son comportement, ses mots et ses jugements, capable de vous enseignez la droiture, il mérite alors d'être appelé ami. De cela, Jean de la Fontaine en fit une fable où un vieil amateur de jardin qui avait pour ami un ours, mourut bêtement parce que ce dernier, désirant ôter une mouche qui s'était posé durant son sommeil, sur le nez du vieillard, ne trouva pas d'autre moyen plus efficace qu'une pierre pour l'y chasser. La mouche fut écrasée comme la tête du vieillard. Il en est à peu près de tous ceux qui prétendent être vos amis, la fable n'exagère pas la maladresse et la bêtise de l'ours et qui chez les hommes en font plutôt des bêtes que des être doués de sagesse et de réflexion.

 Or, comme un ami est souvent et avant tout un libéral, on ne peut obtenir de lui, tout au plus, quelques marques d'affection dont il a le secret pour obtenir de vous quelques avantages ou quelques sucreries selon qu'il soit un homme ou selon qu'il soit un chien. Il en est des amis, ceux-là plutôt rare qui osent perturber votre tranquillité pour vous parler de choses très sérieuses et notamment de la mort. Ceux-là peuvent vite devenir encombrant et sont souvent qualifiés de fous ou d'extravagants, on les dénigre ou on les écarte doucement de peur qu'ils nous entraînent dans leur folie. Charles Dickens, dans son tribunal de la mort, déploya toute la providence divine pour que son odieux personnage puisse retrouver le chemin du salut. Ebenezer Scrooge fut alors confronté à la mort elle même et il réalisa ainsi toute l'ampleur de sa médiocrité. Ce conte a bien le mérite de nous prévenir et de nous projeter, par identification, dans la situation d'Ebenezer Scrooge et non pas dans celle de son pauvre employé, Bob Cratchit. Car il ne faudrait pas penser, pour le bien de notre âme, croire que nous sommes plus vertueux qu'Ebenezer Scrooge. Le conte nous confronte ainsi à notre responsabilité vis a vis des autres et nous culpabilise de ne pas s'y conformer. De même Bossuet, avec une sentence bien inspiré, nous prévient de cet état tendancieux qui nous fait croire que nous sommes bons sous prétexte que notre situation présente est satisfaisante,


"La maladie est un mal; mais qu'elle sera un grand bien si vous la sanctifiez par la patience! La santé est un bien; mais qu'elle deviendra un mal dangereux en favorisant la débauche!"

 Ces mots s'appliquent bien à tous ceux qui comme le personnage de Dickens ne mettent pas à profit le temps qu'il leur est imparti. C'est pourquoi les sentiments qu'inspire la mort devraient être pris au sérieux de sorte que nous soyons tranquillement dans l'attente de celle-ci et non pas surpris brutalement comme le ferait le cacardement bruyant des oies lorsqu'elles perçoivent un danger imminent. 

 Pour cela, Bossuet nous prévient qu'il est nécessaire d'avoir une volonté bien réglée. On a beau désirer ce qui est le mieux la volonté seule nous permet de l'atteindre, vouloir le bien ne suffit pas, l'engagement personnel dans cette voie impose une dépense d'énergie considérable et seule la volonté le permet
. Si à cela nous ajoutons les paroles d'Ovide à propos de la volonté, "Vouloir est peu de chose; il faut désirer pour atteindre son but." (1) C'est donc une marque de lâcheté quand le mal est mis en œuvre et que l'on n'y oppose aucun bien pour l'y contrer. Si le mal a eu la volonté d'agir il ne peut en être autrement pour le bien dont le devoir est de toujours agir suivant une volonté bien réglée et un désir ardent de triompher.

 Pour Thomas More il ne suffit donc pas d'avoir une fibre religieuse solide, il faut constamment vivre avec l'idée des fins dernières afin d'éviter que l'âme au jour de son jugement ne se voit confronté à répondre plus qu'il n'en faudrait. Il est donc nécessaire que les hommes puisent dans le chef d'œuvre de Dante les exemples à ne pas suivre et qui pour n'a pas s'être souciés de leur âme, cuisent en enfer comme du bois sec. Les avertissement de la Vierge à Fatima sont assez clairs même pour le profane dont les fins dernières ne sont que la fin de toutes choses. La sagesse lui commanderait de s'y préparer tout de même, la prudence a bien sauvé des hommes de dangers invisibles et d'autres parce qu'ils ont soumis à leur réflexion les probabilités infinitésimales.

 Thomas More nous avertis donc de nous soucier d'avantage de la félicité que des plaisirs inférieurs car dit-il ils nous font rien désirer de meilleur et nous font nous comporter comme la truie dans la fange qui jamais ne désire la quitter pour de verts pâturages. Il est donc nécessaire de ne pas trop se sentir en bonne santé morale pour que nous puissions percevoir de nous même toutes les constantes négatives qui nous polluent. Lorsque les sensations corporelles et les perceptions sensuelles dominent outrageusement la raison et la foi, l'être est alors sous la domination du péché, il fait alors surgir de lui ce que l'homme a de plus commun avec la bête. Le lycanthrope est ce référentiel  zoomorphique. Cette part animale qui surgit au regard de la pleine lune est un archétype de l'emprise de la chair et des instincts sur l'esprit et la raison.

Aussi la raison doit elle veiller à ne pas cultiver un attachement excessif à la vie à travers les bienfaits du monde. Le diable use des moyens les plus subtils pour nous écarter du désir de Dieu tout en suscitant l'horreur d'aller l'y rejoindre au jour de  la mort. L'amour du monde est si corrupteur qu'il empêche bien le cœur d'avoir le souci et l'attente du Ciel. 

