Un Livre Que J'ai Lu (35) : " I Have A Dream " (Martin Luther King) suivi de " La Nation Et La Race " (Ernest Renan)
Le 14 avril 1865, Abraham Lincoln est assassiné dans un théâtre, le 22 novembre 1963, le président Kennedy est assassiné dans la voiture présidentielle, le 4 avril 1968, Martin Luther King est assassiné sur un balcon d'un motel. L'Amérique est une terre d'assassinat politique où domine tous les extrêmes. Pour citer Tocqueville, c'est réellement le peuple qui dirige (1) et c'est donc la majorité qui gouverne au nom du peuple. C'est donc la loi des partis avec tous les intérêts contradictoires. La guerre de sécession n'est que la révélation de deux hémisphères dans un même hémisphère. Le discours libérateur et pacificateur du pasteur noir, en 1963, alors inspiré du discours sur la montagne du Christ rappellera toutefois aux américains qu'ils sont tous les enfants de Dieu (p13).
La patience fut la première vertu du peuple noir, précisément parce que Dieu lui ayant octroyée cette part lors de son évangélisation, comptait sur lui pour devenir un modèle d'émancipation moral. L'esprit noir, le négro spiritual, est ainsi devenu une essence supérieure qui a considérablement élevé le regard de l'humanité sur l'esclavage et sur elle même. Martin Luther King est le fruit de cette essence, le pasteur noir va réveiller l'Amérique en lui rappelant son baptême chrétien (p25). Ce saint Etienne noir est devenu le leader manifeste de la non violence et de la réconciliation tout en réincrémentant le verbe aimer dans la société américaine. Il est devenu un moteur de la liberté active dans une Amérique ultra libérale dont l’héroïsme à été réduit à des personnages de bandes dessinées. De toute évidence, le modèle antique juif est la référence, Moïse exhorta pharaon à libérer son peuple et Martin Luther King éleva la voix à Washington, devant le Lincoln Memorial. Le souvenir du grand homme qui signa l'acte d'émancipation de trois millions d'esclaves, est évoqué pour rappeler à la jeune démocratie ses promesses. De ce point de vue, la mort de Lincoln annonce celle de Luther King, les deux hommes sont des modèles biblique de l'émancipation. Leur mort prématurée tout comme celle de Kennedy a modelé la pensée politique américaine, qui ne manque pas désormais d'évoluer dans le sens inverse en feignant de porter les mêmes vertus. Il n'est plus aujourd'hui de législateurs militant de la liberté au sens chrétien. Barack Obama n'est qu'un avatar charismatique du premier grand leader noir. La délicatesse toute chrétienne de Luther King en a fait un authentique prophète du XXème siècle. Il a su parler sans la naïveté des grandes effluves du politiquement correct tout en incitant noirs et blancs à s'aimer comme le Christ l'avait demandé. L’Amérique est sa terre promise, ce patriote est l'achèvement politique de l'universalité chrétienne américaine.
L'admirable discours de Luther King révèle donc une puissance d'élévation non pas vers des idéaux laïcs mais bel et bien vers un idéal chrétien dont les sentences agissent comme des proverbes bibliques et qui rappellent qu'au temps où elles furent dites, l'Amérique portait encore en honneur la parole de Dieu. Avec sa mort il semble que cette terre découverte par le grand étendard chrétien espagnol d'origine italienne, ait perdu toute sa dignité.
Il est par ailleurs intéressant de souligner toute la contradiction qui existe entre Martin Luther King et Malcolm X, l'autre leader noir de cette époque et qui fut assassiné le 21 février 1965. En effet ce dernier converti à l'Islam lors de son séjours en prison, et qui fut surnommé "Satan" du fait de sa haine pour la religion catholique, aura vite fait de faire comprendre ce qu'est l'Islam dans une terre profondément chrétienne. On sait qu'il joua un rôle important dans la conversion du boxeur Cassius Clay qui prendra par la suite le nom de Mohamed Ali et qui aura été une écorce de contradiction à sa nouvelle religion. Malcolm X aura alors fondé une éthique racialiste à travers l'expression "Black Muslims", tout en étant un zélateur maniaque de la marque "Nation of Islam". Sans m'attarder sur la chose, Martin Luther King et Malcolm X forment respectivement l'archétype du leader noir chrétien et l'archétype du leader noir musulman.
L'éditeur a fait le choix de coller au discours de Luther King la conférence de l'historien et philosophe français Ernest Renan intitulée La nation et la race. Ce dernier remet en perspective le droit du sang et le droit du sol. Il ne se laisse pas guider par les privilèges accordées à la race et à la langue, la Suisse et la jeune Amérique formeront à ses yeux les exemples de son argumentation (p38). D'une part parce que ces états sont l'addition de plusieurs langues (p48) et d'autre part parce qu'ils n'ont aucune base dynastique. Le droit du sang n'est donc pas primordial pour Ernest Renan, son discours s'articule donc autour de la volonté de communion des individus à une même nation à la manière du catholicisme. C'est une question de volonté dit-il, la volonté d'être unie, de ce point de vue les mots de Renan rejoignent le rêve pacificateur de Martin Luther King. En effet, les races, les langues ne sont pas aussi déterminantes que la volonté d'un homme de servir et d'aimer son pays. Pour Renan le christianisme cimente une alliance intime encore plus efficacement que toute nation. C'est ainsi, dit-il, que la raison ethnographique doit-être écartée (p41), et il ne faut pas se conformer au sens spartiate et athénien qui fait de la notion de pureté dans la race un facteur primordial. Ernest Renan s'oppose donc à l'idée de l'unité par la race et par la langue tout en privilégiant l'unité par la volonté dont dit-il, elle peut se retrouver dans l'homme de la Renaissance qui avant d'avoir une culture italienne, allemande ou française avait une culture humaine (p51). En ce sens Renan se tourne tout naturellement vers l'antiquité et sa notion de citoyenneté, et qui, disait-il, avait le secret de l'éducation véritable de l'esprit humain (p51). Ce qui rejoint les propos de Malcolm X sur l'enseignement,
"Sans éducation on ne va nulle part dans ce monde."
Nous verrons dans de prochaines fiches de lecture comment l'esprit américain a évolué à travers notamment deux discours de Barack Obama, édités séparément dans deux ouvrages de la même collection (ici) et qui font écho directement à celui que nous venons de voir de Martin Luther King. Ainsi dans un discours du 8 janvier 2008, Barack Obama va capter l'énergie de l’Amérique cosmopolite afin de gagner l’élection présidentielle qui aura lieu en novembre de la même année. Dans son discours de fin de mandat, en janvier 2017, celui qui fut le premier président afro-américain, aura à cœur de proclamer à l'Amérique que sa principale vertu se trouve dans sa glorieuse diversité. Il ne faudra toutefois pas oublier, dans cette histoire-là que son succésseur fut le républicain Donald Trump. Cette victoire quasi inattendu prouve peut-être que Barack Obama ne fut pas aussi bon président que le laissait prétendre son prix nobel de la paix qu'il reçu en 2009.
Antoine Carlier Montanari