Un Livre Que J'ai Lu (6) : Psychologie Des Femmes (Georg Simmel)
Cette lecture est la première d'un cycle de trois ouvrages de Georg Simmel. Viendra alors s'ajouter à la Psychologie des femmes, ici présent, Les grandes villes et la vie de l'esprit puis la Philosophie de la mode. Dans cet ordre, nous allons analyser ce que j'appelle le tryptique simmelien féminin.
Avant tout, il faut évoquer l'ouvrage « Sexe et Caractère » d’Otto Weininger. Ce dernier aborde la féminité sous l'angle du religieux et du spirituel, ce que ne fait pas Simmel. En effet, le jeune auteur juif qui s'est suicidé à l'âge de 23 ans s'est converti au christianisme un an avant sa mort. La question religieuse est donc au centre de son ouvrage, il assimilera la judaïté à la féminité et dira du christianisme qu'il est la plus haute expression de la plus haute foi. La ressemblance, tant physique que spirituelle avec Simone Weil est toutefois troublante. Sur ces questions donc Georg Simmel n'est pas en reste, sa femme, elle-même philosophe, abordera les thèmes de la religion et de la sexualité sous le pseudonyme de Marie-Louise Enckendorf.
Il est difficile en réalité de décortiquer correctement la méthode simmelienne pour en tirer une conclusion compréhensible. La longue préface de Jean-Jacques Guinchard ne sert qu’à épaissir le livre. Le texte de Simmel est à vrai dire assez court, on peut compter pas moins de 80 pages, en fait, la préface nous permet de cibler les influences de Simmel. Le darwinisme social d’Herbert Spencer a certainement contribué à catéchiser la pensée de notre auteur. Si le préfacier se pose la question de savoir quel titre sied le mieux à notre auteur entre philosophe et sociologue, il est intéressant de noter que la psychologie et la connaissance des arts furent également des matières où il excella.
Chez les femmes, nous dit Simmel, la vie sentimentale comme la vie pratique prédominent de manière si visible, qu'elles prennent l'avantage sur les hommes concernant les usages du quotidien. Ces capacités d'immédiateté leur font détecter très rapidement des singularités environnementales qui échappent le plus souvent à l'homme, ce qui l’agace par ailleurs! Le sac à main peut résumer la chose, il est ce foyer miniaturisé organisé. Cette micro organisation provient d'une attention toute particulière qui trouve en réalité sa cause dans son ventre, lequel est un univers en formation qui demande à la femme de devenir cette divinité bienveillante dont l'attention ne peut être focalisé ailleurs. La femme devient alors ce dieu jaloux qui ne voit d'univers que le sien en devenir, tout le reste n'a plus aucune importance, elle le laisse à l'homme. Pour cette raison elles n’abordent pas le terroir des idées avec la même facilité que les hommes, c’est pourquoi, chez elles, la politique, l’économie et la littérature, par exemples, sont des activités de « têtes » bien trop « abstraites ». Leur perception des choses se cantonne donc essentiellement aux sentiments qu'elles ont d'elles mêmes, à l’instinct également, lesquels influent sur leur représentation du monde. En quelque sorte, le pressentiment, le flair ou même l’imagination font office de boussole intellectuelle, ces affects occupent une place extraordinairement grande dans leur vie spirituelle.
A cet égard, l’importance qu’elles accordent à la coquetterie est méticuleusement reliée au mariage, lequel dans sa fonction verbale sonne de façon si merveilleusement poétique et charmante (p96). C’est pourquoi elles concèdent à la coquetterie une froideur calculatrice (p117), qui, d’après l’auteur, est souvent employée par les femmes les plus pures et les plus intérieurement intactes (p117). Tout naturellement en raison des effets de la coquetterie, l’homme ne fait pas encore la différence entre l’amour et le non amour (p121), selon Platon, nous dit Simmel, l’amour est un état intermédiaire entre avoir et ne pas avoir (p121), pour ainsi dire la véritable force de la coquetterie réside moins dans la promesse d’un plaisir que dans la promesse d’un plaisir (p119). C’est pourquoi dans les comédies romantiques, le temps accordé à la coquetterie dure quasiment toute la durée du film tandis qu’est laissé au final le seul plaisir du baiser.
A cela, l’auteur s’attarde sur la sociologie du couple et montre que l’amour va de pair avec l’appariement, surtout dans les couches sociales les moins aisées ; les amours très passionnés se produisent que très rarement. En fait, les passions absolues que l’on rencontre dans la littérature (Marguerite et Faust, Roméo et Juliette ou encore Dante et Béatrice), ne peuvent se produire que dans un milieu plus aisé, où un mode d’existence plus élevé (p114), permet d’accomplir un destin plus glorieux. La différenciation individuelle est donc plus marquée dans les couches supérieures, qui ont les moyens et le temps de réaliser leurs rêves et leurs désirs. Pour cela Simmel poursuit son analyse de la coquetterie, il nous explique comment elle fait osciller l’homme entre l’avoir et le non-avoir. Ce jeu du froid et du chaud hypnotise l’homme, qui est tout spécialement entretenu pour décupler le désir sexuel, lequel se régénère par le mystère qu’entretient la femme en se réservant. Comme nous le répète le philosophe, l’affect occupe donc une place prépondérante dans la vie spirituelle de la femme, c’est pourquoi l’homme finit par se lasser rapidement, il s’illusionne en quelque sorte par la possibilité de trouver un être pleinement développé cachée derrière une autre femme.