 Quand donc arrive la mort, plus aucune pensée profane ne demeure assez solide pour contenir toute la solitude qui alors envahit l'être. C'est l'heure de vérité pour lui et pour lui seul. C'est le détachement ultime où l'âme est enfin disponible à l'éternité. Son sort est fondamentalement lié à ses choix terrestres ou à la grâce spéciale de Dieu. Si le profane exclut cette dimension il se met donc en risque de tout perdre, mais c'est là sa responsabilité, au jour de son jugement il ne pourra s'en prendre qu'à lui même. Les avertissements d'hommes sages et respectables comme Thomas More et Bossuet l'auront pourtant averti!

 C'est donc très important de penser sa mort, même pour les enfants dont le questionnement à ce propos les éveille à leur propre existence. La psychanalyste Françoise Dolto nous dit que les enfants ne comprennent réellement la chose qu'à travers la vie qui finit. Cette finalité de l'existence provoque chez eux une compréhension toute naturelle de la mort. La mort est pour eux non pas la fin de tout comme le pense les athées, mais le début de quelque chose d'autre. Ils ont ce sentiment d'immortalité qui ne s'est pas encore effacée par la raison altérée de l'adulte révolté contre Dieu. Il ne leur est pas possible de conscientiser l'idée de la mort telle que les athées l'entendent. Ils ne craignent donc pas la mort, ils jouent même, concernant les garçons, avec elle car ils ont l'intime conviction que l'on ressuscite ou que l'on ne meurt pas vraiment puisque lorsqu'ils jouent ils font exprès de mourir indéfiniment tant que le jeu dure. Ce processus est inconscient et il traduit véritablement que l'idée de la vie éternelle est innée.

 D'un point de vue clinique la mort concerne l’arrêt total des fonctions biologiques du corps. Pour cela le médecin légiste est celui qui va être adoubé par la justice pour définir les circonstances de la mort d'un individu. Il est le spécialiste de la mort et le thanatopracteur est l'autre spécialiste de la mort dont la fonction est de préparer le corps du défunt à être le plus présentable possible pour ses proches. Si la médecine légale autopsie les corps afin de définir les causes de la mort, le thanatopracteur cosmétise les corps afin d'atténuer au mieux les traces de la mort. Ces deux corps de métier nous enseignent que la mort est véritablement prise au sérieux par le corpus étatique. Les vivants doivent se rendre compte que l'institution d'état ne prend pas la chose à la légère, une éthique veille sérieusement au respect des corps, ce qui est indispensable pour un véritable travail du deuil.

 Aussi, nous dit Freud à ce propos, que l'autodépréciation qu'engendre la perte de l'objet aimé, une personne ou une chose, est une défaite psychologique. L'ombre de l'objet qui tombe sur l'endeuillé l'obscurcit comme la lampe qui n'est plus alimenté par le courant électrique. Cette perte de puissance se traduit par une perte narcissique dont le désir de petitesse pousse à la mort l'endeuillé. Pour comprendre cela il faut comprendre ce transfert de puissance d'illumination que procure l'objet aimé vivant dans la personne qui le possède. L'homme dont le compte en banque est très bien rempli tire sa puissance de cette richesse. Il brille alors en société et parait aux yeux du monde plus méritant que celui qui n'a pas grand chose. Cette satisfaction narcissique l’empêche bien de vouloir mourir mais si demain cette richesse venait à disparaître, il perdrait alors en puissance d'illumination. La satisfaction narcissique s'effondre et n'est plus en mesure de lui donner le désir nécessaire de vivre, il s'éteint alors comme la lampe dépourvu d'alimentation électrique. Il se sent inutile puisque incapable d'éclairer les autres. Il en est de même pour la belle voiture de sport, une belle toilette, des bijoux précieux, un très bonne situation professionnelle, une très belle femme, une villa sur la côte d'azur ou un cottage en Normandie et toutes autres choses prestigieuses font de celui qui les possède un être supérieur à la moyenne. Ces exemples alimentent en puissance d'illumination son possesseur, dans ces circonstances leur perte définitive provoque un délire de petitesse et d'effondrement moral qui pousse l'endeuillé dans une situation psychologique, en proportion de l'attachement à cet objet aimé perdu, proche du néant.

 C'est pourquoi la difficulté de mourir est plus grande pour celui qui possède beaucoup que pour celui qui possède peu. En proportion de cette possession existe cette proportion d'attachement au monde qui indéniablement fait rejeter la mort car celle-ci lui ôte toute cette puissance d'illumination que lui offre ses possessions. La mort le laisse aussi nu que le plus pauvre, et cela il ne peut l'accepter, il s'est toujours battu pour ne pas être pauvre. Le pauvre a appris à se détacher des puissances d'illumination qu'offraient les biens de ce monde à l'image du personnage de Melville, Joyeux Musc qui n'avait de bien qu'un coq de Shanghai dont le présence et le cri offraient à son cœur toute la gloire de Dieu. Quand le Christ dit que les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers, il parle de cette nécessité de se détacher des biens du monde car ceux-ci n'offrent à l'homme qu'une vaine et illusoire puissance dont le piège est aussi mortel qu'une goutte de miel pour une mouche. La réponse du jeune homme riche au Christ témoigne parfaitement de la condition d'esclave dans laquelle il se trouve. Les mots du Christ révèlent alors ce mécanisme narcissique qui entraîne petit à petit l'âme aux enfers, 

"Jésus lui dit: Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, et suis-moi. Après avoir entendu ces paroles, le jeune homme s'en alla tout triste; car il avait de grands biens. Jésus dit à ses disciples: Je vous le dis en vérité, un riche entrera difficilement dans le royaume des cieux. Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu. "(Matthieu 19.20)

Antoine Carlier Montanari



(1) Pétrarque, l'Ascension du mont Ventoux, Ed.Sillage, p20

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