Un Livre Que J'ai Lu (21) : Cocorico (Herman Melville)
Le très croyant Herman Melville nous conte là une bien jolie petite histoire dont la morale est assez démonstrative de la notion de nécessité développée par Simone Weil. En effet la nécessité en question, pour être bien comprise, est celle de la plante qui nécessairement obéissante, s'élève sous l'action combinée du soleil et de l'eau de la pluie. Aussi, si l'homme s'en remet à la grâce divine, laquelle est l'image du soleil et de l'eau de la pluie, l'homme s'élève alors de la même manière que la plante. Ainsi, la nécessité dont parle Simone Weil traduit cette fameuse sentence de Pascal, " quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse, sera élevé."
Melville, bien à l'aise avec ce concept, orientera sa petite histoire dans ce sens-là. Mais tout commence d'abord avec cette critique acerbe de l’industrie, qui rappelle la lourde charge de Stendhal dans sa petite histoire contre les industriels (1). Foutu monde nous dit Melville, inspirant peut-être là le sulfureux Céline dans son Voyage au bout de la nuit quand il écrira, Ce monde n’est je vous l’assure qu’une immense entreprise à se foutre du monde ! La coque lugubre de Charon, le passeur d’âme en enfer, est cette imagerie de l’industrie qui facilite la mort et l’assassinat, nous dit Melville à la page 11. Le marxiste Michel Clouscard dira d’elle qu’elle fabrique la pollution comme le fessier fabrique les excréments. La boucle est bouclée, la vénus callipyge de Pierre Klossowski est l'allégorie de l'industrie séduisante engendrée par le Capital. Ce serrage de vis immortalisé par Charlie Chaplin dans ses temps modernes ne fait qu’enfoncer le clou, bien entendu cet assassin officiel (p12), selon les dires de Melville, s’est matérialisée dans cette locomotive fumante qui en un instant a ôté la vie à son ami et à treize autres braves garçons (p12). Quel foutu monde, pour Melville toute cette ferraille lancée à vive allure n’est qu’un démon de plus.
De là, le narrateur qui a quelques soucis avec un créancier, a entendu claironner un coq dont le chant sonne comme une bénédiction. Ce coq est un coq de Shanghai dont le cocorico est tout aussi céleste que la voix des anges. Ainsi chante-t-il dans toute la lande pour le plus grand bien de tous. Le narrateur, bien que curieux de le dénicher pour l’honorer, découvre qu’il appartient à un certain Joyeux Musc. Cet homme singulier qui n’avait pour seule richesse que sa force de travail, était déjà bien affligé par la pauvreté et le besoin de nourrir sa famille. Aussi, apprend t-on que ce monsieur Musc était matelot dans sa jeunesse, Melville fait-là un timide écho à l'un de ses précédents roman, Moby Dick, qui deux ans plus tôt, en 1851, avait conté les aventures d'un baleinier au prise avec un cachalot blanc. L'histoire de ce monstre marin est une allégorie de la colère divine, il n'est donc pas étonnant que Melville, se sert ici d'un coq comme symbole de la grâce divine. Un triomphe, dit-il à la page 15, une vraie action de grâce, ce chant de coq! "Gloire à toi, Seigneur, au plus haut des cieux!" Voilà ce qu'il proclame aussi fort que le fit jamais coq en ce monde. Ces mots de Melville sonnent comme un rappel de la présence de Dieu dans le quotidien.
Ainsi ce Joyeux Musc, élevait amoureusement ce coq comme s’il était tout l’or du monde. Et ce coq illuminait la cabane, il en glorifiait la médiocrité (p53), il glorifiait même les voix, les accents de souffrance qui montaient derrière le paravent (p53). Là, précisément, Melville nous honore avant l’heure d’une morale Weilienne dont l’apogée se trouve exprimée dans cette docilité du Christ à la souffrance dont la croix est le passage obligé. L’attitude de cette famille est comme cette crucifixion, elle est pareille à cette nature obéissante, qui, sous l’effet de la grâce, va produire une beauté incomparable comme le soleil sur le lys. Il semblait que le radieux plumage du coq fut leur soleil, nous dit Melville à la page 56, il nous chauffe le cœur, il chante quoi qu’il arrive ! Il chante quand tout est sombre. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » Voilà ce qu’il chante continuellement, poursuit Joyeux Musc à la page 57.
Sans doute que ce coq est l’image du Christ soleil, du Christ glorieux qui sans pareil offrira au miséreux de la lumière dans les ténèbres. Ce coq que le Christ avait mentionné à Pierre avant qu’il ne le trahisse par trois fois, seconde toujours le soleil quand il se lève. Cette petite histoire nous rapproche donc timidement, des convictions de l'auteur, mais la lecture, à venir, de son très célèbre roman, Moby Dick, nous permettra de comprendre cette Amérique contemporaine si éloignée de celle de ses pères fondateurs.
Antoine Carlier Montanari
(1) Voir fiche de lecture du 17/09/2017