Si la femme, par la coquetterie, apprend à se dominer, également, elle apprend à dominer les autres. L'importance qu'elle accorde, du fait de son sexe, à cacher ses indispositions mensuelles, et justement par souci moral et hygiénique, l'oblige non seulement à simuler et à dissimuler (p61,p62). Au stade final de cette formation on a pour exemple, par la littérature, la marquise de Merteuil dont la pleine et entière maîtrise de soi font des Liaisons dangereuses de Pierre Chordelos de Laclos, un chef d'oeuvre de la littérature libertine. Cette marquise a toutefois son pendant masculin à travers un certain Don Juan où Jules Barbey d'Aurevilly, dans l'une de ses nouvelles, nous contera sa malignité avec une plume toute aussi maligne!
Si Otto Weininger se montre très lucide envers le sexe dit "faible", Georg Simmel, à sa manière, nous dévoile la femme sous un angle beaucoup moins déformant, toutefois beaucoup de ses remarques sont assez dévalorisantes. Quoi qu'il en soit, pour Otto Weininger, la reine dans le conte de Blanche Neige constitue un archétype absolument décisif pour comprendre la psychologie féminine. Pour Georg Simmel, disons que ni Blanche Neige ni la reine, incarnent véritablement la femme. Jean-Jacques Guinchard, dans sa préface, répond en partie en évoquant l’intérêt qu’à Georg Simmel pour la prostituée. Cette dernière enrichi le catalogue simmelien en monétisant son corps. Ce rôle social, déjà évoqué par Baudelaire, permet à l'homme de satisfaire ses besoins primaires très rapidement. Cette urgence permet aux femmes les plus pauvres de monétiser leur corps pour ne pas tomber dans une extrême pauvreté. L'instinct sexuel étant beaucoup plus véhément chez l'homme que chez la femme, l'homme n'hésite donc pas à payer pour le satisfaire. Les femmes, sachant cela, n'hésiterons pas non plus, sous quelques manières que ce soit, d'user de de leurs charmes pour obtenir des hommes qu'ils cèdent à leurs caprices. La prostitution prend donc plusieurs formes et la coquetterie n'est qu'un appel d'air supplémentaire à la logique du désir masculin. Elle permet à la femme d'attiser le feu chez l'homme pour obtenir de lui à ce qu'il accepte de céder à tout ce qu'elle désire en échange de ses faveurs. A cette proportion suggérée, la femme possède donc l'homme piégé par ses voluptés, les grecs avaient symbolisé le phénomène avec la gorgone Méduse. En effet, lorsqu'un homme croisait son regard, celui-ci se pétrifiait, c'était en quelque sorte l'expression de l'éréthisme masculin. Cette pétrification schématise cette neutralisation de l'homme par la femme; l'homme est pour ainsi dire à la merci de la femme. Pour éviter cela, le choix de la prostituée est salutaire, le contrat monétaire évite à l'homme le jeu du chat et de la souris, tout en lui faisant gagner du temps, de l'énergie et peut-être même de l'argent. La prostituée efface donc la distance et la manigance entre les sexes entretenue par la coquetterie. Cette carrière du vice, ainsi nommée par Marx au XIXème siècle, joue un rôle clé dans la marchandisation des corps. Le marché, par le féminisme triomphant au XXème siècle, étendra ses besoins aux couples mariés en instaurant le divorce à grande échelle. Dès lors, la prostitution devint ce modèle économique appliqué aux femmes mariées divorcées. Celles-ci, offrirent donc, en toute légalité, leur corps aux nouveaux mâles divorcés, et en autant de fois que le plaisir se faisait sentir. Le marché fit alors des femmes mariées divorcées des prostituées à moindre coût.
L'abandon au message du Christ qui avait pardonné à la prostituée tout en culpabilisant ses dénonciateurs, a malheureusement réintroduit l’assujettissement de la femme au marché du vice. Le féminisme social de Simmel rejoint alors celui de Pierre Louÿs, comme on a pu le voir précédemment, il dénonce en effet la domination excessive du mariage dans les affaires des hommes et des femmes (p38). En 1909, Georg Simmel consacra alors un essai sur le rôle de l’argent dans les relations entre les sexes. L'idée tenace d'une nature corrompu, depuis le péché originel, accable la femme dans une faute universelle dont le féminisme libertaire ne fait qu'entretenir en laissant croire à la femme que sa liberté passe par sa seule émancipation sexuelle.
Antoine Carlier Montanari