Le Dessous Des Toiles: Pathétiques (Li Chevalier)
Ca a tout l'air d'une branche d'épines, sur une pente, dans un endroit isolé, à flanc, là, particulièrement, je frisonne. Le pire pousse ici, c'est son territoire, on reconnaît l'infernale morsure, elle a fait corps avec un Dieu, puis l'a humilié, celui-là même qui fut homme. Là voilà donc qu'elle surgit, comme au temps passé, mais ici, elle purge peine, elle s'est élevée, forcé le passage, nulle voisine, l'aride terre n'y a désiré point d'autres feuillages. Roches, pierres et sable noir abritent copieusement ce monde, si ce n'était cette abomination du dessous qui commandait, il n'y aurait aucune trace qui pusse nous rappeler le mauvais engrais qui couve ici. Elle a eu son temps, mais un coup de foudre a tout fendu. C'est au loin, en grisaille, comme dans une tempête nocturne, c'est toujours le lieu le plus redoutable. Je n'irais pas, j'ai peur de réveiller quelques anciens esprits réduits à l'état de tourbe. Le bruit lointain de la grêle réveille brusquement l'inquiétante vallée, la révolte commence! C'est navrant, tout se rebelle! Ça pique et ça râle, c'est en dedans, ça provient sûrement de cette étrange marque noire qui grimpe à pic comme un sinistre animal. Un serpent certainement, ça y ressemble fort, en attendant un grand courant d'air froid semble s'être pris dans un filet, il rugit, il consacre toutes ses forces à nuire à la lumière. Li Chevalier ne piétine pas, elle sait où elle va, d'ailleurs c'est dans son espace que le blanc est le plus rigide, épais aussi, certains pourront même le qualifier de cruel. Mes yeux approchent et le temps qu'ils frappent l'image, j'avoue que l'ensemble paraît plus vrai que nature, c'est presque photographié, ici tout se dresse avec virilité, avec autorité, l'artiste réveille le blanc, le noir, et le gris, à cette altitude elle y est contrainte. Tout s'articule en pleine nuit, l'idée géniale est d'avoir isolé l'ivoire de l'eau, c'est quasi magnétique, tissé amoureusement pour devenir manteau. J'aime ça, nul besoin de couleur, c'est disposé de manière aérée, quelques fois Chopin a usé de telles formes dans ses nocturnes, c'est tranquille, naturellement, ça émeut. Là, Arthur Rubinstein y a mêlé méthodiquement une impression épineuse, comment dire, c'est présent entre les appogiatures, c'est là qu'il faut faire silence! La luminosité est glissante, mouvante, échappe même au papier, il est là le rythme, suivi d'une avalanche, c'est démesuré, il faut s'attarder sur sa trace. C'est lié en trois zones, dont chacune appelle l'autre à se nourrir, une de ces histoires qui nous promène en enfer, je crois que j'en ai trop dit, il faut absolument se référer à Virgile. Vous voyez maintenant, le cirque dont je parle nous rattache à un cycle traditionnel. Pourtant, en écrivant cela, j'ai la nette impression d'aller trop loin, l'influence est pourtant légitime, Dieu seul sait ce qui se cache sous ces montagnes! Le gouffre, là, près du rocher, du moins derrière, a tout pour nous y conduire, il fallait que je parle de cela, à vrai dire j'ai peut-être imaginé plus, voyez-vous, entre nous, cette blancheur exceptionnelle ne fait que souligner cette grande obscurité du dessus, c'est drôle, c'est là toute la gageure!
Antoine Carlier Montanari