Le Dessous Des Toiles: Le Chemin De La Cavée, 1882 (Claude Monet)
Devant cette oeuvre de Monet, particulièrement bourgeoise, ne semblant revendiquer rien de plus qu'un simple paysage, on est en droit de se demander si un autre chemin pourrait mener le regard. Pour cela il est nécessaire d'observer attentivement le lieu, à travers ses courbes, son relief et ses couleurs. Il ne faut pas manquer d'attention, la vue est plongeante, on est mené par un petit chemin de terre qui s'engouffre, au centre, dans l'obscurité d'une petite forêt touffu. A vrai dire la femme sera de quoi je parle, cette topographie a le sens de la petite vertu et qui dans le creux, vu d'ici, suggère ce bas de l'abdomen tant convoité par le sexe masculin. Pour l’œil attentif les touffes d'herbes sur le chemin carné ont cette charge érotique qui esquisse le pubis de la femme. Claude Monet rend visible cette partie de l'anatomie qui se situe sous l'aine de la femme. Peinte avec toute la pudicité de l'impressionniste, cet entrecroisement de matières, pleines et biens nourries, où le ciel, la terre et la mer accomplissent l'union de trois natures, en dit autant sur le sexe faible que les fleurs du mal.
Ainsi, l'on voit poindre l'objet du désir, le même qui a nourrit Courbet dans son origine du monde. Il est vrai que cette dernière ne ruse pas, les choses sont claires et en gravant à découvert le caractère gorgonesque de la femme, Gustave Courbet a fixé à cette beauté qui n'a pas de visage, une curiosité licencieuse mais naturelle. Cette esthétique de la volupté affirme en cette obscurité de femme la présence intégrale de la beauté du diable. En effet cette souche féconde qui surgit comme un néant touffu est l'idée de la décadence de la pensée dans la matière. Il n'est pourtant rien de plus doux au monde et Courbet conscient de cette alcôve de désirs offre là la même énigme du cygne qui enfanta un œuf bleu dans le ventre de la jeune Léda.
Au regard du tableau de Gustave Courbet et outre l'aspect très réaliste de l'oeuvre, qui nécessairement provoque le regard pour le mener à sentir l'argile matière qui le compose, Claude Monet, à sa manière et 16 années plus tard, en 1882, dévoile le sexe de la femme dans un naturalisme où le démon de l'audace s'est infiltré avec une courtoisie farceuse. Et c'est donc là, en ce centre obscur, en bas des pentes verdoyantes, que s'engouffre instantanément le regard. Aussi vous n'imaginez pas comme la mer, au dessus de la frondaison, remplit à merveille son rôle d'humectation. En ce sens, Claude Monet, l'année suivante, en 1883, composera une série de toiles sur le thème de la célèbre porte naturelle d'Amont à Etretat en Normandie. Aussi cette jolie ouverture dans la falaise de Claude Monet, à gauche, qui renvoie également à celle de Gustave Courbet, à droite, peut évoquer bien évidemment cette entre jambe de la femme dont la nature s'est joliment inspiré et qui en perspective plus corvéable rappelle le trou par lequel les doigts de la femme font passer un fil.
Je ne veux pas vous laisser sur un doute, revenons à notre peinture, regardez-bien ce creux formé en contre-bas, ce sillage qui mène vos yeux à lui, ces deux inclinaisons qui se joignent ou qui s'écartent comme deux cuisses bien pleines. Le moment est arrivé, la forêt semble se joindre à ce grand séjour, ce lieu admirable qui prend racine au creux des hanches et qui devient immense et complètement impérial quand dans le noir le grand cygne a déployé son long cou. Cette embouchure noyée, sauvage et touffue où la terre et la broussaille forment une balustrade, au dessous de la mer, je vous le dis vraiment, mérite que l'on s'y plonge. Vous n'avez qu'à étendre un doigt, comme le regard d'ailleurs, cette offrande qu'a faîte Monet à notre égard stimule les sens.
J'ignore si cette révélation ne surestime pas le talent du peintre, chez lui à vrai dire rien n'est compliqué, tout est momentané, lumineux surtout puisque c'est le royal soleil qui y règne mais quand on sait que le paradis évoqué par la nature seule peut amener à la nudité originelle, il faut donc la souligner quand elle nous saute ainsi aux yeux. Ah! Ciel! Océan! Collines verdoyantes! Forêt enchantée et chemin dégagé! Tout se fixe, couches sur couches qui nappent adorablement la toile, et on se tourne d'un côté, un peu à droite, un peu à gauche et même par devant mais c'est en la retournant que l'on voit de quoi je parle!
Antoine Carlier Montanari (analyse de l'oeuvre suite à son exposition au musée du Luxembourg concernant Paul Durand Ruel)