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" Notre foi doit être simple et claire, pieuse et intelligente. Il faut étudier, réfléchir pour se faire des convictions, des idées sûres, se donner la peine d'aller jusqu'au fond de soi-même, de ses croyances. » Marthe Robin

14 Jan

Un Livre Que J'ai Lu (36) : La Personne Et Le Sacré (Simone Weil)

Publié par Alighieridante.over-blog.com  - Catégories :  #Un Livre Que J'ai Lu, #Simone Weil

 

 Si l'homme s'attend invinciblement à ce qu'on lui fasse du bien et non du mal (p10), c'est qu'il possède en lui cette source du bien qui déteste le mal. Ce bien en lui est ce dépôt divin sacré qui enfante toujours le besoin du bien et non le désir du mal. Ainsi, désirant le bien, l'être ne perçoit pas forcément la différence entre le bien impersonnel et le bien personnel. Le bien sacré qui est impersonnel, que l'on peut écrire avec un grand "b", constitue la vérité tandis que le bien personnel est narcissique et non anonyme, cherche les louanges et la gloire, la reconnaissance suivant les normes, les critères et les valeurs accordées par le monde. C'est le bien idolâtre, le bien de la personne humaine et non celui de la vérité. C'est pourquoi l'on reconnait toujours le vrai bien dans l'anonymat et dans l'humilité, non dans les autres, dans le collectif qui n'est qu'une fausse imitation du sentiment du bien authentique (p26).

 Ainsi acquérir un nom et une réputation noie l'âme dans le collectif et empêche tout naturellement la croissance de la partie impersonnelle dans l'âme. Le bruit donc de cette bête collective étouffe le malheureux qui n'est pas audible. La souffrance inerte et invisible se tient ainsi éloigné du monde et n'est disponible qu'en faisant silence de soi-même, de sa personne. Michel Bounan parle aussi de cette souffrance muette (1), imperceptible aux oreilles du monde et qui parfois, s'invite à la surface dans un bain de sang. Aussi, pour compléter l'idée, dans son fameux sermon sur la mort, Bossuet a magistralement traduit la chose:

 Ainsi chacun ne compte que soi, et, tenant tout le reste dans l'indifférence, on tâche de vivre à son aise, dans une souveraine tranquillité des fléaux qui affligent le genre humain.

 Ainsi les consciences inhibées aux souffrances des autres, se refroidissent au point de devenir aussi dures que de la roche. Seul le magma de la prière permet d’échapper à la fausse charité dont le marché puise pour se ressourcer. En effet, la pleurniche médiatique joue à fond la carte de la solidarité universelle pour empêcher les âmes de s'immerger dans la prière. Le monde au sens mammonique sait que la prière éloigne les êtres de la corruption du monde, ainsi, la vertu du monde, quoique louable sous certains aspects, joue la concurrence émotionnelle afin de faire écran à la prière. C'est la vertu sociale sans la vérité, à vrai dire cet écosystème prospère en tant qu'entité de gestion participative dramaturgique. Bien entendu cette charité est une charité des corps et non des âmes, qui bien que théâtralisé à l'excès, s'accapare les flux énergétiques spirituels prévus pour Dieu. Ce détournement de fond se révèle, à vrai dire, un relais de pompage financier qui à la manière de l’aumône sanctifie en quelque sorte le Capital.

 Aussi, Simone Weil, à la page 28, bien qu'elle est lu à l'age de 16 ans le Capital de Marx, nous dit:

Une usine moderne n'est peut-être pas très loin de la limite de l'horreur. Chaque être humain y est continuellement harcelé, piqué par l'intervention des volontés étrangères , et en même temps l'âme est dans le froid, la détresse et l'abandon. Il faut à l'homme du silence chaleureux, on lui donne un tumulte glacé.

