Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

01 May

Le Dessous Des Toiles : The Passanger (Jaume Collet-Serra)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Le Dessous Des Toiles

 Il faut revenir à Moby Dick, c’est-à-dire à l’époque où pour la première fois un auteur prophétisa la chute des Etats-Unis d’Amérique. Fut-elle celle du Péquod après celle de l’Essex, la prophétie de Melville s’établit sur un postulat, celui d’un naufrage. Dès lors, il est possible de soutenir qu’un quelconque accident, à la condition qu’il porte en lui une singularité toute particulière, puisse devenir l’image à venir d’un effondrement à plus grande échelle. En ce sens, dans ce long métrage où Liam Neeson  participe malgré lui à un complot, Jaume Collet-Serra, le réalisateur, va se servir d’un train de banlieue comme catalyseur prophétique. Son déraillement spectaculaire est une manière d’annoncer cet effondrement à venir de l’Amérique. Ce train, lancé à pleine vitesse, la cabine de pilotage étant inaccessible et le conducteur mort, ne peut être stoppé,  son déraillement semble donc inévitable. Il suffit d’observer attentivement les conditions qui mènent au désastre pour s’apercevoir que le réalisateur a clairement représenté soit  la mort du président américain par le conducteur mort ou soit la paralysie du gouvernement par la cabine bloquée. Liam Neeson joue un héros ordinaire dépassé par une machination à grande échelle. Les mots du trader de Wall Street, en quittant son siège pour aller rejoindre le seul wagon climatisé, en dit long sur la situation, mesdames et messieurs, dit-il,  vous aurez noté que nous sommes entrés dans le septième cercle des enfers ! Ce n’est pas un quelconque voyageur qui le dit, le réalisateur choisi un homme de la finance, il adosse donc l’enfer à cette dernière tout en se souvenant de ce 29 septembre 2008 où le Dow Jones s’effondrera de 777,7 points. On peut en déduire que le trader, en citant le septième cercle, fait référence au 777,7 points perdus. La scène où Liam Neeson insulte le trader est d’ailleurs assez démonstrative de la mauvaise réputation de la finance. Le doigt d’honneur et le Va te faire foutre indiquent clairement la fracture qui s’est opérée entre le pouvoir financier et le peuple. La situation financière de Liam Neeson et de sa famille est d’ailleurs révélatrice de l’endettement du peuple américain et de l’Amérique elle-même. Le réalisateur tisse alors un portrait sans complaisance du trader, arrogant, orgueilleux, narcissique, asocial et antipathique. Le choix de la sonnerie de son portable représente véritablement toute l’arrogance de ce genre de personnage. En effet la Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner est précisément ce passage où ces vierges guerrières vont être confrontées à la trahison. Il faut peut-être préciser ici que ce passage a été utilisé par le parti nazi à des fins de propagande. On ne peut pas être plus clair quant à l’image de la finance dans cette affaire-là. Elle est responsable de nombreux maux, étrangère à la morale et au bien avec un grand « B », elle est surtout la complice des plus forts qui se servent d’elle pour mener le monde. Un indice peut nous permettre de corroborer tout ça. En effet, quand Liam Neeson refuse de tuer la personne à abattre, une affiche promotionnelle sur l’Opéra, se distingue avec insistance sur l’arrière-plan. Le réalisateur prend alors le soin de la placer dans son champ. On se rappellera du jeune Anakin et du sénateur Palpatine (1) qui complotaient tranquillement à l’opéra. C’est le lieu du spectacle et des coulisses où les classes les plus aisées viennent s’y rencontrer tout en admirant les plus grandes représentations archétypales du monde. Dans les loges, à l’ombre des regards, les personnes les plus en vue se côtoient tout en décidant du sort du monde. Leur préoccupation, à ce moment-là, est soustraite aux contingences quotidiennes, le lyrisme de l’opéra vient bien entendu glorifier leurs desseins et favoriser leurs intentions. La loge, mot emblématique de certaines sociétés secrètes, est ici suggérée et uniquement adressée au spectateur attentif. La scène où Liam Neeson répond au téléphone à la femme mystérieuse viendra en quelque sorte confirmer cette analyse. En effet, celle-ci, très agacée par le refus du héros de tuer la cible, dit ceci : Quinn a la preuve d’un complot,  tandis que l’affiche est toujours présente à l’écran. Si vous avez vu le film Shining de Stanley Kubrick (2), dans la scène où l’enfant voit dans la salle de jeux les sœurs jumelles fantômes, le mot MONARCH écrit en gros sur une affiche avec un skieur, collée sur le mur du fond. Ce mot fait référence à un programme de contrôle de l’esprit qu’a mis au point la CIA en 1975. Cette manière de procéder permet à tout réalisateur un peu pointilleux de disséminer subtilement quelques indices qui pourraient autrement affoler quelques consciences biens formatées. Ainsi donc, si cette combine a déjà fait ses preuves, il nous ait permis de penser que celle qui nous concerne, sur l’Opéra, est révélatrice d’un tout autre mécanisme, celui du complot. Il est d’ailleurs intéressant de noter ce qui est représenté sur cette affiche. Seule la salle avec les places vides est représentée, le réalisateur sous-entend que la scène où se déroule le spectacle est celle du train où se situe l'action. Le réalisateur relocalise la scène dans le réel. De son point de vue, de notre point de vue donc, il nous place en spectateur averti. C’est en quelque sorte se placer à la place du projectionniste. C’est donc voir les choses d’un autre point de vue.

 Ainsi ce train lancé à pleine vitesse, est la parfaite image de cette Amérique sûr d’elle-même et dominatrice. Si Herman Melville avait qualifié  les chemins de fer de monstre d’acier et d’assassin officiel (3) ils sont également l’image de cette industrie vorace et pleine d’elle-même, il n’en était pas autrement de ce baleinier sanguinaire dont il s’inspira pour écrire son chef d’œuvre (4). Foutu monde ! avait-il dit. A-t-il peut-être inspiré Céline dans son Voyage au bout de la nuit quand celui-ci nous dit, Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde ! Le seul titre d’ailleurs de cet autre chef d’œuvre illustrerait parfaitement ce train en train de dérailler au soir venant.

Antoine Carlier Montanari

 

1. Star Wars, épisode III : La Revanche des Siths, George Lucas, 2005

2. Shining, Stanley Kubrick, 1980

3. Herman Melville, Cocorico

4. Herman Melville, Moby Dick

Commenter cet article
S
Bonjour,<br /> <br /> Jaume Collet-Serra est l’un de mes réalisateurs préférés. Je dirai que « The Passenger » est un thriller très réussi, car ce n’est pas facile de créer une telle intrigue. La plupart des scènes du film se déroulent dans le train et il réussit à en faire un beau long-métrage sans trop de monotonie.
Répondre

Archives

À propos

" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin