Un Livre Que J'ai Lu (70) : De La Droite Manière De Vivre (Spinoza)
Ce petit livre composé tout de même d'une centaine de page, et outre la notice, l'avant-propos de la première édition et un avertissement de Spinoza lui-même, est divisé en 32 chapitres numérotés en chiffres romains.
Au chapitre 4 (IV), Spinoza évoque la connaissance intuitive de Dieu, laquelle engendre la quiétude de l'âme. D'où la nécessité de perfectionner le raisonnement afin de conscientiser la présence de Dieu dans les mystères de la nature élucidés puis éclairés par des investigations sérieuses. L'esprit d'analyse réjouit alors l'entendement et fait de l'intelligence un facteur de perfectionnement moral qui rejette les superstitions mauvaises engendrées pour justement empêcher l'homme de jouir de la vie raisonnable (chapitre 5, V). Aussi, l'incertitude, pour exemple, de la vie éternelle, ne nous empêche t-'elle pas de jouir à l'avance d'un bien parfait qui rend l'âme beaucoup plus résistante au mal présent? Cette gratification différée qui permet de maîtriser les instincts, s'accorde, à l'aide de la connaissance intuitive, dans un premier temps, de jouir présentement d'un bien ultérieur. C'est ce que l'on appelle la préférence temporelle. Lorsqu'en effet, la certitude de la vie éternelle est acquise, l'âme jouit par la raison de la raison d'être en tant qu'âme.
Aussi, au chapitre 8 (VIII), Spinoza s'attarde quelque peu sur l'état de nature qui s'il n'est pas accolé à la conscience de Dieu, ce même état de nature ne peut concevoir le péché, puisque celui-ci est directement lié à la notion de bien et de mal définit par Dieu qui est bien pur. D'une autre manière, le droit qui est lié à l'état, ne conçoit pas le péché mais conçoit la désobéissance, laquelle est punie par le seul droit de l'état (p27). En d'autres termes, vous pouvez avoir tord devant le droit et raison devant Dieu et vice et versa en fonction des événements.
En parlant de l'état et de tout ce qui contribue à former une société, Spinoza rappelle une loi fondamentale dont la teneur est bien plus philosophique que religieuse:
"Tant que les hommes vivent d'après la conduite de la raison, ils s'accordent toujours nécessairement par nature."
Il faudra toutefois ajouter l'adverbe "si" à cette proposition car l'homme n'use de la raison que quand il délaisse son "moi" qui est sa nature profonde. A cette condition l'homme est moins en proie aux diverses affections sentimentales et autres sentiments d'envie. La démonstration est scientifique, Spinoza révèle en quelque sorte, à la page 33, on pourra relever d'ailleurs la main heureuse de l'éditeur dans cette histoire-là, que le Christ est cet événement tangible qui fait de l'amour non plus un état mais une orientation commandé par la raison et dont l'affirmation sans condition devient le mimétisme inversatoire aux passions défectueuses que constituent la haine, la colère et le mépris par exemple. Si au XXème siècles Simone Weil et René Girard vont successivement relayer ce mécanisme, Spinoza, dans ce chapitre, le chapitre 11 (XI), révèle que le Christ a corrigé non pas l'extérieur, mais le cœur même, soit l'intérieur.
A partir de ce constat, Spinoza affine sa pensée sur le rôle émancipateur des préceptes christiques. En effet l'acte de miséricorde accordé par le chrétien au méchant doit être pratiqué que dans un cadre privé de justice. A noter que dans un cadre soutenu par le droit et la justice la personne pieuse se doit d'user de cette dernière pour confondre le méchant, afin, nous dit Spinoza qu'il ne soit pas avantageux aux méchants d'être méchants (p36). A l'inverse, si la justice ne peut s'appliquer, et afin de défendre la vérité, le croyant en pardonnant au méchant ouvre la voie à l'amour de Dieu. Le méchant, par cette réponse peut-être touché par cette forme de justice dont le Christ en est le modèle parfait, ce qui advint de Rome témoigne de cette mécanique.
Si la vertu, nous dit Spinoza à la page 39, doit être désirée pour elle même, c'est qu'elle nous fait considérer notre vie et donc le devenir de notre âme plus que tout. La vertu est donc le moyen offert par Dieu pour préserver l'âme. Aussi les hommes doués de raison désirent pour les autres ce qu'ils désirent pour le bien de leur âme, par conséquent ils sont des hommes justes, honnêtes, pieux et de bonnes volontés. Inversement, l'impiété est un principe de l'homme utilitariste et matérialiste qui ne voit pas l'intérêt de l'âme et donc de la vertu qui conduit cette âme à la félicité. C'est pourquoi l'homme de bonne volonté fera naître la concordance et l'amitié et s'appliquera à suivre plutôt sa raison que ses caprices d'adolescent orgueilleux. Ainsi l'homme libre, use de l'amitié comme le lien raisonnable et bienfaiteur pour se lier aux autres (p55). Contrairement, l'orgueilleux se contente des flatteries, il est lié à toutes les passions tout en aimant la joie mauvaise. Il a en horreur les hommes encensés pour leurs vertus ou leurs talents (p62).
Toutefois, il serait imprudent de chercher l'amitié au profit de la vérité, c'est pourquoi nous dit Spinoza, à la page 56, il faut décliner, autant qu'on le peut, les bienfaits des hommes non guidés par la raison pour ne pas avoir à faire plus longtemps avec leur manigances. On se rappellera alors les paroles du Christ à ce propos, Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée (Matthieu 10-34). Le Christ signale ici que nous ne pouvons empêcher la volonté de certains hommes, particulièrement haineux, d'agir avec méchanceté sur ceux qui cherchent la vérité. Cela il faut les fuir autant que possible puisque la nature humaine est faite de telle sorte que d'ordinaire, les relations des hommes entre eux, sont un commerce ou un piège (p57).
Il faut ainsi cultiver, nous dit Spinoza, au chapitre 32 (XXXII), la meilleur partie de nous même qui, en opposition à la partie médiocre de nous-même qui ne voulant point mourir étouffe la première, doit trouver le repos que dans la vérité. Cette notion platonicienne et weillienne ne peut-être révélé que par l'entendement et l'intuition que nous avons de la vérité et de nous même.
Aussi pour conclure, le chapitre 31 (XXXI), pour ma part, offre la solution la plus prometteuse à l'espèce humaine pour se comporter suivant la vertu. Si l'âme, nous dit Spinoza est apte à comprendre un grand nombre de choses, il lui faut alors une grande variété de convenances culturelles qui pourront la faire jouir sans causer de dommages pour autrui. La civilisation est donc cet ensemble d'activités de tête et de corps qui permettent à l'être tout entier d'entrer dans la vérité pourvu que ces mêmes activités servent la vertu. Le théâtre, la gymnastique, les parfums, le vin, la cuisine, l'art des jardins, l'architecture, la musique, la danse, la peinture, la lecture, la sculpture, l'artisanat et bien d'autres sont des moyens recommandés afin de tourner l'âme vers des notions plus élevées. Conséquemment et proportionnellement à la qualité de cet ensemble harmonieux d'activités humaines, l'être se réjouit de participer à cette force créatrice inscrite par Dieu en chacun de nous. Aussi toutes ces parties qui forment le corps, que l'on nomme la vue, l’ouïe, l'odorat, le toucher et le goût et qui permettent à l'esprit de conscientiser le monde dans lequel il vit, nous permettent, lorsqu'ils sont motivés par de nobles et augustes rapports d'élever l'être au dessus des simples contingences du quotidien, lesquelles, le plus souvent affaissent l'existence au point, comme nous le dit l'écrivain russe Anton Tchekkov (1), qu'à la fin des fins il ne reste plus qu'une vie étriquée et rampante.
Pour échapper à cet enfermement, à cette pensée ordinaire née de la paresse, il faut exiger une connaissance élaborée nous dit le sociologue français François Dupuy (2), qui dans son essai sur la faillite de la pensée managériale, qui bénéficiera prochainement d'une fiche de lecture, accuse les managers d'avoir une culture générale bien trop défaillante au regard de la complexité des organisations et de celle des comportements humains. Aussi cette qualité de culture exigée ne peut-être obtenu que par un désir d'imiter les hommes et les femmes les plus vertueux. Le mimétisme bien orienté nous impose donc de choisir, suivant la raison, Platon plutôt que l'auteur d'Harry Potter, Wagner plutôt qu'un chanteur de variété, Michel-Ange plutôt que Bastiat, le château de Versailles plutôt qu'un parc d'attraction, le Louvre plutôt qu'un grand magasin, une émission littéraire plutôt qu'une émission de télé-réalité, un verre de bourgogne plutôt qu'une canette de soda et des mocassins plutôt que des tennis. Si au quotidien l'on s'applique à juger de la valeur des choses que l'on côtoie et que par la suite on ne sélectionne que les plus vertueuses d'entre elles, indéniablement elles nous élèveront en proportion de la charge bénéfique qu'elles contiennent. C'est constituer une idée précise de l'idéal tout en discernant ce qui s'en éloigne. Ainsi, si nous nous attardons sur des valeurs de moindre importance, dites dérisoires, ces mêmes valeurs nous affaisseront lamentablement sans pour autant que l'on en prenne conscience. Seule la raison, nous dit Spinoza, à travers l'entendement, peut nous faire distinguer la valeur d'une chose et sans cette effort de la part de l'être, celui-ci tombe dans une paresse intellectuelle et spirituelle qui l’entraîne inévitablement, à part bien entendu la grâce spéciale de Dieu, dans le chaudron infernal après sa mort.
Cette fournaise promise à l'âme si elle n’échappe pas à sa condition charnelle est formidablement développé dans l'ouvrage inachevé de Thomas More, Mise en garde avant l'enfer. Indéniablement Spinoza oeuvre à sa manière à cette édification de l'âme qui doit absolument trouver le salut par la vertu. Aussi les 32 (XXXII) chapitres feront office de complément aux mises en gardes de Thomas More.
Antoine Carlier Montanari
(1) Anton Tchekov, La dame au petit chien
(2) François Dupuy, Lost in management 2