 Notez le dernier mot, "glacé", Simone Weil renvoie directement aux mots de Marx, les eaux glacées du calcul égoïste. Toutefois, nous dit Simone Weil, à la page suivante, le travail en lui même doit être extirper du monde du travail où le marchandage et la plus valu se font toujours au détriment du travailleur. Aussi, nous dit Simone Weil le droit prévaut car l'amour extrême, l'amour absurde d'Antigone qui est ce même amour qui a poussé le Christ sur la Croix (p36), n'exerce pas sa pleine mesure. Dans les faits, quand le Christ est absent de la vie social c'est le droit autoritaire dépouillé de la charité qui prescrit ses commandements. C'est pourquoi Créon, dans la tragédie grecque, incarne le droit en opposition à Antigone qui elle, incarne l'amour inconditionnel. La réponse de Créon à Antigone, à propos de son désir de porter sur le monde un regard sans haine, est véritablement un écho antérieur au fulminant Là-Bas de Huysmans. La malice avec laquelle Créon répond, "Va donc dans l'autre monde, et puisqu'il faut que tu aimes, aime ceux qui demeurent là-bas.", renvoie inévitablement à ce monde obscur que Huysmans a évoqué par opposition à la verticale christique qui mène non pas au "Là-bas", mais au "Là-haut". L'écrivain décadent est alors, à ce moment-là, à la veille de sa conversion au catholicisme.

 Evidemment depuis l'épisode évangélique du jeune homme riche il est vain de penser que les grosses fortunes auront l'idée un jour de partager. L'inévitable puissance d'attraction du prestige social est une sainteté profane qui éloigne de la sainteté spirituelle. Manifestement les paroles du Christ au jeune homme riche ont cette authentique clarté surnaturelle que la partie naturelle de l'être ne peut évidemment pas comprendre, elle en est incapable. C'est pourquoi les paroles du Christ sur les premiers et les derniers forment l'équation mathématique qui incrémente la justice à un échelon supérieur. Le Christ miroite la damnation éternelle pour ceux qui refusent de s'abaisser ici bas.

 Aussi Simone Weil évoque ce cerf présentant sa chair vivante aux dents d'une meute de chiens. L'offrande volontaire du cerf en question (p42), n'est possible que surnaturellement, en effet si le cerf est cette allégorie du Christ sur la Croix, dont Courbet en fit une proverbiale réminiscence, il est la représentation naturelle du bien surnaturel qui dès qu'il s'exprime se voit tout naturellement et habituellement magnifié dans l'agneau que l'on sacrifie. Il n'y a aucun refus de sa part, et cette obéissance aveugle est indispensable au bien avec un grand "b". Ainsi le Christ fut surnommé l'agneau divin en hommage à cette obéissance surnaturelle du naturel. Seul les saints et les hommes de bonne volonté peuvent faire intervenir ce bien surnaturel qui vient de Dieu, quant aux hommes qui servent d'ornements à la société comme les célébrités, les personnalités et les gens de talent, ne peuvent atteindre ce génie réel qui s'imprime dans le bien surnaturel (p47). C'est pourquoi la croissance du génie va toujours de pair avec l'humilité qui souhaite la mort de la partie médiocre de l'être. A vrai dire, au sens weillien des choses, la personne talentueuse, suivant le monde, fait toujours écran au génie.

 C'est pourquoi les gens du monde, nous dit Simone Weil, sont des captifs qui ignorent leur propre captivité (p50). Ce en quoi, l'intelligence du monde est dans l'erreur mais étant fier d'elle même elle est comme ce condamné qui serait fier d'avoir une grande cellule (p51). Cette intelligence du monde est l'opinion, le parti pris, elle est un mécanisme d'enfermement dans le collectif et non dans la Vérité. C'est pourquoi être disponible à la Vérité c'est être hors du monde et de son collectif. Cette solitude engendre une souffrance qui tout naturellement suscite une soif de bien pur. Et comme le monde ne peut le lui offrir, en connaissant le Christ l'âme accepte alors la souffrance comme un acte de purification afin d'effacer les traces du monde qui l'ont corrompues. Cette vertu d'illumination et de traction vers le haut (p68) mène alors l'âme vers le bien pur et avec un grand "b". Dès lors, elle saura que des mots comme droit et démocratie ne constituent que des mots sacralisés par le monde afin d'éloigner les hommes de la vérité. Les mots de cette région moyenne ne correspondent qu'à une idée imprécise du bien dont les hommes aiment à se servir pour masquer le plus souvent leurs intentions mauvaises. Et pourtant Proudhon avait déjà mesuré la chose en disant , "Qui dit humanité, veut tromper."

Antoine Carlier Montanari

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