Aphorisme (89) : La Chair Et Le Sang Du Christ
On ne mange en règle générale que la chair des herbivores, non celle des carnivores. En effet, s’il nous est naturel de nous nourrir de la chair de ces animaux pour vivre, il faut préciser que ces bêtes sont innocentes car jamais elles ne tuent pour se nourrir. Ainsi se nourrir de la chair d’un autre être vivant c’est également le tuer, c’est avoir du sang sur les mains, c’est être coupable. Quand le Christ, image de l’agneau, nous donne sa chair et son sang en guise de nourriture spirituelle, il s’appuie sur ce principe biologique qui nous anime pour vivre ici-bas. Il nous dit que chaque bouchée de son corps et chaque gorgée de son sang implique que nous le tuions à chaque fois. Ce crime, réinitialisé sur l’autel à chaque messe, rappelle la scène où Abraham, par obéissance à Dieu, sacrifie l’agneau qui a remplacé son fils. Tout naturellement les animaux innocents qui vont à l’abattoir, bien incapables de renvoyer le mal qui leur sont faits, obéissent à cette nécessité, mot selon lequel Simone Weil traduisait la pesanteur, laquelle constitue la loi mécanique universelle. Ainsi si ces bêtes enchaînent le mal sur elles pour que nous puissions vivre en nous nourrissant de leur chair, de même, le Christ prend le péché sur lui en s’enchaînant sur la croix pour que nous puissions vivre éternellement. Cet ordre naturel, depuis la chute, est en réalité révélé dans le principe Christique. En effet, Dieu est en chacune des bêtes innocentes sacrifiées, Il est cet holocauste universel qui ne se voit pas et qui ne s'entend pas, il fallait donc qu'il soit vu et entendu. Le Christ, est donc tout naturellement la révélation de la somme de cette souffrance, il est l'agneau, le lapin, le veau, et tous les autres bêtes innocentes. La messe qui est une redite de la Cène où le Christ présente à ses apôtres le pain et le vin comme sa chair et son sang est tout aussi comparable, du point de vue de la nécessité, que le boucher qui vous prépare et vous sert la chair de l’animal. Ainsi si nous devons nous nourrir de la chair de l’innocent pour vivre ici-bas, il serait donc naturel que pour vivre éternellement nous devions nous nourrir d’un aliment tout aussi innocent et tout aussi éternel, un aliment qui ne meurt pas, un aliment qui ressuscite. Toutefois si en mangeant la chair d’un autre nous sommes coupables du meurtre de cet autre, avec le Christ, cette culpabilité est effacée puisque nous acceptons d’être coupables, nous acceptons d’être des pécheurs et en cela le Christ accepte de nous guérir comme il a accepté de guérir la fille de la femme cananéenne qui a reconnu toute son indignité (Matthieu 15, 21-28)
Antoine Carlier Montanari