Un Livre Que J'ai Lu (34) : La Dame Au Petit Chien suivi de Au Royaume Des Femmes (Anton Tchékhov)
Une blonde de taille moyenne, c'est la description rapide d'Anna Serguéïvna par Anton Tchekhov. Cette dame touchante, qui respirait la pureté d'une femme honnête, naïve, qui avait peu vécu, avait un petit chien. Ce portrait de la femme russe, outre les donzelles, les concubines, les maîtresses, les compagnes et autres commères parfaitement décrites par Tchekhov en très peu de mots et qui prononcés feraient sortir de leur gong bien des femmes, forme déjà l'ébauche d'une grande peinture. Ainsi, l’héroïne de Tchekhov, Anna Serguéïevna, est de ces femmes qui sont en froid avec le diable, elle répugne, dit-elle, le péché (p16). Aussi, à travers elle, l'auteur se soucie des fins dernières et du salut éternel, en rappelant que la vie honnête et pur est préférable à une vie de débauche. Ainsi, ajoute-t-il, Des affaires inutiles et des conversations toujours sur les mêmes sujets dévorent la meilleur part du temps, les meilleurs forces, et, à la fin des fins, il ne reste plus qu'une vie étriquée, rampante, on ne sait quelle calembredaine qu'on ne peut ni quitter ni fuir, comme si l'on était enfermé dans une maison de fou ou une prison! Il va sans dire que cette sentence réaffirme la primauté du Ciel sur les affaires terrestres et Tchekhov n'est pas avare de ce genre de maxime dont les fulgurances lui permette de sanctifier son texte. Ainsi, à la page 17, il nous rappelle que tout ce que nous faisons ne peut-être sublime que si nous n'omettions pas en parallèle les buts suprêmes de l'être et notre propre dignité d'homme. A cela, sans raconter l'histoire, se vérifie ce que dit Georg Simmel (1) à propos de la passion absolue. En effet elle ne peut se produire que dans les milieux les plus aisées ou dans un mode d'existence plus élevé puisque le couple a les moyens de réaliser ses rêves et ses désirs. Ici, l'amour entre Gourov et Anna est de ce type.
Dans la nouvelle qui suit, Anna Akimovna complète l'idéal féminin selon Tchekhov. Au diable donc les femmes qui n'offrent pas les mêmes inclinations. Pour Tchekhov, la femme doit avoir une haute qualité morale dont le modèle parfait est la Vierge Marie. Ainsi, Anna Akimovna, notre deuxième Anna, est, au sens marxiste, une exploiteuse d'ouvriers. Outre sa cuirasse de fer, elle est une jeune femme de vingt-cinq ans, qui, dans une Russie très orthodoxe, fait le signe de la croix, prie la Reine des cieux et secoure les miséreux au lieu de chercher mari.
On verra, dans la prochaine fiche de lecture, Les groseilliers, comment Tchekhov, à travers quatre autres nouvelles, catéchise sa narration tout en illuminant la femme. Outre les nombreuses sentences philosophiques et ses lucides réflexions, il est, tout comme Adalbert Stifter, un chrétien enraciné dont le souffle écrit consigne parfaitement le profane avec le sacré. Dans une troisième fiche de lecture, Le Violon de Rothschild, Tchekhov creusera du côté de la mort tout en rappelant une nouvelle fois que les fins dernières doivent être prises au sérieux, ce qui nous conduira, tout naturellement et ultérieurement au précellent ouvrage inachevé de Thomas More sur le sujet.
Antoine Carlier Montanari
(1) Georg Simmel, Psychologie des femmes