Un Livre Que J'ai Lu (15) : Lincoln (Walt Whitman)
Et Dieu créa Lincoln, voilà ce qu'aurait pu écrire Walter Whitman. Ce texte est une véritable apologie de celui qui fut assassiné dans un théâtre le 14 avril 1865. Le poète américain s’est assigné la tâche de relater ce drame qui, dit-il, fut révélé avec tout le calme et la simplicité d’un événement des plus ordinaires (p24). Booth, le meurtrier, n’avait certainement pas envisagé la gloire qui allait, par la plume de Whitman, auréoler sa victime. En effet, Whitman a suffisamment d'éloquence pour faire l’éloge du seizième président des Etats-Unis. Abraham Lincoln est, pour l’auteur, une sorte de Moïse, d’avantage peut-être tant l’homme est porté au pinacle grâce à l’émancipation de trois millions d’esclaves. Epoque climatérique donc comme il en fut autant du peuple juif sous le joug des pharaons. L’influence anglo-protestantisme du très élisabéthain Georges Washington reflète donc assez bien la prédominance des textes pré évangélique dans la psychologie américaine. L’immense épisode de la sortie d’Egypte dominera, à vrai dire, assez largement la culture américaine. Le prolifique réalisateur John Ford abondera en ce sens jusqu’à l’incontournable et immense Moïse de Cecil B. DeMille. Il n’est donc pas fortuit que Lincoln porte le prénom d’Abraham, cette influence judéo protestante va donc définir la colonne vertébrale de la spiritualité politique américaine dont la concrétisation la plus malsaine se retrouvera coincé entre le veau d’or du Sinaï et le taureau de bronze furieux au pied de Wall Street. Cette légère digression permet de comprendre l’assassinat de John Kennedy et de Martin Luther King. Indéniablement le massacre politique a pour objet de faire reculer le message évangélique au profit de la question économique ; la demande du Christ au jeune homme riche ne passe plus ! Walt Whitman n’analyse donc pas en profondeur les raisons qui ont poussées l’assassin à commettre son forfait.
Il faut peut-être revenir à cette bataille de Gettysburg, qui en 1863, fut toute aussi saignante que la bataille de Verdun, et qui fragmenta définitivement la psychologie de la jeune Amérique où Lincoln acheva certainement et définitivement la fin d'un idéal sudiste qui ne fut réellement compris que par une poignée d'hommes fiers et courageux. L'écho futur de cette séparation sera le communautarisme évangélique démocrate, qui, nostalgique d'une époque victorieuse, trouvera dans l'immense Obama une nouvelle figure tutélaire pro-noire. Whitman aurait certainement encensé ce leader avec la même fougue qu'il encensa Lincoln. L’Amérique de Whitman est une Amérique sociale au sens weillien et qui s'il pouvait être expliquer ici rendrait furieux la masse informe et répugnante qui siège à New York et à Hollywood. Bref, cette guerre de sécession est en réalité la partie visible de deux Amériques qui jamais ne pourront s'entendre sur le fond et dont le président actuel Donald Trump est la dernière représentation théâtrale.
En réalité si l’ouvrage demeure en surface, l’auteur suggère bien plus qu’il ne dit, laissant transpirer un politiquement correct qu’il ne devine pas subversif. Cette même dialectique humaniste, déjà très présente en Europe, dans les bouches des républicains tueurs de rois, fait office ici de pamphlet émotionnel hypnotique. Lincoln sera donc le premier grand martyr américain (p61), qui, sous la plume de Walter Whitman, la société du spectacle aidant, deviendra un saint homme.
Antoine Carlier Montanari