Un Livre Que J'ai Lu (20) : Pensées Sans Ordre Concernant L'amour De Dieu (Simone Weil)
S’il faut garder un livre, celui-ci fera bien l’affaire. Pour ma part, l’essentiel y est dit, agréablement résumé dans un style très scolaire dont la simplicité traduit rapidement des notions complexes. A vrai dire nombre de docteurs de l’église et d’hommes de foi ont narré, avec beaucoup de sagesse, les grandeurs de la croix mais aucun n’a eu véritablement cette qualité d’intuition exprimée dans ces quelques pages. Simone Weil, à ne pas confondre avec la politicienne qui a légalisée l’avortement en France, et qui, malgré sa popularité, ne peut tenir la comparaison, a ce génie d'illuminer la conscience. Après Simone Weil, je dirais sans hésitation, qu'on ne peut plus avoir de doute quant à la vérité incarnée dans le Christ.
Si le Christ sur la croix a enchaîné définitivement le mal, c’est parce que le crucifié est cette pureté qui ne peut pas être souillée et qui étant parfaitement pure ne peut renvoyer aucun mal (p13). L’agneau divin concentre sur lui-même le mal tout entier afin que sa pureté le dissolve totalement. La croix est donc au contact permanent avec la souillure et triomphe d'elle en se couvrant entièrement du sang parfaitement pur de l'agneau divin. Ainsi, à partir de ce postulat, chacune des souffrances du quotidien, peut devenir cette croix qui porte la souffrance éclairé par la joie (p15). Cette mystérieuse transmutation est une apothéose du bien qui neutralise parfaitement le mimétisme belliqueux Girardien. En effet, la loi du talion est ici entièrement annulée au profit d’une sagesse d’amour sublimée par la croix dont la logique est l’obéissance, mot avec lequel Simone Weil va traduire le mécanisme du salut. Au regard, en effet, de cette gravité qui gouverne le monde, l’énergie solaire demeure la seule puissance capable de vaincre la pesanteur (p16), et qui permet, au monde végétal, d’ailleurs entièrement obéissant, de s'élever (p16). Le soleil est donc l’image de la grâce qui sur l’âme obéissante comme le Christ sur la croix, l’élève malgré elle.
Cette parfaite obéissante est le point majeur de la réflexion de Simone Weil, dont le baptême par immersion en est la plus pure représentation. C’est se nier soi-même, c’est disparaître sous l’eau, (p90), ce mouvement descendant désiré dans le baptême c’est demander à Dieu de garder cet état afin de remplir la condition demandé par le Christ : « Quiconque s’élèvera sera abaissé et quiconque s’abaissera sera élevé. » (1). Si la crucifixion du Christ en est le modèle (p27), elle nous permet, à son exemple de condamner à mort cette partie médiocre de nous-même qui se révolte pour ne pas mourir et qui contrairement à la plante se mentira à elle-même pour se détourner du soleil, de la grâce de Dieu. En pareil cas, l’orgueil est le sarcophage de l’âme qui incapable de supporter cette présence meurtrière de Dieu, cette brûlure, la même, que celle de Dolorès Prato (2), se réfugie derrière la chair et prend la chair comme écran (p29). Ce qu’est le démon en réalité, c’est l’appel de toutes ces choses qui leurrent l’âme, et qui lui fait miroiter bien des joies et des satisfactions les plus grossières (p18), et avec lesquelles le diable réalise à l'intérieur même de l'âme une volonté de se cacher de Dieu, lequel abhorre ces paradis artificiels dont la concoction est secrété aux enfers. Aux dire de Baudelaire, le savant chimiste qui tient ces fils qui nous remuent (5), nous fait préférer le plaisir au bonheur. En effet, la partie médiocre de nous, pour rendre la vie supportable, rejette la brûlure de la croix puisque celle-ci refuse les plaisirs de ce monde, mais en faisant cela la partie médiocre plonge l'âme aux enfers.
Dans sa lettre à Joë Bousquet (3), Simone Weil parle de la guerre, en quelques lignes elle rejoint l’analyse d’Ernst Jünger, c’est l’unité des contraire, c’est la plénitude de la connaissance du réelle, dit-elle (p41). C’est un moyen fort de penser le malheur, on le porte dans la chair comme un clou enfoncé aussi douloureusement que ceux du Christ. On rejoint-là le lieu fixe de la croix, Simone Weil rapporte-là, au poète français blessé sur le champ de bataille, un moyen infaillible de transfigurer sa propre souffrance. Elle lui demande d’introduire en lui une autorité extérieure et divine, et qui, comme une hostie faite d’une farine au trois quarts pourrie, n’en demeure pas moins parfaitement pure; le mal n’a aucune emprise malgré la dégradation causée par la souffrance. Se plier à la croix et ne faire plus qu'un avec elle, voilà le postulat christique qui procure en réalité une consolation visible seulement de l'âme. Simone Weil dit cela parce que dans un moment d’intense douleur physique (p48), elle a été irrésistiblement poussée dans le Christ Croix.
On comprend alors pourquoi le philosophe Gombrowicz défini La pesanteur et la Grâce de Simone Weil comme la somme de tous les genres de morale en vigueur dans l’Europe moderne : la morale catholique, marxiste, existentialiste (4). Ce qu’il en dira ensuite appartient à la louange, on peut honnêtement dire que Weil l’a mené à Dieu, son Dieu. Pour Gombrowicz, effectivement, ce Dieu de souffrance est un miroir parfaitement poli de son propre état de santé. C’est pourquoi cette nouvelle complicité intellectuelle lui permet de plébisciter l’amour du Dieu catholique dont le noyau moral transfigure la souffrance, la sienne dans une métaphysique du concret. Si donc la Croix est notre unique espoir (p68), le Christ, modèle de docilité, est comme ce lys dont la beauté surpasse bien celle de riches étoffes. Quand la beauté obéit à l’homme elle n’est jamais aussi belle que quand elle obéit à Dieu (p72). Cette obéissance de la nature produit une beauté incomparable, car c’est l’amour de Dieu pour Dieu qui passe à travers elle (p76). Ce spectacle de la docilité est l’amour du Christ pour les hommes dont la Croix est le passage obligé. Le Christ dans l’âme d’un malheureux obéissant à la Croix, c’est le Christ dans une Hostie consacrée. Le Christ est seul capable de changer la chair putréfiée en miracle de vie.
On passe donc à côté de tout si on passe à côté de la Croix du Christ. Aussi seule une disposition convenable de la pensée peut, avec l'aide de la grâce, extraire la partie médiocre de l'être qui oriente l'âme du mauvais côté (p64). Ainsi, il faut seulement savoir, nous dit Simone Weil, à la page 78, que l'amour est une orientation et non pas un état d'âme. Si on l'ignore on tombe dans le désespoir dès la première atteinte du malheur. Voyez le Christ sur la Croix, il est cette forme divine parfaitement pure incapable de renvoyer le mal, il aime quoi qu'il lui en coûte. Finalement, l’humanité sur la croix est devenue comme le mauvais larron, qui, incapable d'aimer, souffre inutilement (p107) parce qu'il n'a jamais cessé d'écouter sa partie médiocre. Mais l'homme habité par le Christ finit par brûler sa partie médiocre en portant avec abnégation sa croix quotidienne. L'hostie élevé par le prêtre lors de la Sainte messe, est tout naturellement ce nouveau fruit posé sur la croix du bois de l'arbre de la vie.
A la suite de cette lecture, nous nous attarderons sur l'ouvrage, "Note sur la suppression générale des partis politiques" où Simone Weil écharpe l'idée du partis pris qui dans sa forme collective sert d'avantage les intérêts du partis que la vérité. Son analyse montre comment le mensonge s'installe au cœur de l'âme quand l'individu est soumis au mécanisme de la passion collective. A la suite nous verrons comment Simone Weil discrimine le talent du génie et qui contrairement à ce que beaucoup pense, le génie n'est pas l'apanage des grands de ce monde, bien au contraire il est seulement visible dans l'être qui cherche la vérité. Aussi "La personne et le sacré" offrira matière à réflexion sur des termes généralement mal employés dont le monde s'est appropriés pour sanctifier ses idoles. Simone Weil reconsidère alors la notion de génie tout en apportant des éclaircissement sur la partie profonde qui anime chaque être. Une quatrième lecture viendra nous compter un idéal de moral et de vie en société qui s'est manifesté au XIIème siècle, grâce au catharisme. Simone Weil parle avec une certaine nostalgie intellective, de ce renouveau spirituel au centre duquel se trouve "la source grecque". Avec cet ouvrage, "L'inspiration Occitane", Simone Weil prend à rebours la dialectique historique habituelle, en effet, cette civilisation de l'amour est, dit-elle, une civilisation chevaleresque qui rend le serviteur égal au maître et qui, par le Christ, va être un exemple incomparable d'union des classes. Pour finir, nous terminerons tout naturellement ce cycle weillien avec "Le Notre Père". Cette prière du Christ sur la montagne à son Père qui est Dieu, est véritablement comme nous le dit Simone Weil, un acte d'amour à Dieu. Là, le mot "croire" est remplacé par le mot "aimer". Croire en Dieu ne suffit plus, aimer Dieu est dorénavant un principe actif primordial qui distingue le véritable croyant du faux croyant. Après tout le diable croit en Dieu tout comme tous les démons des enfers. Les éclaircissement de Simone Weil revitalisent la plus grande des prières chrétienne tout en révélant les convictions profondes de l'auteur.
Antoine Carlier Montanari
(1) Luc 14 :11, Matthieu 23 :12, Luc 18 :14
(2) Dolorès Prato, Brûlure, voir fiche de lecture du 15/10/2017
(3) Poète et écrivain français
(4 )Wintold Gombrowicz, Cours de philosophie en six heures un quart, Ed. Rivages poche/Petite bibliothèque, p31 et 32.
(5) Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Au lecteur